INTRODUCTION 1 L’expression « droit des entreprises en difficulté » est d’appar
INTRODUCTION 1 L’expression « droit des entreprises en difficulté » est d’apparition récente et se substitue à celle plus classique de « procédures collectives de paiement » ou encore plus traditionnelle de « droit des faillites ». Ces modifications de la terminologie, purement formelles en apparence, révèlent, en réalité, une évolution très profonde de la matière qui, d’une discipline orientée vers le désintéressement des créanciers d’un commerçant qui cesse ses paiements, devient un ensemble de règles destinées à prévenir et à traiter les défaillances d’entreprises. 2 En effet, jusqu’aux réformes réalisées par les lois du 1er mars 1984 et du 25 jan- vier 1985, les dispositions applicables aux commerçants qui ne pouvaient payer leurs dettes étaient principalement axées sur leur règlement. Il s’agissait de mettre en place une procédure organisée et collective de paiement du passif. La situation du commerçant se distinguait ainsi naturellement de celle du débiteur civil exposé aux poursuites individuelles et aux saisies de ses créanciers à l’égard desquels le paiement demeurait « le prix de la course »1. La séparation ainsi effectuée était claire et aisément justifiable. La faillite appa- raît alors comme une procédure judiciaire réglementée, collective et égalitaire, regroupant tous les créanciers afin de les payer en proportion de leurs créances. La spécificité des affaires impose une telle organisation : le banc du commerçant est rompu (banqueroute) quand il faillit au paiement. Il faut saisir ses biens pour protéger le crédit et éviter des défaillances en chaîne. La faillite est donc un droit du paiement présentant un caractère répressif marqué car il est nécessaire de punir celui qui compromet le crédit. Elle poursuit une double fonction de règlement des créances et d’assainissement du commerce. Au contraire, le débiteur civil est inex- périmenté. Sa défaillance a peu de répercussions économiques et sociales. Il est ■1. V. pour une telle présentation classique de la matière, G. RIPERT (Cours de droit commercial, Les cours du droit, 1944-1945, p. 577) qui fonde l’utilité de la faillite sur trois principes : la nécessité du paie- ment à jour fixe des dettes commerciales ; l’égalité entre les créanciers et une bonne liquidation du patri- moine commercial, op. cit., p. 578 et s. ; v. aussi, J. ESCARRA, Cours de droit commercial, Sirey, 1952, no 1466 : « Le commerce repose essentiellement sur le crédit et c’est le crédit qui exige qu’en cas de défail- lance d’un commerçant, les intérêts de ses créanciers soient protégés d’une façon plus énergique que les intérêts des créanciers civils ». 9 normal que chaque créancier exerce les voies de droit ordinaires pour obtenir le paiement de ses créances. Le débiteur est en déconfiture, état fort peu réglementé par le Code civil2. 3 Cette vision un peu manichéenne du droit du paiement variant selon la qualité du débiteur, qui se retrouve dans d’autres législations européennes3, a été progres- sivement édulcorée. D’une part, des non-commerçants : agriculteurs, artisans et sur- tout, professionnels libéraux et officiers ministériels, par exemple, sont rentrés dans le champ d’application de textes autrefois réservés aux commerçants. D’autre part, le législateur a institué une procédure de traitement des situations de surendette- ment des particuliers permettant un apurement étalé de leurs dettes grâce à l’élabo- ration d’un plan conventionnel de redressement4. Mais surtout, ce droit du paiement est devenu un droit de l’entreprise en difficulté que son objet soit commercial ou civil5. 4 Pourquoi un tel passage d’un droit des « faillites » à un droit « des entreprises en difficulté » ? Les raisons en sont multiples mais les deux principales semblent d’ordre écono- mique et psychologique. En premier lieu, en effet, ce sont des pans entiers de l’économie qui sont tou- chés par les défaillances d’entreprises. Au cours de la deuxième moitié du ving- tième siècle s’est constaté l’affaiblissement, voire la disparition de certains secteurs d’activité, tels que ceux des charbonnages, des chantiers navals, des mégisseries ou de l’industrie textile. D’autres domaines ont montré leur extrême fragilité comme celui de la construction et de la promotion immobilière6, de la distribution du maté- riel informatique et de bureau, des entreprises « de l’internet »7. L’ampleur du phé- nomène se traduit par une augmentation sensible du nombre des défaillances ■2. Le Code civil attachait essentiellement trois effets à la déconfiture : la déchéance du terme (art. 1188) ; la résolution des contrats conclus intuitu personae (art. 1865, 2003) et la procédure de distri- bution par contribution. ■3. Pour une étude d’ensemble des droits internes et du droit international des faillites en Europe, v. L. IDOT et C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Procédures collectives », J.-Cl. Europe, 1993, fasc. 870 et 871. ■4. C. consom., art. L. 333-1 et s. V. sur la comparaison, B. SOINNE, « “Surendettement” et “faillite” : “Unité ou dualité des régimes” », LPA 1997, no 153, p. 4 ; Colloque Nanterre, « Est-il légitime de traiter distinctement les particuliers surendettés et les entreprises en difficulté ? », Gaz. Pal. 26/27 févr. 2003, no 57 à 58, p. 1 ; A. REYGROBELLET, « Caractère collectif de la procédure et traitements du surendettement des particuliers », in Que reste-t-il des principes traditionnels des procédures collectives face au morcelle- ment du traitement de la défaillance ?, Colloque CERDACE, Univ. Paris Ouest, Rev. proc. coll. 2012, dossier no 12, p. 76. ■5. Infra, no 40 et s. Sur l’évolution, v. J. PAILLUSSEAU, « Du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté », Études offertes à Roger Houin, Dalloz, 1985, p. 109 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « De la faillite au droit des entreprises en difficulté, Regards sur les évolutions du dernier quart de siècle », in Regards critiques sur quelques évolutions récentes du droit, Travaux de l’IFR, Mutations des normes juri- diques, PU Toulouse I, 2005, p. 299 ; « La modernisation du droit des faillites. Du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté », in La modernisation du droit des affaires, sous la direction de G. JAZOTTES, Litec, coll. « Colloques », 2007, p. 77. ■6. B. CANCIANI, « Prévention et règlement des difficultés des entreprises immobilières, solutions pal- liatives à la crise actuelle », Professions immobilières juill.-sept. 1992. ■7. J. LARRIEU, Le droit de l’internet, Ellipses, 2005. DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ 10 enregistrées malgré un certain tassement passager8. La crise économique mondiale grandissante depuis 2007 n’a fait qu’aggraver le processus des défaillances d’entre- prises en révélant particulièrement l’extrême fragilité du secteur bancaire avec le risque systémique des faillites en cascade9. ÉVOLUTION DES DÉFAILLANCES* 1969 : 10 632 1980 : 20 629 1991 : 53 252 2002 : 39 441 1970 : 11 823 1981 : 17 065 1992 : 53 738 2003 : 41 000 1971 : 11 797 1982 : 20 895 1993 : 53 395 2004 : 40 868 1972 : 10 802 1983 : 22 474 1994 : 47 953 2005 : 41 793 1973 : 11 572 1984 : 25 020 1995 : 54 327 2006 : 40 341 1974 : 10 217 1985 : 26 425 1996 : 56 605 2007 : 43 048 1975 : 16 656 1986 : 27 806 1997 : 52 075 2008 : 55 514 1976 : 14 346 1987 : 30 766 1998 : 46 752 2009 : 60 000 1977 : 15 853 1988 : 35 052 1999 : 41 339 2010 : 61 749 1978 : 17 570 1989 : 40 042 2000 : 41 000 2011 : 59 605 1979 : 17 408 1990 : 46 170 2001 : 42 520 2012 : 61 214 * 1969 à 1980 ; 1994 à 2003 : statistiques ministère de la Justice. 2004 et 2005 : statistiques AGS, 2006-2011 : statistiques Altares ; 2012 : Chiffre donné par la Banque de France. La disparition de tout ce tissu industriel a entraîné une suppression des emplois qui y étaient attachés et le dépeuplement de régions entières. Il est alors apparu irréaliste au législateur d’approcher la matière uniquement au travers du prisme du règlement des créances. Les procédures collectives ne constituent plus seule- ment un droit du paiement, une relation créancier-débiteur, fut-elle collective, mais aussi un droit du maintien de l’activité et des restructurations économiques10. La faillite, a-t-on pu dire11 n’est plus ce qu’elle était : « La raison commerciale cède le pas à la raison d’État »12, le paiement du créancier à la sauvegarde de l’entreprise et de l’emploi. L’ancien droit des faillites est devenu une branche essentielle du droit économique, phénomène accentué par la loi du 26 juillet 2005 de ■8. De nombreux éléments statistiques sont également fournis par le rapport de M. MONTEBOURG relatif à l’enquête conduite sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, Rapp. AN, no 1038, 2 juill. 1998, JO 3 juill. 1998. Sur l’absence de statistiques fiables : F. PÉROCHON, « À propos des chiffres de la sauvegarde », in La loi de sauvegarde a l’âge de raison, Droit et patrimoine, mars 2013, p. 46. ■9. V. « La faillite de Lehman Brothers », Dossier sous la dir. d’H. SYNVET, RD bancaire et fin. uploads/Finance/ 1807.pdf
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- Publié le Nov 22, 2021
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