Aux origines des institutions de Bretton Woods 25 juillet 2006 par Eric Toussai

Aux origines des institutions de Bretton Woods 25 juillet 2006 par Eric Toussaint Voici 62 ans, le 22 juillet 1944, prenait fin la conférence de Bretton Woods. Pour éviter la répétition de crises du type de celle de 1929, mais également pour assurer son leadership sur le monde de l’après seconde guerre mondiale, le gouvernement des Etats-Unis planche très tôt sur la création d’institutions financières internationales. C’est en 1944 que naîtront à Bretton Woods la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Au départ, l’administration Roosevelt est favorable à la création d’institutions fortes capables d’imposer des règles au secteur financier privé, y compris à Wall Street. Mais les banquiers y sont hostiles et Roosevelt recule. Par ailleurs, la répartition des voix au sein de la Banque mondiale et du FMI illustre bien la volonté de domination de quelques grandes puissances sur le reste du monde. [1] Aux origines [2] C’est dès 1941, en pleine seconde guerre mondiale, que débutent l’élaboration et la discussion sur les institutions internationales à mettre en place une fois ce conflit majeur terminé. Au sein de l’administration états-unienne, Harry White remet en mai 1942 au président Franklin Roosevelt un plan intitulé « Plan pour un fonds de stabilisation des Nations unies et associées et d’une Banque des Nations unies pour la reconstruction et le développement ». Un de ses objectifs consiste à convaincre les nations alliées en lutte contre les puissances de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon) qu’une fois la paix venue, des mécanismes devront être mis en place pour empêcher que l’économie mondiale n’entre à nouveau dans une dépression comparable à celle des années 1930. Entre 1941 et juillet 1944, moment où se réunit la conférence de Bretton Woods, plusieurs propositions contenues dans le plan initial sont abandonnées. Mais l’une d’entre elles se matérialisera : la création du FMI (Fonds monétaire international) et de la BIRD (Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement), mieux connue sous le nom de Banque mondiale. Pour bien comprendre la fonction attribuée à ces deux institutions, il faut prendre la peine de remonter à la fin des années 1920 et aux années 1930. La profonde dépression économique qui touche alors de plein fouet les Etats-Unis, a un effet de contagion sur l’ensemble du capitalisme mondial. Symptôme de la contagion, en 1931, l’Allemagne interrompt le remboursement de sa dette de guerre à l’égard de la France, de la Belgique, de l’Italie et de la Grande Bretagne. Dans la foulée, ces pays interrompent le remboursement de leur dette extérieure à l’égard des Etats- Unis [3]. De leur côté, les Etats-Unis réduisent radicalement leurs exportations de capitaux en 1928 et surtout en 1931 [4]. Simultanément, ils diminuent fortement leurs importations. Conséquence : le flux de dollars des Etats-Unis vers le reste du monde se tarit, les pays endettés à l’égard de la première puissance mondiale ne disposent plus d’assez de dollars pour la rembourser. De même, les dollars leur manquent pour acheter les produits nord-américains. La machine capitaliste mondiale se grippe. Les dévaluations compétitives se multiplient car chaque pays essaye de conquérir des parts de marchés aux dépens des autres. Le monde capitaliste développé s’installe dans une spirale récessive. John Maynard Keynes commente avec un certain sarcasme l’attitude des Etats-Unis dès 1932 : « Le reste du monde leur doit de l’argent. Ils refusent de se faire rembourser en nature ; ils refusent de se faire rembourser en titres ; ils ont déjà reçu tout l’or disponible. Le casse-tête dans lequel ils ont plongé le reste du monde n’admet qu’une seule solution : on va devoir se débrouiller sans leurs exportations » [5]. Une des leçons tirées par le gouvernement des Etats-Unis sous Franklin Roosevelt (président de 1933 à 1945), c’est qu’un grand pays créancier doit mettre à la disposition des pays débiteurs les devises qui leur serviront à payer leurs dettes. Une autre leçon, audacieuse celle- là, c’est que dans certains cas, il est préférable de faire des dons plutôt que des prêts si un Etat veut que ses industries exportatrices tirent un profit maximum et durable. Nous aborderons cette question plus loin dans le livre en évoquant le Plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe (1948-1951). Arrêtons-nous encore brièvement aux années 1930 avant de passer à la genèse des institutions de Bretton Woods au cours de la guerre. Création de l’Export-Import Bank of Washington (1934) L’Export-Import Bank of Washington (l’agence publique états-unienne de crédit à l’exportation, rebaptisée plus tard Eximbank) est créée en 1934 afin de protéger et de favoriser les exportateurs des Etats-Unis. Elle garantit les exportations et octroie des crédits à long terme à des étrangers pour qu’ils importent des produits des Etats-Unis. Chaque dollar prêté doit être dépensé pour l’achat de marchandises produites aux Etats-Unis. L’Export- Import Bank ne débourse l’argent qu’après avoir reçu la preuve que les produits sont embarqués vers l’étranger. Au départ, la somme totale de prêts octroyés par l’Export-Import Bank est très modeste : 60 millions de dollars au cours des cinq premières années. Mais le volume augmente très rapidement par la suite. En 1940, sa capacité de prêts est portée à 200 millions de dollars et en 1945, elle atteint 3 500 millions. Dans les premières années, l’Export-Import Bank cible l’Amérique latine et la Caraïbe, la Chine et la Finlande. Les intérêts en jeu sont autant économiques que géostratégiques. Naissance de la Banque interaméricaine (1940) Un autre instrument financier est créé en 1940 : la Banque interaméricaine. Il s’agit d’une banque interétatique fondée à l’initiative des Etats-Unis dans le cadre de l’Union pan- américaine (l’ancêtre de l’Organisation des Etats Américains - OEA). En font partie dès l’origine : la Bolivie, le Brésil, la Colombie, la République dominicaine, l’Equateur, le Mexique, le Nicaragua, le Paraguay et les Etats-Unis. Cette banque préfigure d’une certaine manière la Banque mondiale qui sera fondée quatre ans plus tard. Le principal architecte du côté états-unien est un partisan convaincu de l’intervention publique dans l’économie, un adepte du New Deal : Emilio Collado, le numéro deux du Département d’Etat [6]. Très vite, il participe aux discussions préparatoires à Bretton Woods et il devient en 1944 le premier représentant (directeur exécutif) des Etats-Unis à la direction de la Banque mondiale. Il n’y a pas que le département d’Etat à être investi dans le lancement de la Banque interaméricaine en 1940. Le département du Trésor est aussi représenté en la personne de Henry Morgenthau et de son assistant Harry White. Quatre raisons fondamentales ont poussé l’administration de Franklin Roosevelt vers la création de la Banque interaméricaine. Primo, le gouvernement a compris que non seulement il doit prêter de l’argent pour qu’on lui achète ses produits mais il doit aussi acheter les exportations de ceux à qui il veut vendre ses marchandises. L’Allemagne nazie, qui domine une partie de l’Europe, est en train de s’approvisionner et d’investir en Amérique latine [7]. La mise en place de la Banque interaméricaine doit permettre de resserrer les liens entre les Etats-Unis et tous ses voisins du Sud. Secundo, Washington considère qu’il ne peut pas compter sur le secteur financier privé des Etats-Unis pour prêter des capitaux au sud du Rio Grande alors que quatorze pays latino- américains sont en défaut total ou partiel de paiement de leur dette extérieure. Washington considère que Wall Street et les grandes banques états-uniennes sont responsables de la crise de 1929 et de sa prolongation. Il faut alors se doter d’un instrument public pour agir sérieusement. Tertio, afin de convaincre les gouvernements latino-américains d’entrer activement dans le jeu de relations renforcées avec les Etats-Unis, il faut leur proposer un instrument qui, officiellement, poursuit des objectifs non directement subordonnés aux Etats-Unis. A. A. Berle, adjoint du secrétaire au département d’Etat, le précise clairement : “De par le passé, on a considéré les mouvements de capitaux comme franchement impérialistes et cela a généralement conduit plus tard à des difficultés de l’un ou l’autre type. L’autre pays ne voulait pas rembourser ; les intérêts attachés au prêt étaient souvent considérés comme tyranniques.. On est encore en train de liquider certaines situations de pagaille datant du XIXe siècle causées par les mouvements brutaux et non éclairés du capital » [8]. Quarto, il faut mettre sur pied une banque dont font partie les pays emprunteurs et où ils ont voix au chapitre. Le raisonnement est très simple : pour s’assurer que les emprunteurs remboursent leurs dettes, il vaut mieux qu’ils fassent partie de la Banque. Ce même principe sera appliqué lorsqu’il s’agira de construire la Banque mondiale et le FMI. En ce qui concerne la répartition des droits de vote au sein de la Banque interaméricaine, les critères appliqués seront également adoptés par la Banque mondiale et le FMI. Le principe « un pays - une voix » est délaissé au profit d’un système de vote fondé sur le poids économique (en l’occurrence, le volume des exportations). Le système prévoit une cerise sur le gâteau pour les pays latino-américains : l’existence d’une institution bancaire multilatérale doit les protéger contre le recours à la force des créanciers uploads/Finance/ aux-origines-des-institutions-de-bretton-woods.pdf

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  • Publié le Jan 28, 2022
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