Publié dans la Revue Droit & Défense, n° 94/4, octobre 1994, pp. 11-20 LES NOTI

Publié dans la Revue Droit & Défense, n° 94/4, octobre 1994, pp. 11-20 LES NOTIONS DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ EN DROIT FRANÇAIS par Bertrand WARUSFEL Secrétaire général du Centre de recherches DROIT ET DEFENSE de l'Université Paris V (René Descartes) "De la Défense à la Sécurité" : c'est ainsi que l'Amiral Lacoste intitule l'un des chapitres de son dernier ouvrage 1. La thèse de l'ancien responsable de la DGSE et de la FEDN est assez simple : "En France, la notion de Défense nationale est implicitement liée à celle de la résistance à l'invasion, à la garde aux frontières", mais aujourd'hui que la guerre froide a cessé, les démocraties sont confrontées à d'autres menaces, jusqu'alors occultées par la confrontation Est-Ouest, telles la grande criminalité, le terrorisme, la drogue, les risques d'explosion sociale ou ethnique, ... De là, il déduit que la problématique de défense doit faire progressivement place à une véritable politique globale de sécurité, faisant appel aux apports des différentes disciplines des "sciences de la sécurité". Cette thèse - nécessairement réductrice et volontairement provocatrice - a l'avantage de susciter le débat sur l'opportunité de repenser - et éventuellement de renommer - notre politique de défense. Certains constatent en effet que le terme "défense" retenu par la tradition française et notre Constitution n'est pas repris dans les textes européens et internationaux qui ne connaissent, eux aussi, que la notion de "sécurité". Derrière la controverse politico- opérationnelle se cache un débat juridique assez fondamental. I. L'ÉVOLUTION DE LA NOTION DE DÉFENSE La notion de "défense nationale" est apparue progressivement à partir de la fin du siècle dernier. Il s'agissait, à l'origine, d'une notion exclusivement militaire dont le champ d'application a eu tendance à s'étendre après la seconde guerre mondiale et sous la Vème République avec l'ordonnance du 7 janvier 1959. 1.1. La tentative d'élargissement d'un concept d'origine militaire Si le décret du 6 avril 1793 confiait déjà au Comité de salut public la charge de prendre "dans les circonstances urgentes les mesures de défense générale extérieure et intérieure", c'est véritablement durant la guerre de 70 qu'est apparu au grand jour la notion de défense nationale, au travers du "gouvernement de la défense nationale". Cette appellation soulignait 1 Amiral Pierre Lacoste, "Les mafias contre la démocratie", J.-C. Lattès, 1992, p. 139. 2/12 Publié dans la Revue Droit & Défense, n° 94/4, octobre 1994, pp. 11-20 la dimension de résistance militaire de l'ensemble de la Nation face à l'agression et à l'invasion allemande. Bernard Chantebout, qui a fait un historique détaillé de ce concept, souligne que le terme est alors à peu près synonyme du mot "guerre" sauf qu'il véhicule un contenu plus dramatique 2. Quelques décennies plus tard, un décret du 3 avril 1906 reprit à son compte l'expression pour créer le "Conseil Supérieur de la Défense Nationale". En fait, il s'agissait simplement d'un Comité regroupant la Présidence du Conseil, les Finances et le Quai d'Orsay avec les différents ministères militaires : la Marine, les Colonies et le Ministère de la Guerre (c'est-à- dire celui qui s'occupe de l'Armée de Terre). Dans la mesure où le terme "guerre" était accaparé au profit des seules forces terrestres, l'expression "Défense nationale" devenait un substitut commode pour désigner l'ensemble de la fonction militaire. Lorsque, par exemple, le colonel De Gaulle conclut le dernier chapitre du "Fil de l'Epée" consacré à la relation entre "le politique et le soldat", il écrit sans ambiguïté : "il n'y a pas dans les armes de carrière illustre qui n'ait servi une vaste politique, ni de grande gloire d'homme d'Etat que n'ait dorée l'éclat de la défense nationale". La défense n'est bien ici qu'une terminologie noble et valorisante pour décrire la vocation et le métier des armes. Cette acception strictement militaire de la "défense nationale" - avec ses connotations à la fois psychologiques et techniques - perdura durant les deux guerres mondiales. Certes, la création en 1921 d'un Secrétariat Général Permanent du Conseil Supérieur de la Défense Nationale, à vocation interministérielle, va donner à certains fonctionnaires et militaires (dont le général de Gaulle qui y travailla cinq ans) l'occasion de réfléchir à une acception plus vaste de la défense. Mais son seul résultat important sera la loi du 11 juillet 1938 sur "l'organisation de la Nation en temps de guerre", qui prend en compte les aspects économiques et industriels de la vie nationale, mais demeure une loi de circonstances à finalité exclusivement militaire : préparer la Nation à supporter et à gagner un conflit armé. Ce n'est qu'entre 1948 et 1950 que quelques textes commencent à évoquer véritablement les aspects non militaires de la défense (aspect financier, économique, psychologique, scientifique, ...) 3. Mais comme dans beaucoup d'autres domaines, c'est la Vème République naissante qui va reprendre à son compte et systématiser les innovations maladroites de la IVème. D'un côté, la Constitution différencie les prérogatives de défense nationale conférées au Premier Ministre (art. 21), de celles de direction des armées exercées directement par le Président (art. 15), même si l'enchevêtrement des responsabilités est réel (le Président préside les Conseils de Défense et le Gouvernement dispose de la force armée) ce qui rend "le droit positif de la défense nationale (...) toujours difficilement lisible" 4. De l'autre, l'ordonnance du 7 janvier 1959 "portant organisation générale de la défense" donne pour la première fois une définition large de la "défense" dans son célèbre article 1er : "La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les 2 Bernard Chantebout, "L'organisation générale de la Défense nationale en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale", L.G.D.J., 1967, p. 6 et 7. 3 B. Chantebout, op. cit., p. 16 et 17. 4 Olivier Gohin, "Les fondements juridiques de la défense nationale", Droit et Défense, juin 1993, n°93/1, p. 13. 3/12 Publié dans la Revue Droit & Défense, n° 94/4, octobre 1994, pp. 11-20 formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. Elle pourvoit de même au respect des alliances, traités et accords internationaux". L'interprétation officielle, tout comme la doctrine dominante, a voulu voir là une révolution juridique majeure (d'une certaine façon, l'équivalent du renversement effectué par les articles 34 et 37 en ce qui concerne les pouvoirs réglementaires et législatifs) : désormais, la défense est d'une part permanente (et non plus seulement une organisation du temps de guerre) et globale (puisqu'elle prend en compte tous les aspects militaires et non militaires de la protection de la Nation contre les agressions) 5. 1.2. Une révolution conceptuelle qui n'a pas abouti Pourtant, on peut douter du caractère effectif et de la portée de cet élargissement consacré par l'ordonnance de janvier 1959. Le caractère interministériel et non militaire de la défense a été partiellement démenti depuis 1959 par la pratique institutionnelle. D'un côté, personnalité de De Gaulle et arme nucléaire obligent, "le centre de gravité s'est tout de suite déplacé de Matignon à l'Elysée" 6, c'est-à-dire du responsable interministériel de la défense vers le chef des Armées. De l'autre, après dix années durant lesquelles n'existait au gouvernement qu'un ministre des Armées, M. Debré a été nommé Ministre de la Défense nationale en 1969 et a obtenu d'importantes délégations de pouvoir du Premier ministre. Dès lors, la confusion des rôles a persisté entre le ministre de la Défense et le Premier ministre, avec pour corollaire une relative "récupération" des affaires de défense par l'institution militaire, au détriment des dispositions de l'article 21 7. Et du même coup, le Secrétariat Général de la Défense Nationale a été rarement en mesure de s'imposer au sein des institutions comme le véritable cœur de la politique de défense française. Il en est allé de même en ce qui concerne les décisions prises pour assurer la mise en oeuvre des dispositions de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Effectuons par exemple la comparaison entre les deux décrets relatifs, l'un à "l'organisation militaire territoriale" (décret du 30 juin 1962) et l'autre à "l'organisation territoriale de la défense" (décret du 12 octobre 1967) : les principaux apports du second décret consistent à décréter que "la zone de défense a les limites territoriales de la région militaire" 8, que "le général commandant la région militaire exerce le commandement de la zone de défense" 9 et "la division militaire territoriale a les limites territoriales de la zone d'action régionale" 10. Il est bien clair ici que l'organisation de la défense ne constitue qu'un "greffon" administratif sur l'organisation militaire et qu'elle ne possède, en elle-même, aucune autonomie. 5 Cf. par exemple, André de Laubadère, Traité de Droit Administratif, tome III, p.106 à 108. 6 O. Gohin, op. cit., p.12. 7 Un autre symptôme de la même tendance fut - après l'affaire Ben Barka - le passage du SDECE de la tutelle de Matignon à celle du ministère des armées. 8 article 1er du décret du 12 octobre 1967, modifié par l'article 24 du décret du 20 avril 1983. 9 article 2 du décret du 12 octobre 1967, modifié par l'article 25 du décret du 20 uploads/S4/ les-notions-de-defense-et-de-securite.pdf

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  • Publié le Dec 16, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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