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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Guerre en Ukraine : sous pression, Heineken promet de se retirer de Russie PAR OLIVIER VAN BEEMEN ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 28 MARS 2022 Heineken s’est engagé lundi à se retirer de Russie à cause de la guerre en Ukraine. Des salariés du groupe dénonçaient depuis des semaines l’hypocrisie du brasseur, qui n’avait jusqu’alors cessé la production que d’une seule de ses marques, sur plus de 35. Vladimir Poutine boit une bière Heineken lors des JO d'hiver de Sotchi le 9 février 2014. © AFP / pool / Mikhail Klimentyev Le brasseur néerlandais Heineken a annoncé lundi 28mars qu’il quitterait la Russie, où il compte 1800employé·es, à cause de la guerre en Ukraine qui se poursuit. Son activité n’est «plus viable dans l’environnement actuel», lit-on dans un communiqué du deuxième plus gros brasseur mondial. « Nous visons une cession ordonnée de notre entreprise à un nouveau propriétaire en pleine conformité avec les lois internationales et locales», a précisé Heineken. Le brasseur prévoit que la transaction lui coûtera 400millions d’euros en raison de la perte de valeur de cet actif, et autres «charges exceptionnelles». Mais Heineken n’a pas donné de calendrier précis pour cette cession, et l’opération, hasardeuse en temps de guerre, pourrait s’avérer particulièrement longue. Le 9 mars, Heineken avait annoncé l’arrêt de la production et de la vente de sa marque emblématique en Russie, mais s’était gardé d’aller plus loin, suscitant de vives critiques en interne. Nous republions notre article du 25mars 2022. * * * « Comme de nombreux collègues, je suis profondément déçu par la décision de Heineken de rester présent sur le marché russe. Le problème a été soulevé plusieurs fois en interne, mais ignoré par la direction», confie un lanceur d’alerte au sein du brasseur néerlandais Heineken. Ce responsable, dont le nom et la fonction nous sont connus, poursuit: «La communication à ce sujet est également mauvaise. Je la considère comme une tentative délibérée de tromper l’opinion publique.» Ces propos peuvent surprendre. Il y a deux semaines, des journaux annonçaient la mise en arrêt des activités russes du numéro deux mondial de la bière. «Heineken arrête la production et la vente de bières en Russie», titrait Le Figaro, tout comme le Wall Street Journal et NRC, journal de référence aux Pays-Bas. Dans le détail, le brasseur néerlandais n’interrompt toutefois que la production et la vente de sa marque la plus célèbre et non pas celle des nombreuses autres marques – plus de 35 au total – qu’il fabrique localement, comme Amstel, Affligem et les marques russes Botchkarev, Ochota et Tri Medvedya. « De manière cynique, Heineken utilise le fait que le nom de l’entreprise et l’une de ses marques soient identiques», déclare ce lanceur d’alerte. «Heineken échappe ainsi aux critiques et au possible boycott des entreprises qui restent ouvertement en Russie.» Selon notre source, les ventes de la marque Heineken ne représentent que 12% du volume de bière vendu en Russie et 18% des recettes. Ce qui signifie que Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 plus de 80% de ses activités ne sont pas touchées. Les sept brasseries de Heineken dans le pays continuent de tourner. Vladimir Poutine boit une bière Heineken à la « Holland Heineken House » lors des JO d'hiver de Sotchi le 9 février 2014, aux côtés du roi des Pays- Bas, Willem-Alexander (en bas à gauche). © AFP / pool / Mikhail Klimentyev Dolf van den Brink, le PDG du groupe, a fait savoir qu’il ne souhaite plus engranger de bénéfices réalisés en Russie et que cette filiale serait financièrement séparée de la maison mère. Mais l’entreprise n’a pas répondu à nos questions, pour savoir comment elle pensait y parvenir concrètement, ni à qui profiteront désormais les bénéfices éventuellement réalisés pendant la période de guerre. En maintenant sa présence, Heineken continue de payer des taxes et impôts au gouvernement russe. L’entreprise refuse de communiquer sur les chiffres de 2021, mais fait état de près de 300millions d’euros en 2016 et près de 400millions en 2019. Comparés aux revenus des secteurs pétrolier ou gazier, ce sont des sommes relativement modestes, mais utiles pour Moscou en temps de guerre. Dans un communiqué publié le 9mars, Dolf van den Brink écrit qu’il fait «une distinction claire entre les actions du gouvernement [russe] et les employés» qui travaillent pour Heineken en Russie, et qui sont 1800 au total. «Le soutien à nos employés et à leurs familles est l’un de nos principes fondamentaux.» Par le passé, Heineken a déjà argué de sa loyauté vis-à- vis de ses employé·es pour ne pas quitter un territoire où sa présence pouvait contribuer, indirectement, à des crimes de guerre ou à d’autres violations des droits humains, par exemple au Burundi ou en République démocratique du Congo.Or, cela n’a pas empêché l’entreprise de procéder à des licenciements massifs peu de temps après. En février 2021, Dolf van den Brink avait aussi saisi l’argument de la pandémie pour supprimer 8000emplois dans le monde, alors que les bénéfices de Heineken en 2021 atteignaient plus de deux milliards d’euros, pas très loin du niveau d’avant la pandémie: 2,6milliards (2019). Des salariés en désaccord avec la stratégie du groupe L’interprétation qu’a faite Heineken des sanctions contre Moscou est aussi douteuse. Le 4mars, la société a annoncé la fin de ses exportations et investissements dans le pays. L’entreprise s’est bien gardée de dire que ses exportations vers la Russie – selon les chiffres fournis par le lanceur d’alerte - représentent moins de 2% de son chiffre d’affaires et qu’en raison des sanctions financières, il n’était de toute façon guère possible d’exporter. Le groupe a aussi communiqué sur le don d’un million d’euros pour l’aide humanitaire en Ukraine. Cela correspond à 0,05% des bénéfices du brasseur en 2021. Quant au bonus, payé en actions, que Dolf van den Brink a reçu l’année dernière (pour sa performance en 2020, quand l’entreprise a subi une perte de 200millions d’euros à cause de la pandémie), il était 3,5fois plus élevé... Au sein de Heineken, le comportement de la direction ne fait pas l’unanimité, comme le montrent des captures d’écran du programme interne «Workplace », une sorte de Facebook pour les employé·es, que nous avons pu consulter. «Il est maintenant temps pour Heineken de suivre les traces d’autres entreprises courageuses et d’arrêter de vendre ses produits» en Russie, écrit un employé dans une réponse à un message de la direction sur les sanctions. «C’est honteux que nous n’ayons pas agi avant.» « Je suis d’accord, répond un collègue. La plus grande contribution qu’on puisse apporter en tant qu’entreprise est de ne plus faire du business en Russie.» «Personne ne peut aider les victimes et faire des affaires avec les envahisseurs russes en même temps, ajoute un troisième. C’est juste immoral.» Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 Sur LinkedIn, une salariée du groupe s’interroge, elle, publiquement: «Pourquoi les activités ne sont-elles pas arrêtées pour donner un signal fort? Seul le peuple russe peut arrêter cette guerre insensée et si les médias libres ne peuvent pas l’atteindre, alors peut-être les grandes marques le pourront...» Dans le monde des brasseurs, Heineken, leader du marché français (avec des marques comme Pelforth, Fischer, Desperados, et l’artisanale Gallia), n’est pas la seule entreprise mise en cause pour son hypocrisie. Son concurrent danois Carlsberg, le numéro un en Russie, a adopté la même démarche: la marque Carlsberg n’y est plus fabriquée ni vendue et la filiale est dissociée de la maison mère. La vente d’autres marques, comme la célèbre Baltika, se poursuit. Les géants de l’alimentation Unilever et Nestlé se sont contentés d’une suspension de leurs investissements et de leurs exportations en Russie. Cette approche a suscité de vives critiques, notamment dans le cas de Nestlé. «Payer des impôts à un pays terroriste revient à tuer des enfants et des mères sans défense. J’espère que Nestlé changera bientôt d’avis», a écrit le premier ministre ukrainien Denys Shmyhal sur Twitter. Si l’on s’en tient à leur propre communication, McDonald’s, Starbucks et Netflix ont complètement cessé leurs activités russes. Le lanceur d’alerte de Heineken ne mâche pas ses mots. Il trouve le comportement de son employeur «trompeur, contraire à l’éthique et – dans le contexte de cette horrible guerre – tout simplement répréhensible». Il poursuit: «Malheureusement, la pression des employés n’a pas servi. J’espère que la révélation de cette hypocrisie et la pression extérieure obligeront la direction à revenir sur sa décision.» Sollicité, Heineken n’a pas répondu à la plupart de nos questions. Un porte-parole nous a toutefois écrit que la décision de retirer sa marque phare est une première pour l’entreprise et qu’elle était le premier grand brasseur à prendre cette décision en Russie (Carlsberg a fait une annonce similaire, également le 9mars). «Nous continuons la production à un niveau inférieur afin de payer nos employés et de minimiser le risque de nationalisation par le gouvernement russe», a ajouté ce porte-parole. La version originale de cet article est parue uploads/Finance/ article-1021127.pdf

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  • Publié le Fev 03, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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