"Et la voix s'est faite chair..." Naissance, essence, sens du geste vocal Autho

"Et la voix s'est faite chair..." Naissance, essence, sens du geste vocal Author(s): Claire Gillie-Guilbert Source: Cahiers de musiques traditionnelles, Vol. 14, le geste musical (2001), pp. 3-38 Published by: Ateliers d'ethnomusicologie Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40240399 . Accessed: 25/12/2014 12:36 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Ateliers d'ethnomusicologie is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers de musiques traditionnelles. http://www.jstor.org This content downloaded from 140.77.168.36 on Thu, 25 Dec 2014 12:36:59 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions «ET LA VOIX S'EST FAITE CHAIR... » Naissance, essence, sens du geste vocal Claire Gillie-Guilbert Instrument de musique enfoui dans des lieux du corps inaccessibles à l'œil nu, la voix jaillit des méandres du «corps biologique1» pour s'insinuer en d'autres lieux intimes de l'auditeur. Qu'elle se fasse parole, cri, sanglot ou chant, elle engage les couples musiquants-musiqués2 dans un corps à corps; le geste vocal est à la voix ce qu'est le geste amoureux à l'amour. Offrande lyrique, la voix se donne dans un geste qui peut faire dire à l'autre : « ton geste me touche ; ta voix est si touchante ! ». Le langage regorge d'autres expressions populaires qui prouvent cette incarna- tion de la voix qui a besoin du geste, du mouvement du corps pour se propulser à la rencontre de l'autre dans un espace qu'elle cherche à occuper, à traverser : « poser, projeter sa voix, retenir, pousser, tenir un son, etc. ». Ne dit-on pas que l'on «joint le geste à la parole» pour souligner combien le corps ne peut demeurer étranger au geste vocal? On va de même ponctuer son discours d'un geste précis, révélateur, comme si l'expression de ce geste dans l'espace était capable de laisser des traces visuelles de ces messages sonores qui n'ont fait que passer. Sa corporéité n'est pas sans poser les problèmes de la jouissance provoquée par la voix, aussi bien chez celui qui l'émet que chez celui qui la reçoit. Elle éveille dans le corps des sensations assez fortes pour déclencher des polémiques dans les diffé- rentes religions ; utilisée pour sublimer le verbe, elle ne peut faire l'ellipse de la chair. La bouche, lieu ultime de la projection vocale, est le seul témoin mouvant de l'œuvre de chair que représente le geste vocal. Elle est très souvent mentionnée, comme si de son modelage, de sa plus ou moins grande ouverture, dépendait le flot de paroles porté par le flux vocal. Ce qui correspond à une réalité acoustique, bien connue des chanteurs, contraints à agrandir l'orifice buccal lorsqu'ils arrivent dans les forte, ou dans les aigus; il s'agit pour eux de «vomir le son», «agrandir le moule », « bâiller », etc. Toutes ces expressions traduisent bien l'importance du corps, corps propulseur et porte-voix de l'émission vocale, aussi bien que «corps-peau-de-tambour» qui va vibrer à la réception de l'impact sonore de cette voix. Le geste vocal est aussi bien 1 « La voix en appelle aussi bien à la parole [ . . . ] qu'au corps biologique, dont les articulations multi- ples ont pour fonction de remettre ou de la recevoir, de la faire résonner. . . Ainsi comprise, la voix se situe dans l'entre-deux de l'organique et de l'organisation, dans l'entre-deux du corps biologique et du corps de la langue, ou, si Ton veut, du corps social. . . » (Vasse 1974 : 21). 2 Expression que Ton doit à Gilbert Rouget. This content downloaded from 140.77.168.36 on Thu, 25 Dec 2014 12:36:59 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 4 CAHIERS DE MUSIQUES TRADITIONNELLES 14/2001 mouvement des organes de la phonation que mouvement d'accompagnement du corps. Mais le corps peut aussi revêtir une fonction hautement symbolique, comme lieu de gestation vocale ou d'enfouissement. Avec le geste vocal, il va s'agir d'ame- ner au jour - au-delà d'une parole - une pensée. Cela implique de traduire avec le corps, d'extérioriser quelque chose qui est à l'intérieur. Parler de geste vocal, c'est envisager l'incorporation de la voix et son ex-corporation, c'est-à-dire sa projection vers autrui: il s'agit d'un «geste de» et d'un «geste vers». De plus, la voix confère à tout homme un statut d'interprète : pour atteindre l'autre avec le verbe, il doit lais- ser parler son corps. Dans le geste vocal, outre qu'il utilise pour instrument sa pro- pre voix incarnée en lui, il devient instrumentiste, capable d'une communication émotionnelle avec l'autre. Communiquer, c'est utiliser un système de signes codés qui a son histoire pro- pre selon les mœurs des civilisations où il s'est enraciné. Cela pose la difficile ques- tion de l'inné et de l'acquis de ce geste vocal, de sa filiation, de sa transmission, de son apprentissage." Si la voix est reconnue dans le champ linguistique comme une strate signifiante du signifié, Fônagy (1983) a eu le premier le grand mérite de faire un pas décisif dans l'approche des sensations motrices des expressions émotives3. Il s'attache à ce qui fait la particularité de chaque individu, ce timbre et ces cour- bures vocales que nous désignons quant à nous sous le terme «d'empreinte vocale», resituant la voix au carrefour d'autres champs conceptuels. C'est cette démarche que nous tentons d'élargir et d'approfondir ici, en essayant dans une approche pluridisciplinaire d'interroger le geste vocal: comment et en quoi fait-il signe, comment et en quoi fait-il sens? Pour cela, nous le suivrons dans les lieux du corps, depuis sa naissance - gesta- tion dans le chanteur ou l'orateur -jusqu'à son intrusion dans l'auditeur où il fait sens. Nous tenterons également de circonscrire ce qui en fait son essence. Mais auparavant, un détour par l'étymologie et les dictionnaires s'impose. Geste et voix : détours par l'étymologie et les dictionnaires « Geste » vient de gestus, us, qui désigne aussi bien l'attitude du corps (Cicéron : De oratore, 83), le mouvement du corps, que le geste (Cicéron: De offïciïs, I, 130). Cicéron, qui le premier a mentionné le cantus obscurior de la voix, l'utilise dans son souci d'améliorer tout ce qui contribue à rendre pertinente la rhétorique. Il condamne ainsi ceux qui ignorent l'art des gestes et mimiques de l'orateur - nés- cire gestum {De oratore, 1, 12) - ou bien encore ceux qui font une faute de mimique -in gestupeccare {ibid. , 124). Ce gestus vient de gerot gessi, gestum, ere qui s'emploie aussi bien dans le sens de porter - porter sur soi, tenir, faire paraître (ex: tenir un rôle) - que dans le sens de porter une chose, s'en charger, accomplir, exécuter4. En 3 Et non pas les expressions motrices des sensations émotives comme cela avait été déjà étudié. 4 Même « déférer au désir de quelqu'un, passer le temps ». This content downloaded from 140.77.168.36 on Thu, 25 Dec 2014 12:36:59 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions DOSSIER /GILLIE-GUILBERT 5 latin, res gestae désigne l'histoire au sens «des choses qui ont eu lieu», c'est-à-dire la matière de Yhistoria (récit ou œuvre historique). Ces choses sont donc figées, immuables; elles échappent au temps corrupteur et sont dignes d'être exposées ou racontées, à cause de leur caractère important, étonnant ou étrange. On constate donc une curieuse oscillation entre un sens minorant et un sens majorant. Dans le sens minorant, on trouve en français l'expression «j'ai fait un geste» qui renvoie à un acte de générosité discret et de faible ampleur5. Dans le sens majorant, la geste désigne un ensemble de poèmes épiques ou héroïques du moyen âge, qui racontait les hauts faits de personnages historiques ou légendaires. Appliqué au phénomène vocal, le terme de «geste vocal» conserverait-il cette oscillation sémantique? Entre le minimal, le minime, voire le dérisoire et le maxi- mal, le suprême, voire le sacré (du raclement de gorge au chant des harmoniques) ? Entamer un geste vocal, faire un geste de la voix, est-ce en «passant à l'acte», «donner de la voix» au sens minorant, ou alors «se donner corps et âme» à tra- vers l'acte vocal ? Quant à la voix, l'étymologie l'associe curieusement à son apparition sous le mot voiz au XIIe siècle dans des manuscrits transcrivant la Chanson de Roland. Le «x» aurait été repris au latin vox, et on rencontre dès le XIIIe siècle l'adjectif «vocal» pour désigner ce qui est relatif aux voyelles6. Le terme latin vocalis, (doué de voix, qui donne de la voix, etc.) donnera naissance à l'adjectif «vocal», tandis que les termes «vocaliser, vocalisation, vocalise», apparaîtront respectivement en 1611, 1835 et 1836. Les dictionnaires, quant à eux, fournissent une multitude de directions à la défi- nition du mot voix. Nous retiendrons que parmi celles du Robert, il y est question de mise uploads/s3/ ateliers-de-etnomusicologie-pdf.pdf

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