DEUXIEME THEME Universalité des droits de l'homme et diversité des cultures * A

DEUXIEME THEME Universalité des droits de l'homme et diversité des cultures * Aspects philosophiques des droits fondamentaux Personne, culture et droits : harmonie, polyphonie et dissonance PAR HENRI PALLARD PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ LAURENTIENNE (CANADA) * L'idéologie des droits de la personne est tributaire du mouvement philoso- phique qui voit le jour à l'Âge de la raison ; elle se fonde sur l'idée que tous les êtres humains possèdent une nature universelle qui est conforme à la rai- son. Mais cette pensée a très tôt fait l'objet d'une critique sévère. Nous retrouvons à l'origine de cette critique les mêmes idées qu'à l'origine de la diversité comme trait définissant de la culture humaine : le refus d'une rai- son pouvant accéder à une vérité universelle et, dans son sillage, le refus d'une nature humaine homogène. À la perception eurocentrique du monde moderne vient se substituer une conception plus moderne caractérisée par la contingence ou la relativité des valeurs. Quelle signification devons-nous alors attacher aux diverses déclarations juridiques et politiques affirmant l'universalité des droits fondamentaux ? Y a-t-il des droits irrécusables devant lesquels tous les gouvernements doivent s'incliner et, si oui, pourquoi ces droits sont-ils obligatoires ? Ou les droits de la personne ne sont-ils qu'une expression contingente de certaines valeurs culturelles sans prise sur les gouvernements ? Harmonie, polyphonie et dis- sonance à la fois caractérisent les réponses proposées par Personne, culture et droits à ces questions \ I. - HARMONIE, POLYPHONIE ET DISSONANCE L'harmonie se situe au niveau de la genèse des droits fondamentaux et de ses liens avec le concept de personne. D'abord, nous nous accordons pour dire que la conception du monde et de l'être humain qui caractérise la Modernité rend possible l'apparition historique des droits fondamentaux. Ensuite, nous sommes tous d'avis que la Modernité ne peut pas fonder de façon apodictique la nécessité universelle des droits fondamentaux. * Département de Droit et Justice, Université Laurentienne, Sudbury (Ontario), Canada. 1. Les premiers travaux de l'équipe, Personne, culture et droits, paraîtront dans Droits fonda- mentaux et spécificités culturelles, H. PALLARD et S. TZITZIS (dir.), L'Harmattan, Paris, 1996. 122 HENRI PALLARD Est-il alors possible d'assurer l'universalité des droits fondamentaux tout en respectant la diversité culturelle ? Nous retrouvons-là une véritable dis- sonance. Certains chercheurs croient qu'il y a un fondement aux droits, fon- dement qu'il faut aller découvrir dans une ontologie ou une métaphysique. Quant aux spécificités culturelles, elles sont contingentes et doivent céder le pas devant la nécessité des droits fondamentaux. Les autres chercheurs rejettent la possibilité d'une vérité universelle à laquelle l'être humain peut accéder. En conséquence, les droits fondamen- taux ne possèdent aucune validité universelle. S'étant mis d'accord sur ce point, ces chercheurs se divisent sur la démarche à emprunter par la suite. Un premier groupe reste ferme et refuse toute nécessité aux droits fonda- mentaux. Le deuxième croit qu'il y a une nécessité, une universalité qui se creuse dans l'expérience humaine et qui surmonte la diversité culturelle. Quelle signification devons-nous attacher aux droits fondamentaux ? Là, nous retrouvons une véritable polyphonie, chaque chercheur épousant un point de vue différent. Cette polyphonie porte sur une idée commune, la per- sonne ; mais de quelle « personne » s'agit-il ? A. — Nécessité et universalité des droits fondamentaux Selon Hassan Abdelhamid2, le fondement apodictique des droits de l'homme se retrouve dans leur unité métaphysique, l'idée de justice qui existe dans l'homme en tant qu'elle est vertu 3. Cette recherche récuse l'ap- proche moderne et sa réduction de l'humain à son aspect empirique pour retrouver la signification des droits fondamentaux dans une nature humaine où sa dimension métaphysique est reconnue. Il faut retrouver l'unité ontolo- gique de la personne si on veut assurer les fondements des droits de la per- sonne 4, les garantir contre des interprétations diverses propres à chaque culture. En recourant à l'individualité pour définir la personne, la Modernité deviendrait incapable de découvrir un élément commun à la personne qui dépasse les données culturelles spécifiques car elle aurait universalisé ce qu'il y a de particulier chez l'individu — sa liberté. Il faut plutôt universaliser l'être humain en tant que tel. L'universalité des droits de la personne peut être garantie seulement par la nature universelle de l'être humain. C'est seu- lement en retrouvant F« Homme universel » comme archétype idéal que l'on peut y parvenir. La raison universelle en tant que principe transcendantal de la nature humaine nous permet de saisir la dimension universelle de la nature 2. « Les droits de l'homme et l'Homme universel », dans Droits fondamentaux et spécificités culturelles, pp. 63-80. 3. Ibid., pp. 79-80. 4. Ibid., p. 66. PERSONNE, CULTURE ET DROITS 123 humaine 5. Elle nous permet de saisir l'être humain individuel - relatif et incomplet - comme partie intégrante de 1'« Homme universel » et de surmon- ter ainsi les contingences de l'existence pour fonder les droits fondamentaux sur ce qu'il y a de nécessaire. En adoptant le point de vue de l'idéalisme, selon H. Abdelhamid, on peut retrouver l'inconditionné, l'idée de 1 ' « Homme universel » qui existe indépendamment de nous car 1'« Homme universel » est le principe de toute manifestation ; l'homme individuel en est la résultante, l'aboutissement 6. On pourra alors accéder à une connaissance apodi etique des droits fondamentaux qui seront à l'abri des contingences culturelles ; ils s'imposeront à toutes les sociétés. Pour François Vallançon 7, il n'est pas possible de justifier l'universalité des droits fondamentaux tels que nous les connaissons aujourd'hui parce qu'ils ne sont qu'un simulacre. Il part de la constatation qu'il y a plusieurs manifestations différentes des droits fondamentaux. Cela est dû au fait qu'il n'y a pas d'unité de principe à leur origine ; cet auteur attribue cette absence d'unité aux effets engendrés par l'idéologie qui sous-tend les droits fondamentaux et qui puise ses sources dans la pensée moderne. Selon F. Vallançon, l'homme moderne devient la mesure de toute chose et l'idée d'universalité est réduite à un élément commun. Afin de surmonter la diffi- culté posée par la réduction de l'universalité au général et de redonner une véritable dimension universelle aux droits fondamentaux, ils doivent prendre comme objet une relation bonne et juste. Ce mouvement ne peut s'opérer qu'à partir de la nature ontologique de l'être humain. On doit alors déduire les droits fondamentaux à partir de l'essence de l'homme. De cette unité humaine et naturelle, on peut construire l'unité juridique et culturelle. En effet, ce que nous propose F. Vallançon, c'est de repenser les droits de l'homme à la lumière des philosophies aristétolicienne et thomiste. Les droits fondamentaux dans la pensée moderne prennent les individus comme fondement et le bien et la justice proviennent des individus. Selon F. Vallançon, il faut renverser la perspective : les droits fondamentaux doi- vent porter sur la relation entre les individus. Si les analyses conduites par H. Abdelhamid et F. Vallançon diffèrent, la structure de leurs pensées se ressemble. Conscients du fait que la raison de la Modernité conduit en dernière et ultime analyse à un relativisme absolu, ils cherchent le socle sur lequel toute connaissance doit s'ériger. À partir d'une critique de l'individualité moderne, les deux conçoivent la justice comme le principe d'unité autour duquel s'articulent les droits fondamen- 5. Ibid., p. 66. 6. Ibid., p. 70. 7. Voir « Universalité des droits fondamentaux et diversité culturelle » ; ce texte paraît dans ce volume. Voir également, « Les Droits fondamentaux entre uniformité et diversité des cultures », texte inédit préparé pour Personne, culture et droits. 124 HENRIPALLARD taux. Cette Justice existe indépendamment de l'humain et constitue l'uni- versalité et la nécessité des droits fondamentaux au delà des contingences de l'expérience humaine. En effet, H. Abdelhamid et P. Vallançon ont bien saisi la seule et unique façon d'assurer le caractère universel des droits fondamentaux : si ceux-ci ne possèdent pas une nécessité en soi, il faut les asseoir sur un élément qui puisse leur fournir cette nécessité absolue. On ne peut pas fonder la nécessité et l'universalité sur la contingence de l'expérience ; seulement un élément qui ne fait pas partie de ce monde peut donner cette assurance apodictique. C'est pourquoi H. Abdelhamid et F. Vallançon font appel à la métaphysique ou à la nature ontologique de l'être humain. Cependant, si ces éléments dépassent notre expérience et si notre connaissance se fonde sur elle, com- ment pouvons-nous connaître quelque chose qui la transcende ? En fin de compte, le recours à la métaphysique ou l'ontologie repose sur un acte de foi 8, un acte de la volonté humaine. B. — Le refus de l'universalité L'autre groupe de chercheurs refuse de reconnaître un caractère universel aux droits fondamentaux. Mais un désaccord naît au sujet de la réponse à donner à la prochaine question, à savoir ce que nous pouvons apprendre des droits fondamentaux. Malgré leur renoncement initial, certains chercheurs tentent de récupérer la dimension universelle des droits fondamentaux. Selon Yadh Ben Achour 9, il n'y a pas de droits fondamentaux qui font partie intrinsèque de la nature humaine parce qu'il est impossible de uploads/S4/ num 1 .pdf

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  • Publié le Jan 06, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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