L’enquête sociologique à l’épreuve de l’environnement. Comprendre la nature et

L’enquête sociologique à l’épreuve de l’environnement. Comprendre la nature et l’action en train de se faire Sociologist field investigation facing the environment. Understanding nature and action in progress Thomas Debril, Pierre-Marie Aubert et Antoine Dore https://doi.org/10.4000/sds.3752 Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteurs RÉSUMÉS FRANÇAIS ENGLISH La multiplication des questions environnementales pose à la sociologie une double question, scientifique et politique, que cet article entend aborder sous l’angle de la pratique de l’enquête en contexte de commande publique. Comment intégrer les objets de nature à la description et à l’analyse sociologique ? Comment accompagner la prise en charge des questions environnementales ? Pour répondre à ces questions, cet article prend ses distances avec les implicites d’une commande publique fréquemment exprimés en termes de représentations sociales ou de faisabilité. Il montre les apports d’une sociologie d’inspiration interactionniste à trois moments de l’enquête. Tout d’abord, contre l’implicite théorique faisant des représentations collectives le ressort de l’explication, l’article défend une renégociation de la commande permettant de privilégier l’analyse des actions individuelles et de la nature des échanges entre acteurs. Ensuite, contre l’implicite ontologique entérinant le face à face entre nature et culture, l’article montre l’intérêt d’une approche constructiviste dans le recueil des données mieux à même de saisir les manières dont se redéfinissent mutuellement les deux termes. Enfin, face à l’implicite politique poussant à réfléchir au changement de manière exogène et balistique, l’article défend l’intérêt d’une restitution aux acteurs redonnant sa place aux processus d’apprentissage. Haut de page ENTRÉES D’INDEX Mots-clés : action collective, gestion de l’environnement, constructivisme, stratégie, acteur-réseau Keywords: Keywords : collective action , environmental management, constructivism, strategy, actor-network Haut de page PLAN La commande et la problématisation : de l ’ implicite th é orique à ses cons é quences prax é ologiques Contre les implicites trop fréquents d’une commande : faisabilit é du projet et repr é sentations des acteurs Pour une sociologie de l’action collective : n é gocier un autre rapport au terrain Des rapports politiques au terrain contrastés : sociologie pour l ’ environnement et sociologie de l ’ environnement Le recueil et l’analyse de données : comprendre la nature et l ’ action en train de se faire Les deux figures symétriques de l’implicite ontologique : biocentrisme et sociocentrisme Les vertus d’une approche constructiviste : comprendre l ’ action en train de se faire Différentes manières d’être constructiviste Retour vers le commanditaire : restitution du travail sociologique et intervention Coercition, incitation ou pédagogie : travailler à l ’ acceptation du projet Susciter de nouvelles régulations avec les acteurs : les processus d ’ apprentissage autour d ’ un diagnostic partag é Des sensibilités différentes : d ’ une sociologie de combat à une sociologie des combattants Haut de page TEXTE INTÉGRAL PDF Signaler ce document 1 Cet article s’appuie en grande partie sur les expériences d’enseignement des auteurs auprès d’étudi (...) 1La sociologie s’est affirmée à partir du moment où elle a assumé la spécificité des objets de recherche auxquels elle avait affaire : des objets pensant, qui nécessitent des méthodes distinctes de celles des sciences de la nature. Si les problèmes environnementaux et les alertes qui y sont associées ne datent pas d’hier (Fressoz et al., 2014), la multiplication des questions environnementales à laquelle on assiste aujourd’hui conduit la sociologie à relever un défi symétrique : comment prendre en charge ces objets de nature contre lesquels elle s’est, d’une certaine manière, construite ? Deux enjeux sont au cœur d’un tel questionnement. Le premier est scientifique et peut se formuler comme suit : comment intégrer les non-humains à la description et l’analyse sociologique ? Le second est praxéologique, ou politique. Il interroge la capacité de la sociologie comme la volonté des sociologues à prendre au sérieux les problématiques environnementales pour accompagner leur prise en charge. Alors que les implications théoriques et épistémologiques de ces enjeux ont fait l’objet de nombreux travaux au cours des vingt dernières années (Raffestin, 1996 ; Larrère et Larrère, 1997 ; Latour, 2004 [1999] ; Descola, 2005 ; Houdart et Thiery, 2011), leurs conséquences sur la pratique concrète de l’enquête sociologique ont été rarement abordées. Dans ce contexte, l’originalité de cet article consiste à explorer les évolutions possibles de l’enquête permettant de prendre en compte les objets environnementaux. Symétriquement, il s’interroge sur la manière dont ces évolutions contribuent à traiter la question environnementale d’une manière spécifique1. 2En matière d’environnement, la commande adressée à la sociologie, par les commanditaires ou par les sciences biotechniques, est fréquemment posée en termes de représentations sociales. Nous voudrions d’abord montrer que ce type de commande embarque avec elle trois types d’implicites qui permettent difficilement de répondre aux enjeux soulevés ci-dessus. Un implicite théorique en premier lieu, qui fait des représentations individuelles et collectives le ressort de l’explication des phénomènes sociaux et, du même coup, la variable sur laquelle agir pour faire évoluer les comportements. Un implicite ontologique ensuite, qui situe l’environnement en dehors du social et contribue à entériner le partage entre nature et culture comme entre sciences biotechniques et sciences sociales. Un implicite politique enfin, qui fait bien souvent du chercheur un opérateur au service du commanditaire qui doit contribuer à l’évaluation, ou mieux encore, à l’amélioration de l’acceptabilité sociale des solutions portées par ce dernier. 3Nous voudrions dans un deuxième temps montrer ce qu’une sociologie d’inspiration interactionniste, attachée à rendre compte des phénomènes d’action collective, propose comme alternative à ces trois implicites en distinguant trois étapes dans le processus de production de connaissance sociologique : (i) la commande et la problématisation ; (ii) le recueil et l’analyse de données ; (iii) le retour vers le commanditaire. Il ne s’agit là que d’un découpage au service de notre propos, le processus de recherche que nous décrivons n’étant évidemment pas linéaire, mais renvoyant au contraire à des va et vient incessants entre problématique, terrain et littérature. Nous montrons ainsi à chaque étape les conséquences des implicites portés par une approche en termes de représentations sociales, et nous présentons les perspectives offertes par la sociologie de l’action collective en montrant comment cette sociologie a pu être mobilisée dans des perspectives différentes dans le cadre de différents travaux en matière d’environnement. La commande et la problématisation : de l’implicite théorique à ses conséquences praxéologiques 4« Comment les élus vont-ils réagir à mon projet de charte environnementale ? », « Comment les usagers du territoire perçoivent-ils la présence de tel grand prédateur ? » Le sociologue est fréquemment interpellé pour s’exprimer sur la faisabilité d’un projet ou la représentation qu’ont les acteurs d’un « problème » environnemental. Nous voudrions d’abord montrer que ce type de commande induit une manière spécifique de problématiser et de conduire la recherche en sciences sociales qui nous apparaît problématique à bien des égards. Nous montrerons alors qu’une approche sensible à la dimension interactionniste des formes d’actions collectives peut s’avérer plus adaptée. Elle présente différentes sensibilités et renvoie à différentes manières de se positionner par rapport aux commanditaires et aux acteurs que le sociologue choisit de prendre en compte dans son analyse. Contre les implicites trop fréquents d’une commande : faisabilité du projet et représentations des acteurs 5Les sociologues sont fréquemment confrontés à deux grands types de commandes lorsqu’ils s’intéressent aux questions environnementales : d’une part, des commandes de financeurs institutionnels qui sont généralement des acteurs importants des dossiers sur lesquels ils sont amené à se pencher ; d’autre part, des sollicitations de chercheurs en sciences biotechniques, de plus en plus incités voire contraints de mieux prendre en compte dans leurs réponses aux appels à projets la « dimension sociale » des objets auxquels ils s’intéressent. Ces deux types d’attentes à l’égard du sociologue ont un point commun : les connaissances produites doivent permettre d’évaluer, voire d’améliorer, l’acceptabilité et la faisabilité d’un projet, d’une innovation, en analysant les représentations sociales des acteurs. 6Le premier implicite de ce type de commande se situe sur le plan théorique. En mettant la focale sur les représentations individuelles et collectives des acteurs par rapport à un problème environnemental ou à une solution portée par un des acteurs, ce type de commande conduit généralement à envisager ces représentations comme les ressorts de l’explication des comportements et des phénomènes sociaux. Si les chercheurs sont bien conscients de la complexité des liens entre pratiques et représentations sociales (Abric, 1994), et s’ils acceptent, de ce fait, rarement d’endosser une lecture aussi unidirectionnelle du social, ils prennent le risque en restant trop proches d’une telle commande de négliger la description empirique des comportements d’acteurs. L’explication de comportements protecteurs ou au contraire déprédateurs de l’environnement est simplement rapportée à l’intérêt des acteurs pour les écosystèmes (Mouro et Castro, 2010) ou encore à la (mé)-connaissance qu’ils ont de leur valeur ou de leur fonctionnement (Ghimire et al., 2004). Cet implicite théorique a des conséquences directes sur le plan praxéologique. Il conduit en effet le sociologue de l’environnement à retrouver le face à face positiviste instituant une partition entre sciences biotechniques et sciences sociales : alors que les premières uploads/Finance/ article.pdf

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  • Publié le Jul 02, 2022
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