PRATIQUES FÉMININES ET ARTS ÉLECTRONIQUES Mémoire de master 1 création et reche

PRATIQUES FÉMININES ET ARTS ÉLECTRONIQUES Mémoire de master 1 création et recherche à l’épreuve de l’art contemporain Cours E. Chiron Séverine HETTINGER Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne - UFR 04 arts et sciences de l’art SEPTEMBRE 2006 PRATIQUES FÉMININES ET ARTS ÉLECTRONIQUES : origines, féminisme, perspectives Séverine HETTINGER 1 SOMMAIRE INTRODUCTION I - NAISSANCE D’UNE VIDÉO FÉMINISTE : 1.1 - Contextes sociaux et politiques 1.2 - Performances, body art et vidéo 1.3 - Nancy Holt, sculpteur et vidéaste : un cas à part. II - À TRAVERS PIPILOTTI RIST 2.1 - Résurgences d’une vidéo féministe 2.2 - Représentations et déconstructions III - LA TECHNOLOGIE DANS L’ART DES FEMMES 3.1 - Petite histoire du cyberfeminisme 3.2 - Sadie Plant et la symbolisation féminine 3.3 - VNS matrix et l’ordre technico-sexuel CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXE travaux personnels INTRODUCTION Constituer un dossier spécifique sur les pratiques féminines dans les arts électroniques pourrait susciter plusieurs questions. En premier lieu une question se pose : quant est il de la légitimé d’une telle démarche qui singularise un groupe d’artistes donnés en fonction de son sexe ? La tentative de forger une grille de lecture de l’oeuvre en fonction du sexe ne serait elle pas réductrice ? Ces questions ont été déjà posées dans les années 1970 par toute une critique d’art féministe, comme on le verra plus loin et si depuis quelques années des rétrospectives sont consacrées à des artistes femmes, en France on peut citer Nan Goldin (2002) et Sophie Calle (2003) au Centre Pompidou, le terrain n’en demeure pas pour le moins mouvant comme le prouve ce fait, divers, arrivé récemment : en 2005 la polémique a été ravivée dans le milieu artistique parisien, l’artiste Orlan a pointé du doigt les propos de Jean-Marc Bustamente publiés dans une monographie consacrée à ce dernier, parue chez Flammarion : « Oui, l’homme a besoin de conquérir des territoires, la femme trouve son territoire et elle y reste ; alors que les femmes cherchent un homme, un homme veut toutes les femmes. La femme, dès qu’elle a trouvé son territoire, elle y reste, d’Agnes Martin à Tracey Emin. Les hommes sont toujours dans la recherche de territoires vierges. » Ou encore : « Les hommes prennent des risques beaucoup plus grands, comme d’être détesté, d’être dans la polémique, d’être longtemps dans des champs difficiles. »1 Ces propos, recueillis par Christine Macel, conservatrice au centre Pompidou et commissaire de l’exposition Dyonisiac, lors d’un dialogue avec Bustamante, sous entendaient qu’il existerait une essence féminine et une essence masculine, que les hommes par nature seraient indépendants, posséderaient un esprit de conquête tandis que les femmes seraient naturellement peu enclines au changement, se renouvelleraient peu, s’enfon­ ceraient dans un système. De plus, l’exposition Dyonisiac au Centre Pompidou, à Paris, en 2005, a suscité de vives émotions chez femmes et féministes françaises : l’évènement prétendait présenter de jeunes artistes prometteurs mais ne comptait aucune artiste. Si ce dossier porte sur les pratiques féminines dans les arts électroniques, la lecture de ces pratiques reste dépendante d’une histoire de la pensée féministe. Peggy Phelan donne une définition à la fois globale et personnelle du féminisme qui est selon elle : « est la conviction que la différence des sexes a été et continue d’être une catégorie fondamentale de notre système culturel. De plus, ce système est globalement favorable aux hommes, au détriment des femmes 2 ». À la suite de faits similaires à celui de 2005, il est intéressant d’observer que la polémique quant à la juste représentativité des femmes dans la milieu de l’art est loin d’être éteinte et reste actuelle. C’est à la suite de faits identiques qu’une recherche sur les pratiques féminines se justifie, tout en considérant que ce n’est pas tant à cause de leur sexe que le travail de ces femmes est choisi ici mais plutôt parce qu’actuelle­ ment elles continuent à constituer une minorité dans un monde de l’art exclusivement masculin. L’idéal étant bien sûr de ne plus être obligé d’avoir recours à cette différentiation des sexes pour légitimer des travaux. Outre ces faits, en Europe, depuis deux décades, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans le champ artistique. « On pourrait même dire qu’un courant général les propulse sur le devant de la scène artis­ tique. C’est un mouvement qui implique de manière positive un constat de l’existence des femmes artistes et de l’intérêt de leurs oeuvres mais qui est tardif. 3 ». Dès les années 80 Les guérillas Girls ont incarné la mauvaise conscience d’un marché de l’art exclusivement masculin et ont su rendre responsables les collectionneurs, conservateurs et commissaires d’exposition. Les pays anglo-saxons ont été plus précoces et s’y effectue depuis les années 70 une vaste recherche autour de la question féminine qui a abouti à l’élaboration de genders studies se traduisant approximativement en français comme études de genre. Celles ci sont maintenant devenues un champ d’études à part entière et continuent d’influencer d’autres champs disciplinaires. Pour les féministes anglo-saxones le genre désigne le sexe social, c’est à dire l’ensemble des traits psychologiques, rôle et statuts attribués dans chaque société aux individus selon leur sexe biologique. C’est dans cet élan féministe anglo-saxon des années 70 que s’est construite toute une critique féministe de l’histoire de l’art dont l’une des représentantes principale­ 2 3 1. DAGEN, Philippe.- « Bustamante, l’art et les femmes ».- Le Monde, 14 mars 2006. 2. PHELAN, Peggy.- Art and Féminisme.- Paris : Phaidon, 2005, p.18 3. MARSAUD PERRODIN, Roselyne.- « Elles ».- Ontologie de l’oeuvre d’art, Rennes : Presses Universitaires de Ren­ nes, 1997, p. 102. ment connue en France est l’historienne de l’art Linda Nochlins. En 1971, Linda Nochlin écrivait son premier article « féministe » dont le titre annonçait une polémique nouvelle : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? ». Des années plus tard, cet article sera développé et accompagné d’autres textes, écrits sur une vingtaine d’années Femmes, art et pouvoir et autres essais (1990-1993). Dans cet ouvrage, Linda Nochlin déconstruit l’idée vulgairement galvaudée selon laquelle il n’y aurait pas de génie féminin c’est à dire que les femmes procréeraient et les hommes créeraient des oeuvres d’art. Ce serait pour cette raison que l’histoire de l’art n’aurait pas retenu le nom de grandes artistes femmes. Parallèlement elle se demande pourquoi il n’y a pas eu non plus d’aristocrates artistes si ce n’est à quelques exceptions près comptées parmi Degas et Toulouse Lautrec. Le tempérament aristocrate serait-il tout aussi étranger au génie créatif que le tempérament féminin ? Comme réponse elle développe tout un argumentaire qui démontre en quoi les conditions sociales et écono­ miques, le milieu, les sous groupes d’appartenance, la période historique sont déterminants dans la possibilité d’une carrière artistique. Linda Nochlin a ainsi déconstruit le grand mythe de l’individu créateur intrinsèque­ ment doué pour l’art. « ... un grand travail de recherche a été amorcé depuis trois décennies (...) afin d’évaluer et réhabiliter la contribution des femmes artistes à l’histoire de l’art au cours des siècles. Une idéologie patriarcale déter­ minante, subie ou admise par les femmes, la mise à disposition de moyens de productions de l’art réduits, de fausses attributions d’oeuvres à des hommes, des destructions, des obstacles institutionnels, ont diminué le rôle que les femmes ont joué dans l’histoire de la création. »4 Les travaux de Linda Nochlin ainsi que ceux d’autres universitaires américaines ont fait le bilan des connaissances sur la peinture des femmes et ont ouvert l’histoire de l’art aux sciences sociales. Une question construite d’une manière similaire à celle qui introduit ce texte se pose : quelle est la légitimité d’un dossier qui se focaliserait sur les pratiques féminines exclusivement dans les arts élec­ troniques ? L’art électronique est un art qui fait appel à des technologies dites avancées, telles que l’informa­ tique, le laser, la vidéo, l’holographie et certains moyens de communication 5. Les arts électroniques sont donc liés dans le temps à l’évolution technologique, de la caméra analogique aux médias numériques actuels, c’est dans cette évolution là qu’il est intéressant d’y étudier l’inscription de pratiques féminines. L’ évolution tech­ nique a été suivie parallèlement de toute une révolution féministe artistique amorcée dès les années 1960- 1970. La technologie dans l’art ouvre dans le cadre des pratiques féminines un autre type de question : celle de la relation sociale des femmes à la technique. Un dossier sur les pratiques féminines dans les arts électroniques ouvrent des questions se situant aux croisements entre l’art, la technologie et l’étude des genres. Toutefois la question est vaste - nombre de femmes ont utilisé la vidéo et les nouvelles technologies - et ce dossier ne sera ciblé que sur quelques artistes dont les travaux peuvent se répondre des années 1970 aux années 2000. Dans les années 70 une vidéo dite féministe née de l’art de la performance et du body art s’est imposée : interrogations liées à l’identité, au corps et aux tabous sexuels figés par une société patriarcale étaient de mise. Au début des années 1990, uploads/s3/ pratiquesfemininesetartselectroniques.pdf

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