SYSTÈMES FINANCIERS ET CROISSANCE PIERRE JACQUET* JEAN-PAUL POLLIN** A u-delà d
SYSTÈMES FINANCIERS ET CROISSANCE PIERRE JACQUET* JEAN-PAUL POLLIN** A u-delà de ses coûts considérables, la crise de 2007-2009 sou- ligne les lacunes criantes qui subsistent dans notre compré- hension du rôle de la finance et de son intégration avec l’éco- nomie. Jusqu’aux années 1980, les liens entre l’économie réelle et l’économie financière étaient relativement peu étudiés. Les théories de la croissance ne faisaient aucune place au rôle du secteur financier. Il fallait remonter à Schumpeter pour trouver une analyse substantielle du rôle du crédit. Il considérait en effet que l’entrepreneur et le banquier représentaient les deux acteurs complémentaires du processus d’inno- vation. Après lui, les travaux se sont plutôt concentrés sur le rôle de l’entrepreneur. La littérature économique sur les systèmes financiers connaît un certain renouveau dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment avec les travaux de Gurley et Shaw (1955) qui identifient une relation significative entre les intermédiaires financiers et la crois- sance. Goldsmith (1969) consacre une étude importante au rôle de la structure financière dans le développement. Puis McKinnon (1973) et Shaw (1973) soulignent l’effet négatif de la répression financière (pla- fonnement des taux d’intérêt, politique d’allocation sélective du crédit, protectionnisme financier) qui réduit la formation de capital, biaise les choix techniques au détriment des activités intensives en main-d’œuvre et conduit à des investissements intensifs en capital et de piètre qualité. Le renouveau théorique des années 1980 et 1990, notamment nourri par la modélisation de la croissance endogène, permet de préciser la * Agence française de développement. ** Laboratoire d’économie d’Orléans, université d’Orléans. 77 relation entre le développement financier et la croissance et d’en appro- fondir la compréhension. Cet article traite essentiellement du finance- ment de l’économie, à l’exclusion des instruments d’assurance qui four- nissent également des services financiers fondamentaux pour la croissance. Nous dressons tout d’abord un bilan rapide de la littérature1, avantd’analyserplusendétaillerôledelastructuredusystèmefinancier, c’est-à-dire de la place respective des marchés et des intermédiaires financiers, puis d’étudier les facteurs déterminants du développement financiers et enfin de caractériser la situation particulière des pays pauvres. FINANCE ET CROISSANCE : UNE SYNTHÈSE Un tour d’horizon théorique Considérer que la croissance économique peut être fonction du développement financier implique naturellement de reconnaître son caractère endogène. Car on sait que dans les modèles « à la Solow » le taux de croissance à long terme de l’économie ne dépend que du progrès technique et de l’évolution de la population active, l’un et l’autre donnés de façon exogène, c’est-à-dire étrangers au fonctionne- ment de l’économie (à ses institutions, à ses conditions de finance- ment...). Pour formaliser de façon aussi simple que possible les canaux par lesquels la finance peut interagir avec la croissance, il faut donc écrire un modèle de croissance endogène. On le fera en s’appuyant sur une contribution déjà ancienne de Pagano (1993), qui se résume à la spécification des relations suivantes : – tout d’abord une fonction de production de type : Yt = AKt qui suppose que le niveau de production Yt est proportionnel au stock de capital Kt, A étant un paramètre représentant un facteur de pro- ductivité. On justifie traditionnellement une telle fonction par l’exis- tence d’externalités (apprentissage, rôle du capital humain et d’autres formes de capital complémentaires au capital physique, rôle des insti- tutions, des politiques publiques, du secteur financier...) qui permet- tent d’expliquer la présence au niveau macroéconomique de rende- ments d’échelle constants ; – on écrit ensuite une équation comptable de définition de l’inves- tissement I, qui s’interprète aussi comme décrivant la dynamique de l’accumulation du capital : It = Kt+1 −Kt (I −d) d représentant le taux d’amortissement du capital ; – enfin, on pose l’égalité entre l’investissement et l’épargne nette des coûts de fonctionnement du système financier : It = øSt REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 78 (1 −ø) représentant le taux de prélèvement de ces coûts sur l’épargne et pouvant donc être interprété comme une mesure de l’inefficience du système financier. On peut alors écrire l’équation du taux de croissance : s représentant le taux d’épargne Ce qui revient à dire que le taux de croissance de l’économie est fonction de trois variables qui traduisent les incidences exercées par le système financier sur le secteur réel. Le système financier influe ici de trois façons sur la croissance du capital et de la production : – par sa capacité à sélectionner les projets d’investissement, il agit sur la productivité du capital ; – par le niveau plus ou moins élevé de ses coûts de fonctionnement, il conditionne le niveau d’épargne mis à disposition de l’investisse- ment ; – par sa capacité à offrir des placements attractifs (c’est-à-dire bien rémunérés, présentant une bonne diversification des risques...), il peut induire un niveau d’épargne plus élevé. On sait cependant qu’il existe sur ce point une ambiguïté liée à la possible opposition entre effet de revenu et effet de substitution : des placements mieux rémunérés ou moins risqués peuvent inciter, par exemple, à réduire l’épargne de précaution. La modification de chacun des paramètres identifiés influe sur le taux d’accumulation du capital et, en conséquence, sur le taux de croissance. Une élévation de la productivité du capital accroît le niveau de revenu, donc de l’épargne et par conséquent de l’investissement ; tandis qu’une élévation du taux d’épargne, ou une amélioration de l’efficience opérationnelle du système financier, augmente le taux de croissance de l’investissement et donc de la production. Cela étant, il reste à préciser ce qui sous-tend ces enchaînements et cela renvoie à la qualité des services financiers fournis aux utilisateurs. Levine (2005) montre qu’ils mettent essentiellement en jeu le traite- ment de l’information et la baisse des coûts de transaction et identifie cinq fonctions majeures des systèmes financiers : – la facilitation des échanges de biens et de services ; – la mobilisation et la collecte de l’épargne ; – la production d’information sur les investissements envisageables et l’allocation de l’épargne ; SYSTÈMES FINANCIERS ET CROISSANCE 79 – la répartition, la diversification et la gestion du risque ; – le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance. Il appelle « développement financier » le processus par lequel les instruments, les marchés et les intermédiaires financiers améliorent le traitement de l’information, la mise en œuvre des contrats et la réali- sation des transactions, permettant ainsi au système financier de mieux exercer les fonctions définies ci-dessus. Le système financier facilite les échanges de biens et de services en réduisant les coûts de transaction et d’accès à l’information associés à ces échanges. Son rôle se compare à celui de la monnaie, qu’il appro- fondit, notamment en facilitant les paiements et en élargissant la dimension intertemporelle par l’accès au crédit. Le lien avec la crois- sance passe par l’interaction entre le développement des échanges et la spécialisation, l’efficacité productive et l’innovation, très étudiée par ailleurs dans la littérature économique. Cette interaction se produit autant au niveau national qu’au niveau international, le développement des échanges ayant contribué à la mobilité des capitaux qui, à son tour, nourrit la vigueur du commerce international. Le bilan en termes de croissance dépend cependant de la façon dont cette interaction engen- dre un processus efficace d’allocation des ressources. En cas d’imper- fections de marché, particulièrement présentes sur les marchés finan- ciers, mais aussi de politiques susceptibles de conduire à des distorsions de prix et de signaux qu’ils véhiculent, ce n’est pas nécessairement le cas. Le rôle du système financier dans la mobilisation et la collecte de l’épargne se comprend aisément. Il permet en effet de constituer un stock de ressources financières à partir de la contribution non coor- donnée d’un grand nombre d’épargnants, ce qui est susceptible de générer des coûts de transaction importants. Il assure aussi une fonction essentielle de garant de la confiance, nécessaire pour que chaque épargnant soit prêt à confier son épargne, rôle qui relève du traitement de l’information mentionné ci-dessus. Ce rôle est assuré aussi bien par les marchés que par les intermédiaires financiers : les marchés proposent, dans un contexte institutionnel encadré par des autorités de régulation, divers véhicules, qu’il s’agisse de placements en actions, en obligations, de différents types de produits ou de fonds communs de placement ; les intermédiaires financiers attirent l’épar- gne par la réputation qu’ils acquièrent dans leur capacité à faire fructifier cette épargne, dans un contexte également régulé et assorti de diverses garanties des dépôts, ce qui est susceptible de rassurer l’épargnant. Cette fonction est au cœur du premier canal de trans- mission vers la croissance noté par Pagano et affecte directement REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 80 l’accumulation de capital, mais aussi la disponibilité de volumes importants d’épargne pouvant financer l’innovation ou des investis- sements massifs nécessaires à l’exploitation de rendements croissants. Ce rôle dans l’accumulation du capital prend cependant tout son sens avec la troisième fonction qui porte sur l’acquisition d’une infor- mation suffisante et de qualité concernant la profitabilité des projets d’investissement ou la capacité des agents à s’endetter. En l’absence de cette information, l’accumulation de capital peut s’avérer inefficace et nuire à la croissance à long terme, comme l’a amplement uploads/Finance/ 92-systemes-financiers-et-croissance.pdf
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- Publié le Oct 17, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
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