LES INSTITUTIONS SOCIALES ET LE DROIT CIVIL À SPARTE par Claudio Jannet, Docteu

LES INSTITUTIONS SOCIALES ET LE DROIT CIVIL À SPARTE par Claudio Jannet, Docteur en Droit, Avocat à la Cour d’Aix. Paris, 1873 Avant-propos. I. Le régime du travail et la constitution politique dans l’État spartiate. Les Périœques. — Les Hilotes. — Rapports des citoyens avec ces classes. — Constitution politique. II. Lycurgue et l’égalité spartiate. III. Du partage des terres attribué à Lycurgue. Les auteurs anciens antérieurs au IIIe siècle n’ont pas connu ce partage. — Faits montrant l’inégalité des richesses comme ayant toujours existé à Sparte. — Comment ces fausses notions ont pénétré dans l’histoire. IV. Les lois civiles de Sparte. Le droit de propriété. — Les lois de succession. - De l’adoption et de quelques autres moyens de conserver la famille. — De la filiation, du mariage et de la condition des femmes. — Des règlements sur la population et de la colonisation. V. Transformation de la constitution et des lois de Sparte. Changements dans la constitution politique ; formation de différentes classes. — Diminution du nombre des citoyens et concentration des fortunes au VIe et IIIe siècles avant J.-C. — Causes de cette concentration ; nouvelles lois sur les successions. — La guerre des riches et des pauvres ; les rois démagogues, Agis et Cléomène. — Domination romaine. Avant-propos Dans son cahier pour les Etats Généraux de 1789, le tiers-état de Bar-le-Duc demandait qu’on établit une école nationale qui, comme à Sparte, formât des hommes et des citoyens : expression naïve d’une admiration, générale alors pour l’antiquité classique, qui depuis a retenti mainte fois à la tribune de nos assemblées révolutionnaires d’une façon tantôt terrible, tantôt grotesque. Ces fausses notions sur les sociétés anciennes n’ont pas. été sans influence sur le développement de notre caractère national, ce qui prouve une foie de plus qu’aucune erreur historique n’est absolument indifférente. La science moderne a en grande partie fait justice de ces préjugés ; et l’on sait ce que valait la liberté des cités grecques : cependant, il nous paraît y avoir encore une utilité réelle à poursuivre cette œuvre et à montrer comment la famille et le travail, c’est-à-dire la vie morale et la vie économique étaient organisés dans l’antiquité. Ce que plusieurs savants ont fait de nos jours pour Athènes1, nous voudrions le faire pour Sparte. On aurait ainsi deux types à peu près complets de la civilisation hellénique. Cette tâche n’est pas sans difficultés et, pour la remplir, il faut joindre aux résultats acquis par la critique et par l’érudition ceux de la législation comparée. Quelle que soit la valeur de nos recherches personnelles, l’on nous tiendra compte au moins du résumé que nous offrons des importants travaux de l’érudition anglaise et allemande sur ce sujet. Quoique nous nous proposions d’étudier, plus particulièrement les institutions privées, l’organisation de la propriété, le mouvement de la population, le régime du travail, il faut auparavant rappeler d’une façon sommaire les traits principaux de la constitution politique, car chez les anciens la vie privée était en tout et partout subordonnée à la vie publique. 1 M. Caillemer, entre autres, dans ses belles Études sur les antiquités juridiques d’Athènes. Nous devons plusieurs indications précieuses à ce savant aussi obligeant que distingué. I — LE RÉGIME DU TRAVAIL ET LA CONSTITUTION POLITIQUE DANS L’ÉTAT SPARTIATE. Les Spartiates ou citoyens qui formaient la classe dominante avaient rejeté toute la tâche du travail agricole et industriel sur deux classes bien tranchées : les Hilotes et les Périœques. Quant aux esclaves proprement dits, on ne peut pas dire qu’ils formassent une classe dans l’État, puisqu’ils n’avaient aucune participation au droit civil ni au droit public de la cité. Le régime du, travail étant organisé en dehors d’eux, on doit en conclure que primitivement ils étaient peu nombreux et employés exclusivement au service personnel et domestique. § I. Les Périœques. C’étaient les habitants des villes et des districts de la Laconie, descendant des possesseurs du sol que les Doriens Héraclides avaient soumis. Ils avaient l’intégrité des droits de famille ; ils étaient pleins propriétaires, francs tenanciers et ils formaient sous le nom Κωµαι des espèces de communes, qui jouissaient de cet ordre de libertés que nous appelons les franchises municipales. On ne refusait à ces communes le nom plus relevé de πόλεισ que parce qu’elles étaient dans l’ordre politique complètement sujettes de Sparte. Malgré cette dépendance, les Périœques étaient considérés comme Hellènes et hommes libres, ils étaient admis à concourir aux Jeux olympiques1 et servaient dans l’armée spartiate comme hoplites ; au moins en était-il ainsi de ceux qui se livraient à l’agriculture. Quoique la ville et le district de Sparte appartinssent exclusivement aux citoyens de la race dominante, un certain nombre de Périœques y exerçaient les métiers nécessaires à l’agglomération urbaine, métiers auxquels aucun citoyen n’eut pu se livrer sous peine de déchéance. Ces artisans étaient organisés en corporations, ayant leurs héros propres, leurs rites particuliers, et où les professions se transmettaient héréditairement. Telles étaient les corporations de cuisiniers, de marchands de vin, de joueurs de flûte, de boulangers et autres2. En outre, les manufactures, fort importantes on Laconie, étaient exploitées exclusivement par les Périœques. Les métiers, l’agriculture, le commerce leur étaient ainsi une triple source de richesses, car rien de la sévère discipline de Lycurgue ne s’appliquait à eux3, Autant par politique que par mépris. pour le travail, les Spartiates leur abandonnaient volontiers ces avantages. La force de leur discipline civile et leur puissance acquise comme gens de guerre et de gouvernement leur paraissaient assurer suffisamment leur domination. § II. - Les Hilotes. A un rang de beaucoup inférieur étaient les Hilotes, véritables serfs de la glèbe, qui cultivaient les terres appartenant aux Spartiates et étaient dans une dépendance personnelle vis-à-vis du gouvernement de Sparte4. 1 Pausanias, III, ch. 22, 14. (éd Didot). Sur les Périœques v. Ottfried Müller, Die Dorier, III, chap. II, tom. II, p. 21 et suiv. 2 Hérodote, VI, c. 60 (éd. Didot). —Élien, Hist. var., XIV, c. 7 (éd. Didot). — Athénée, II, ch. III, p. 39 ; IV, ch. XXII, p. 173 ; XII, ch. XII, p. 550 (éd. Casaubon, Lugdunum, 1612). 3 V. à ce sujet une anecdote caractéristique rapportée par Myron dans Athénée, XIV, c. XXI, p. 657. 4 Probablement des Hilotes étaient aussi attachés aux fonds de terre des Périœques. (V. Grote, Hist. de la Grèce, qui renvoie à Tite-Live XXXIV, 27 ; mais les Périœques pouvant se livrer eux- Les Hilotes étaient une population essentiellement rurale : Le bonnet de cuir et le vêtement grossier qu’ils portaient étaient ceux do tous les paysans grecs. Peut- être étaient-ils réduits à cette condition dès avant l’invasion des Doriens, et leur aptitude constante pour la marine peut faire conjecturer qu’ils descendaient de ces redoutables navigateurs du Péloponnèse, mentionnés dans les inscriptions égyptiennes de la 19e et de la 20e dynasties, comme ayant fait partie de la confédération des peuples pélasgiques qui fit, à plusieurs reprises, des descentes dans les villes du Delta1. Quoiqu’il en soit de cette origine, voici en résumé quelle était leur condition dans l’état. Ils étaient attachés héréditairement à des fonds de terre moyennant une redevance payée au propriétaire spartiate, mais en raison même de cette attache héréditaire, ils avaient une partie des avantages de la propriété. Leur statut de famille était reconnu et ils pouvaient élever leurs enfants dans les lieux où avaient vécu leurs pères, les redevances qu’ils avaient à payer étaient figées une fois pour toutes par la religion publique et nul ne pouvait en élever le taux2. Tyrtée, dans un de ses fragments, a dépeint sous des couleurs fort sombres la condition de l’Hilote qui devait donner à son maître la moitié des fruits de la terre ; mais ceci paraît avoir été particulier aux Messéniens vaincus ; les autres Hilotes, ceux de l’ancien territoire laconien étaient moins maltraités3. Le profit qu’ils pouvaient retirer de leurs champs par une meilleure culture leur appartenait ainsi en propre. Il en était de mémo du produit de leur industrie et du butin fait à la guerre. Aussi, un certain nombre d’entre eux arrivaient-ils à la richesse et à un degré de talent qui en faisait dans leur classe des hommes importants4. Quoique les Hilotes dussent des services personnels aux maîtres des fonds auxquels ils étaient attachés, et que notamment ils fussent obligés de les accompagner à la guerre comme vélites, l’État seul avait juridiction sur eux ; seul il pouvait les punir de mort, les séparer du fonds héréditaire, seul encore il pouvait les affranchir et en faire des citoyens. Si généralement les Spartiates étaient vis-à-vis des Hilotes ombrageux et cruels, (la chasse aux hommes ou cryptie indique assez la nature de leurs procédés gouvernementaux), ils ne leur fermaient pas toute espérance d’arriver à la liberté. Leur politique était parvenue à créer entre eux plusieurs classes, selon le degré de liberté et de confiance qu’on leur accordait ; un certain nombre, sous le nom de νιοδαµοδειτ, étaient élevés au rang de citoyens, quoique avec des droits inférieurs à ceux des Spartiates d’origine5. Au uploads/S4/ sparte 1 .pdf

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  • Publié le Fev 12, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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