Société Française de Musicologie La transformation d’une oreille. Déodat de Sév

Société Française de Musicologie La transformation d’une oreille. Déodat de Séverac à la Schola cantorum Author(s): Alexandre Robert Source: Revue de Musicologie , 2017, T. 103, No. 1 (2017), pp. 53-92 Published by: Société Française de Musicologie Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/48595105 REFERENCES Linked references are available on JSTOR for this article: https://www.jstor.org/stable/10.2307/48595105?seq=1&cid=pdf- reference#references_tab_contents You may need to log in to JSTOR to access the linked references. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Société Française de Musicologie is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Musicologie This content downloaded from 129.120.93.218 on Thu, 14 Oct 2021 03:19:56 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms En octobre 1896, Déodat de Séverac1, jeune Languedocien de vingt-quatre ans, gagne Paris pour y étudier à la Schola cantorum et intégrer la classe de composi- tion de Vincent d’Indy. Cette longue expérience scolaire – Séverac ne sortira de la Schola cantorum qu’en 1907 après y avoir suivi le programme d’étude complet et passé avec succès toutes les épreuves – le conduit progressivement à incorporer certaines manières de percevoir et d’apprécier la musique, d’écouter, de goûter et de composer les œuvres. Cet article se propose de reconstruire ce processus de formation et de transformation de l’oreille de Séverac de 1896 jusqu’au début des années 1900. C’est donc de « socialisation2 » dont il sera question ici et, plus précisément, des mécanismes par lesquels une institution parvient à investir et à façonner un corps individuel. * Ce texte a bénéficié des relectures attentives et des conseils avisés de Muriel Boulan, Rémi Deslyper et Olivier Roueff. Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés. 1. Pierre Guillot rappelle que ce patronyme exigerait une double accentuation (« Sévérac »), comme l’attestent la généalogie familiale et les pièces d’état civil ; voir Pierre Guillot, Déodat de Sévérac, musicien français, Paris : L’Harmattan, 2010. Nous avons néanmoins choisi de conser- ver ici l’orthographe consacrée avec accentuation unique (« Séverac ») dans un souci de cohérence, puisque c’est elle que l’on retrouve le plus souvent sous la plume du compositeur lui-même, et quasi invariablement sous celles de ses contemporains ou de ses commentateurs ultérieurs. 2. On peut en effet définir la socialisation comme le processus par lequel le monde social (les institutions, les groupes, les dispositifs, etc.) forme et transforme les individus. Pour une syn- thèse, voir Muriel Darmon, La socialisation, Paris : Armand Colin, 2010. Il faut reconnaître à Maurice Halbwachs le mérite d’avoir jeté les bases d’une sociologie de la socialisation musicale dans un beau texte de 1939 consacré à la mémoire collective des musiciens. Voir Maurice Halbwachs, La mémoire collective [1re édition 1950], Paris : Albin Michel, 1997, cha- pitre I (« La mémoire collective chez les musiciens »), p. 19-50. Revue de musicologie Tome 103 (2017) • no 1 p. 53-92 La transformation d’une oreille. Déodat de Séverac à la Schola cantorum* Alexandre Robert This content downloaded from 129.120.93.218 on Thu, 14 Oct 2021 03:19:56 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms L’expérience « scholiste » de Séverac se prête particulièrement bien à une telle investigation en ce qu’elle présente plusieurs commodités empiriques. D’une part, la Schola cantorum, dès lors qu’on l’envisage comme une institution – c’est- à-dire ici comme un ensemble d’activités circonscrites dans un lieu, et tout parti- culièrement comme un dispositif pédagogique réglé et formalisé –, constitue une instance de socialisation dont on peut largement redessiner les contours à partir des nombreuses traces qu’elle a laissées3 (discours et témoignages, publication du Cours de composition de d’Indy, règlement intérieur, etc.). D’autre part, les produits de la socialisation scholiste de Séverac trouvent à s’objectiver sous différentes formes via ses compositions, ses quelques écrits sur la musique4 et surtout la riche correspondance qu’il entretient durant ses années parisiennes avec sa mère Aglaé de Séverac et ses trois sœurs Alix, Jeanne et Marthe de Séverac5, restées vivre dans le Lauragais. Dans les lettres et les comptes rendus de ses activités qu’il leur adresse très régulièrement (jusqu’à plusieurs fois par semaine) se déposent nombre d’indices qui permettent de retracer, pas à pas, le chemin emprunté par son oreille. Cet ensemble de données offre ainsi la possibilité d’envisager la socia- lisation scholiste de Séverac sous toutes ses coutures, c’est-à-dire d’en embrasser dans un même mouvement analytique le cadre, les modalités, les temps et les effets6. Par-là, on verra en quoi l’enquête historique peut constituer un poste privilégié pour observer de tels processus qui, impliquant généralement des expé- riences répétées ou des fréquentations prolongées, tendent à s’inscrire dans des temporalités relativement longues. Cette approche implique d’articuler différentes échelles sociales d’observa- tion. Les variations de focale seront donc fréquentes, afin que les plans larges – les prises de vues macro-sociales et institutionnelles – viennent « cadrer » les plans 3. L’enseignement de d’Indy a d’ailleurs fait l’objet de travaux précieux. Voir notamment Rémy Campos, « Le Cours de composition de Vincent d’Indy », dans Nicolas Donin et Laurent Feneyrou, dir., Théories de la composition musicale au xxe siècle. Vol. 1, Lyon : Symétrie, 2013, p. 67-92 ; et Renata Suchowiejko, « Du “métier à l’art” : l’enseignement de Vincent d’Indy », dans Manuela Schwartz, dir., Vincent d’Indy et son temps, Liège : Mardaga, 2006, p. 101-110. 4. Déodat de Séverac, Écrits sur la musique, Liège : Mardaga, 1993. 5. Une grande partie de la correspondance de Séverac a fait l’objet de l’excellent travail éditorial de Pierre Guillot ; voir Déodat de Séverac, La musique et les lettres, Liège : Mardaga, 2002. Cet ouvrage sera désormais abrégé de la manière suivante : ML. Un certain nombre de lettres iné- dites de Séverac restent cependant conservées dans les archives de Catherine Blacque-Belair (veuve de Gilbert Blacque-Belair, petit-fils de Déodat de Séverac) à Saint-Félix-Lauragais, dans la maison natale du compositeur. 6. Voir Bernard Lahire, Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, Paris : La Découverte, 2013, chapitre III (« La fabrication sociale des individus : cadres, modalités, temps et effets de socialisation »), p. 115-131. Voir également du même auteur L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris : Hachette, 2006 ; « De la théorie de l’habitus à une sociologie psychologique », dans Bernard Lahire, dir., Le travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques, Paris : La Découverte, 2001, p. 121-152. 54 Alexandre Robert Revue de musicologie This content downloaded from 129.120.93.218 on Thu, 14 Oct 2021 03:19:56 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms rapprochés – les observations micro-sociales et les pratiques « individuelles » de Séverac7. Dans un premier temps, nous examinerons certaines des spécificités de la Schola cantorum en tant qu’école de musique et en tant qu’instance de socialisation, puis la position qu’y occupe Séverac durant ses premières années d’étude. Nous verrons ensuite comment celui-ci s’approprie les principales logiques « scholistes » telles que la subordination de l’esthétique à une éthique catholique, le traditionalisme, l’ascétisme ou encore la double focalisation sur la forme et sur la texture contrapuntique des œuvres musicales. Une réflexion sur la notion d’« oreille », enfin, viendra clore cette étude de cas. La genèse d’un projet hétéronomisant Lorsqu’elle est fondée en 1894 à l’instigation de Charles Bordes – épaulé d’Alexandre Guilmant, de Vincent d’Indy et de divers abbés – la Schola can- torum est d’abord conçue comme une société dont l’objectif principal serait de défendre le répertoire musical liturgique « authentique », c’est-à-dire les polypho- nies palestriniennes et, surtout, le plain-chant tel qu’il est alors « restauré » par les moines bénédictins de Solesmes8. Les sociétaires s’accordent sur les quatre articles fondamentaux suivants : 1) Le retour à la tradition grégorienne pour l’exécution du plain-chant et son application aux diverses éditions diocésaines ; 2) La remise à l’honneur de la musique palestrinienne, comme modèle de musique figurée, pouvant être associés au chant grégorien, pour les fêtes solennelles ; 3) La création d’une musique religieuse moderne respectueuse des textes et des lois de la litur- gie, s’inspirant des traditions grégoriennes et palestriniennes ; 4) L’amélioration du répertoire des organistes au point de vue de son union avec les mélodies grégoriennes et de son appropriation aux différents offices9. Dès 1896, la société se mue en une véritable école de musique et ouvre ses portes rue Stanislas, à Paris. Elle semble alors s’inscrire dans la lignée de deux précédentes écoles reli- gieuses du xixe siècle : l’Institution royale de Musique classique et religieuse 7. Sur l’articulation des échelles sociales d’observation, voir Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle [1re édition 1976], trad. de l’italien, Paris : Flammarion, 1980 ; Jacques Revel, « Micro-analyse et construction du social », dans Jacques Revel, dir., Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris : Seuil / Gallimard, 1996, uploads/s3/ this-content-downloaded-from-129-120-93-218-on-thu-14-oct-2021-03-19-56-utc.pdf

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