1 Starzak Mateusz TS1 Philosophie - Dissertation Peut-on tirer une jouissance e

1 Starzak Mateusz TS1 Philosophie - Dissertation Peut-on tirer une jouissance esthétique de ce qu'on ne comprend pas ? Lorsque nos yeux perçoivent ce qui nous entoure, notre esprit cherche sans cesse à rattacher ce qu’il voit à ce qu’il connaît. Ainsi, il applique un filtre utilitaire au monde, qui nous permet de reconnaitre ses objets et ses formes, de le comprendre, et de l’apprécier. Lorsqu’on regarde un paysage naturel, on associe ses différents éléments à notre expérience, nos souvenirs agréables, à ce qui est acquis par notre esprit. Ainsi, comment peut-on imaginer apprécier la beauté d’une chose qui perturbe notre esprit et qui remet en question notre vision utilitaire de la réalité ? N’est-ce pas contraire à une jouissance esthétique ? Cependant, il existe une forme d’art, l’art abstrait, qui semble réfuter cette hypothèse. En effet, son but est justement de nous séparer du filtre utilitaire de la perception pour laisser notre esprit apprécier uniquement les formes et les couleurs qu’on lui présente, sans essayer de les comprendre. Aussi, si l’on essaye d’« éprouver » une œuvre abstraite, au lieu de la comprendre, aucune connaissance de l’histoire de l’art ne serait requise pour l’apprécier. Ce serait donc un « art populaire » qui permettrait à tous de tirer une jouissance esthétique de l’incompréhensible. Mais comment alors expliquer que cette forme d’art est souvent moins appréciée des classes populaires que des classes supérieures. Pour trouver une beauté dans l’incompréhensible, faudrait-il avoir une certaine culture, une ouverture d’esprit, ou être issu d’une couche sociale privilégiée et initiée à l’art ? Tirer une jouissance esthétique de ce que l’on ne comprend pas, ne serait-ce donc pas un privilège inaccessible à la plupart des hommes ? Ainsi, nous allons premièrement voir que l’incompréhension peut être une forme de frustration qui serait incompatible avec une jouissance esthétique. Puis, nous verrons que l’art abstrait pourrait nous permettre de nous libérer de cette frustration, en supprimant le filtre utilitaire de notre perception. Enfin, nous nous demanderons si cette forme d’art, incompréhensible, ne serait pas en fait réservée à une partie réduite de la société, et ainsi, empêcherait la plupart des hommes de trouver de la beauté dans ce qu’ils ne comprennent pas. Le cerveau humain cherche constamment à rationaliser et à comprendre l’information visuelle qu’il reçoit. Il applique un filtre utilitaire à la perception, qui nous permet de vivre et de survivre. En effet, on ne pourrait pas cueillir des fruits qu’on ne reconnaît pas, et on ne pourrait pas identifier de menaces si notre esprit ne cherchait pas à les associer à un danger. Notre cerveau ne perçoit donc pas seulement des formes et des couleurs, mais d’abord les objets connus qu’elles constituent : « l’apparence sensible se trouve constamment dépossédée d’elle-même au profit de ce qu’elle indique »1. Ainsi, si notre cerveau cherche à associer ce que nos yeux voient à ce qu’il 1 Michel Henry, Voir l’invisible, Bourin 1988, p. 53 Note : Appréciation : 2 connaît, la jouissance esthétique ne pourrait venir que d’une comparaison de la beauté entre les objets qu’il connaît, à ceux qu’il découvre. Si l’on a vu seulement les tableaux d’un seul peintre toute notre vie, ils seront naturellement les plus beaux pour nous, car on ne pourra pas les comparer à ceux d’un autre artiste. Mais notre perception, aussi développée qu’elle soit, n’est pas toujours fiable et présente des limites. Ainsi, comment s’y fier pour juger la beauté de quelque chose si elle peut nous tromper ? Notre vision a une portée limitée. Mais on peut voir un objet lointain en s’en approchant. Ainsi, certaines erreurs de notre perception sont rectifiables. Mais il existe un autre type de limites à la perception : les illusions. Celles-ci perturbent notre cerveau, qui cherche absolument à rationnaliser ce qu’il voit. Les illusions d’optique par exemple, provoquent toujours une frustration chez le spectateur. De même, les hallucinations, ou certains mauvais rêves peuvent torturer certaines personnes. Mais comment alors expliquer que certains utilisent justement l’illusion, pour se procurer un plaisir esthétique ? Le cinéma utilise la persistance rétinienne pour tromper notre cerveau et donner l’illusion du mouvement des images. Et l’un de ses buts et de nous impressionner avec des images agréables et parfois irréelles. Pourtant, en regardant un film, on comprend le déroulement des images, on sait que les personnages à l’écran ne se trouvent pas physiquement devant nous, mais on accepte l’illusion. Il en va de même avec les drogues hallucinogènes, qui trompent les sens et procurent un plaisir visuel. Ainsi, il se pourrait que la compréhension et la rationalisation de ce que l’on voit ne soit pas nécessaire à la jouissance esthétique, mais que l’esprit puisse accepter l’illusion et l’incompréhension pour se la procurer. Ainsi, pour comprendre comment tirer une jouissance esthétique de ce que l’on ne comprend pas, on pourrait se pencher sur l’exemple d’une forme d’art donc le but n’est justement pas de représenter des choses compréhensibles : l’art abstrait. L’abstraction peut avoir plusieurs définitions. Elle peut consister à représenter une partie d’un tout, pour par exemple n’en garder que ce que nous jugeons être le plus beau ou le plus émouvant. Mais elle peut aussi consister en un abandon de tout projet figuratif, au profit de l’expression de l’intériorité de l’artiste ou d’une transfiguration du réel passant uniquement par des formes et des couleurs. Ainsi, le but de cette forme d’art n’est pas d’être compréhensible, mais d’ôter le filtre utilitaire qui pourrait « obstruer » notre perception. Selon le peintre considéré comme le fondateur de l’art abstrait, Vassily Kandinsky, ce sont justement les formes et les couleurs, et non pas les objets qu’ils forment, qui pourraient nous toucher au plus profond de nous : « la couleur est donc un moyen d’exercer une influence directe sur l’âme. La couleur est la touche. L’œil est le marteau. L’âme est le piano aux cordes nombreuses. »2. Ainsi, l’art abstrait, qui peut toucher directement nôtre âme, pourrait nous procurer une jouissance esthétique intense. En peinture, une fois que l’objet du tableau ne s’interpose plus avec l’œuvre, on peut réellement « éprouver » les formes et les couleurs de l’œuvre que l’on regarde, et ressentir des émotions inédites. De plus, cette forme d’art est potentiellement illimitée. En effet, si l’on cherche à représenter le réel, ce que fait par exemple la peinture classique, on sera limité à ce que notre monde a à nous offrir, alors que l’art abstrait peut permettre aux artistes de rendre visible l’invisible, de faire parler leur intériorité à travers les images, de représenter 2 Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, p.112 3 l’irréel. Également, l’art abstrait, n’ayant pas de projet figuratif, il est une expérience complètement intime. Deux personnes qui admirent les formes et les couleurs d’un tableau de Kandinsky n’éprouvent jamais les mêmes émotions. L’art abstrait peut donc potentiellement être une source de jouissance esthétique intime, illimitée et intense. Enfin, si le but de l’art abstrait est de toucher les émotions du spectateur sans représenter d’objets ou d’évènements qu’il doit reconnaître, aucune culture historique ou de l’histoire de l’art n’est nécessaire à l’appréciation d’une œuvre abstraite. Il ne faut à priori aucun savoir pour observer et éprouver des formes et de couleurs. Ainsi, en droit, l’art abstrait serait un « art populaire » qui offrirait à toutes les classes sociales l’opportunité de tirer une jouissance esthétique d’une œuvre qui n’est pas faite pour être comprise. Trouver de la beauté dans une œuvre incompréhensible serait donc possible et accessible à tous. Mais en fait, comme le montre le sociologue Pierre Bourdieu, l’art abstrait est nettement moins apprécié des classes populaires que de la classe supérieure (seulement 4% des interrogés issus des classes populaires contre 27% issus de la classe supérieure déclarent aimer l’art abstrait).3 Ainsi, l’hypothèse de l’art abstrait comme un « art populaire » n’est ici pas vérifiée. Comment expliquer ce résultat paradoxal ? Si l’art abstrait, n’est pas un « art populaire », l’apprécier serait-il un privilège réservé à une minorité d’individus ? Tirer une jouissance esthétique de l’incompréhensible nécessiterait-il donc une initiation ou des connaissances inaccessibles pour la majorité de la société ? Le beau a-t-il ainsi une définition différente selon les couches sociales ? Si l’on remarque que les différentes classes sociales ne trouvent pas toutes de la beauté dans l’art abstrait, c’est qu’elles ont forcément une interprétation différente du beau. D’après le philosophe Emmanuel Kant : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept » 4 .Ainsi, comme les hommes ne font souvent pas la distinction entre beau et agréable, ils n’imaginent pas de pluralité de goûts pour l’art abstrait, et pensent que leur vision seulement est la bonne, et qu’elle vaut pour tous. Ils imposent donc leur vision de la beauté à leur entourage, aux personnes de la même classe sociale qu’eux. Mais quelles sont donc ces interprétations du beau spécifiques aux différentes classes et quels sont les facteurs qui pourraient les expliquer ? Les individus reçoivent une éducation et vivent des uploads/s3/ philosophie-mateusz-starzak-ts1.pdf

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