LES TENDANCES ACTUELLES DE LA PEINTURE EN ALGÉRIE (1) Il peut paraître vain d'a

LES TENDANCES ACTUELLES DE LA PEINTURE EN ALGÉRIE (1) Il peut paraître vain d'aller interroger le passé médiéval de l'Algérie pour y trouver les racines d'une quelconque tendance artistique originale. Les rares dynasties qui ont régné sur ce pays, même lorsqu'elles étaient d'origine locale la plus sûre ont emprunté leurs règles de vie à l'étranger, ainsi en est-il des Hammâdides de la Qal'a et de Bougie, tournés naturellement vers la Tunisie et vers l'Egypte, ainsi encore des 'Abd al-Wâdides de Tlemcen marqués profondément par la belle civilisation hispano-mauresque; peut-être pourtant, la plus ancienne dynastie musulmane, celle des Rustamides de Tîhert pourrait-elle échapper à ce jugement, un certain particularisme semblant se révéler dans les stucs de Sadrâta aux décors géométriques si originaux. On ne peut manquer alors, au-delà des dynastes et de leur cour si empressés à suivre les modes venues de l'extérieur afin de mieux affirmer leur puissance et la réalité de leur promotion sociale, de songer à la popu- lation elle-même, à ce vieux peuple berbère qui, en dépit de sa sincère islami- sation sait si bien conserver les plus vieilles traditions et rester fidèle à lui-même. Mais l'âme du berbère, Kabyle, Chaouïa ou autre, n'a que de médiocres moyens d'expression en dehors du langage ou de la poésie orale chantée et transmise fidèlement de génération en génération, les thèmes décoratifs, uniquement géométriques, semblent figés à tout jamais; ils n'ont pour support que des objets de la vie courante: étoffes, grands coffres en bois, fusils et poires à poudre, poterie ou vaisselle modelées et peintes par les femmes, bijoux, etc. Comment trouver là une annonce quelconque enga- geant l'avenir? Tout semble nostalgie et repli sur le passé, refus du présent et du lendemain, impression vite démentie d'ailleurs par les facilités d'adap- tation et de création du Kabyle dès qu'il quitte sa terre natale. L'Algérie pourtant, comme sa voisine orientale la Tunisie, devait être marquée profondément par la longue occupation turque. Certes, les Ottomans n'ont à peu près rien apporté au peuple des montagnes et des hautes plaines, certes leur empreinte n'est-elle vraiment sensible que dans les villes de la côte, mais les mosquées, les palais ou riches demeures bourgeoises, les villas des corsaires barbaresques sur les hauteurs d'Alger, les costumes et leurs accessoires, la vaisselle de terre ou de cuivre, les tapis, les broderies, les bijoux portent la marque de l'Orient ottoman. La peinture se manifeste dans de belles enluminures qui ornent des coffres à vêtements, les boiseries diverses: portes, poutres, placards, murs des pièces; elle s'exprime même dans de véritables tableaux: pages de Coran ou eulogies pseudo coraniques riche- (1) Cf .• Les tendances actuelles de la peinture au Maroc " A.A.N. (VIl), 1968: 875- 885. 922 LA PEINTURE EN ALGÉRIE ment enluminées et encadrées soigneusement, où toutes les ressources offertes par la calligraphie arabe sont artistiquement exploitées. Parfois, ce sont les vers d'un poète célèbre, oriental la plupart du temps, qui sont ainsi exaltés par la magie de la couleur. Au niveau du peuple, le café maure, la boutique du coiffeur, voire celle de l'épicier, offrent des scènes animées où s'expriment avec une naïveté plus amusante que vraiment artistique les thèmes les plus évocateurs: La Mekke, Le R aram al-Charif avec la Ka'ba recouverte de son voile noir, les monu- ments qui entourent la place sacrée, la foule des pèlerins qui s'y pressent, ailleurs, c'est « la geste» d'Alî, le gendre du Prophète, vaillant cavalier aux longues moustaches noires pourfendant l'ogre, la Khoul, sorte de démon cornu et pansu aux dents de félins; c'est aussi parfois le fameux «voyage nocturne » du Prophète monté sur son étrange jument à tête de femme: Bourâq, escala- dant les cieux étoilés; c'est encore Abraham, le « père des Arabes » sur le point de sacrifier son fils au sommet du Mont Moria à Jérusalem; le bras armé dressé, le Patriarche à longue barbe blanche aperçoit l'ange qui lui désigne l'agneau blanc; enfin c'est le lion, symbole de la force, dessiné habile- ment par un calligraphe ingénieux. Dans tout cela, il faut bien le reconnaître, pas de thèmes locaux empruntés à l'histoire du pays ou à son folklore intime. La facture est la même que celle des mêmes tableaux rencontrés à Damas, au Caire ou à Tunis, les procédés sont identiques, l'inspiration aussi. On peint sur verre la plupart du temps, avec des encres colorées, de la poudre d'or et de la poudre d'argent. Seule l'enluminure offre vraiment un caractère artis- tique, ne serait-ce que par le talent du compositeur, la perfection de sa graphie et la valeur de la chromie. Cette tradition, nous la retrouverons chez quelques peintres modernes ceux que l'on appelle à tort les naïvistes et qu'il faudrait peut-être mieux dénommer les peintres folkloriques, ce terme devant conserver toute son acception, artistes d'instinct, vivant avec le peuple de la rue, ne recevant d'autre leçon que celle de leur âme sensible qui vibre et s'enthousiasme, exprimant l'amour du pays dans sa vérité la plus banale. Comment ne pas songer à Benaboura qui, à n'en pas douter a su le mieux chanter la ville qu'il aime, ses horizons, son port, ses rues animées et bigarrées ? .. Né en 1898 à Alger il court le ruisseau comme la plupart des enfants de son âge après quelques années d'une modeste scolarité, puis il gagne honnêtement sa vie comme artisan peintre en carrosserie, mais il a toujours dessiné, toujours peint depuis son plus jeune âge et un jour, sur les conseils de je ne sais quel mécène éclairé, il expose timidement ses œuvres. Certes, ce n'est pas immé- diatement la gloire, encore moins la fortune, mais on le remarque, on l'encou- rage et, en 1!l46, il donne sa première exposition personnelle à la Galerie du Minaret, c'est la consécration; un peu plus tard, le Musée national des Beaux- Arts lui achète quelques tableaux, la Mairie également, il est lauréat du Grand prix artistique de l'Algérie en 1957, il meurt en 1960. Il y a, certes, en Benaboura R acine une grande naïveté qui s'exprime dans la précision méticuleuse du moindre détail: pavés d'une rue ou sillage d'un remorqueur au loin sur la mer bleue, mais ce souci de vérité un peu puéril, ce besoin de traduire mot à mot, n'exclut pas une habileté géniale qui sait admirablement composer, camper une scène, des personnages, dans une LA PEINTURE EN ALGÉRIE 923 perspective tout naturellement sentie, qui sait jongler avec les couleurs pures d'une palette sensible, pleine de nuances délicates, une palette qui ignore les ombres, les demi tons, les gris, une palette gaie, vivante, follement vraie d'une vérité vécue si fraîchement exprimée ! ... Benaboura avait en lui de l'unique, son art ne pouvait se transmettre et il est hors de pensée que de tels moyens d'expression puissent faire école. Naïveté, sensibilité naturelle et sincère, spontanéité, cela ne s'enseigne pas, on possède ces dons comme on possède la foi, sans la rechercher. Rares sont les élus et exécrables les faux dévôts. Baya, elle, c'est tout autre chose, mais on a tant parlé à tort et à travers de Baya qu'il faut tout oublier, oublier cette sorte d'exploitation ... désinté- ressée ? .. , la publicité à bon compte, les articles dithyrambiques et plus rare- ment, les sarcasmes des envieux stupides exprimés sous le manteau, il faut oublier cette littérature ampoulée à laquelle la malheureuse femme est bien certainement totalement étrangère, il faut retourner au Musée, l'esprit libre et revoir Baya, j'allais écrire, voir Baya tant il est vrai que, personnelle- ment il me semble toujours la découvrir pour la première fois. Quelle âme a donc peint ces formes étranges, oiseaux de féérie, êtres de légende ou de contes merveilleux aux étoffes de rêve, chamarrées, dans une symphonie si admirablement nuancée, adorablement gaie, de la gaieté de l'enfance heureuse, celle qui ignore encore les ombres de la vie 1 ... Quel être a vécu, a pu s'énivrer de cette béatitude colorée où tout n'est que tran- quillité, amour infini, fraîcheur d'une eau pure qui jaillit et retombe en cristaux traversés par les feux d'un rayon de soleil, musique douce, jamais entendue qui vous berce et vous reprend. Baya n'a pas cherché, elle n'avait pas besoin de chercher, elle avait en elle un tel bouillonnement de vie, un tel besoin de dire, de crier, de chanter qu'elle trouvait ce qu'elle aurait exprimé d'une manière ou d'une autre ... Ce fut la peinture. Quand j'aurai dit que Baya, plus qu'à demi kabyle, est née aux alentours immédiats d'Alger, qu'orpheline à cinq ans, elle est, en 1942, recueillie par « Marguerite l>, qu'en 1947 (elle a seize ans) , on expose ses œuvres, certains découvrant en elle un véritable génie naissant, j'aurai tout dit ou presque de ce que je sais de Baya. Ajouterais-je qu'on eut l'étrange idée de la conduire un jour à Vallauris auprès de Picasso ? .. Je n'ai jamais vu Baya, sans doute ne la verrai-je jamais et c'est beaucoup mieux ainsi. Pendant treize ans, Baya s'est tue, Baya a disparu comme envolée uploads/s3/ les-tendances-actuelles-de-la-peintures-algerienne.pdf

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