Bertrand RICHARD Dominique MIELLET LA DYNAMIQUE DU GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE Pr

Bertrand RICHARD Dominique MIELLET LA DYNAMIQUE DU GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE Préface par Michel BON © Éditions d’Organisation, 2003 ISBN: 2-7081-2850-7 1 © Éditions d’Organisation Chapitre 1 Le gouvernement d’entreprise Le gouvernement d’entreprise se définit simplement comme tout système par lequel une société est dirigée et contrôlée. Dès lors, les thèmes suivants en relèvent: • la séparation des pouvoirs entre conseil d'administration, d'une part, et dirigeants, d'autre part; • les relations dirigeants, administrateurs et actionnaires, et leurs conséquences sur la composition des conseils d'administration; • la responsabilité des dirigeants, des administrateurs, avec ce que cela implique de droits et devoirs vis-à-vis des actionnaires; • la réalité des contrôles sur la gestion des dirigeants, qu'ils soient menés en interne par le conseil ou en externe par les auditeurs; • la façon dont sont prises les décisions stratégiques. L’étude de la faillite frauduleuse d’ENRON permet de bien mettre en relief l’intérêt et l’ampleur du sujet. LA DYNAMIQUE DU GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE 2 © Éditions d’Organisation Le cas ENRON ENRON, né de la fusion en 1985 de HOUSTON NATURAL GAS & INTERNORISH, était à l’époque un opérateur de gazoduc. Lorsque le marché américain de l’éner- gie a été déréglementé, ENRON s’est alors transformé en une société de négoce d’énergie, achetant aux producteurs au meilleur prix et revendant aux distri- buteurs. Une telle activité de teneur de marchés impose d’intervenir massive- ment sur les marchés de dérivés énergétiques et financiers. Dans les années 1990, ENRON était l’une des stars favorites de Wall Street. Son cours de Bourse est passé de $ 30 à $ 90 de 1998 à fin 2000, quand son chif- fre d’affaires a explosé de $ 31 milliards à $ 100 milliards sur la même période. Pour connaître un tel développement, ENRON avait besoin de sources impor- tantes de financement, sans pour autant pouvoir indéfiniment diluer son capi- tal par des augmentations successives. D’où un recours massif à la dette. À l’automne 2001, la société s’est écroulée: • le titre a chuté à moins de $ 10; • une perte colossale a été annoncée pour le 3e trimestre ; • le CEO et le CFO ont dû démissionner. Finalement, la société a dû se placer sous la protection de la loi sur les failli- tes et la SEC a commencé ses investigations pour mettre en cause la responsa- bilité des dirigeants, des administrateurs et des auditeurs. Début 2002, la faillite d’ENRON, qui est l’une des plus marquantes de l’his- toire économique américaine, a eu pour conséquences: • une destruction de valeur de plus de $ 1,2 milliard; • le licenciement de 21 000 employés; • la remise en cause de la future retraite de ces derniers car leurs fonds de pensions étaient massivement investis en titre ENRON. L’origine de la chute de ce géant du négoce énergétique semble, à première vue, résider dans: • un surendettement ($ 500 millions) causé par des transactions et des montages qui, après avoir été dissimulé hors bilan, s’est révélé désastreux, les pratiques comptables utilisées ayant permis de mas- quer pendant longtemps une partie substantielle des risques; • une politique d’éclatement de l’endettement sur des filiales non consolidées qui remontaient les revenus à la maison mère; • une profitabilité qui était apparente et non réelle, car une partie des coûts n’était pas consolidée. Le paradoxe de ce désastre, c’est que l’apparence du gouvernement d’entre- prise chez ENRON avait tout pour rassurer un investisseur: • un conseil prestigieux avec de grands noms du monde des affaires américain; • un comité d’audit présidé par l’ancien président de la Stamford’s Business School, lui-même professeur de comptabilité. Ce qui prouve bien qu’on attache souvent plus d’importance à l’apparence qu’à la qualité réelle. Étude de cas Le gouvernement d’entreprise 3 © Éditions d’Organisation La mise en cause des administrateurs d’ENRON La débâcle d’ENRON prouve que bien souvent les actionnaires et les investis- seurs n’évaluent pas assez sérieusement la qualité et l’indépendance du con- seil d’administration chargé de les représenter et de défendre leurs intérêts. Les principaux reproches soulevés à l’encontre des administrateurs touchent aux questions suivantes: • quatre des administrateurs n’étaient détenteurs d’aucune action ENRON; • multiplication des conflits d’intérêt entre les administrateurs et la société. Par exemple, John Urquhart avait un contrat de conseil en stratégie auprès du président au titre duquel il a touché $ 500 000 d’honoraires; le CFO de la société était un associé de nombreuses sociétés dans lesquelles ENRON a domicilié des transactions qu’il n’était pas souhaitable de faire apparaître dans son bilan; d’autres administrateurs avaient des contrats de conseil avec la société; • absence d’interrogations et de questions sur les transactions hors bilan qui se sont multipliées afin d’externaliser les risques et les pertes; • absence d’implication dans la vérification de l’indépendance des auditeurs et dans l’analyse de la pertinence des systèmes de con- trôle. Quelles leçons pour les administrateurs? I L’apparente qualité du gouvernement d’entreprise d’une société et le prestige de son conseil ne sont pas suffisamment «challengés » par les actionnaires, et surtout par les analystes. I Les administrateurs doivent impérativement maîtriser la stratégie, les enjeux des opérations et l’économie globale de l’entreprise au conseil de laquelle ils siègent. Ils doivent demander à comprendre et obtenir les explications s’ils ne maîtrisent pas ce que fait la société. S’ils n’ont ni la compétence, ni l’accès à l’information, ils doivent démissionner. I Lorsque des transactions se développent entre la société et certains de ses administrateurs ou des sociétés dans lesquelles ils ont un intérêt, il n’y a plus d’indépendance du conseil et c’est aux véritables administra- teurs indépendants de contrôler de telles pratiques. I Le développement des opérations hors bilan et l’adaptation des principes comptables conduits par le management ne doivent pas échapper aux investigations du comité d’audit qui doit en assurer un contrôle effectif et indépendant, quitte à se faire aider par des conseils extérieurs à ceux de la société. Il en est de même pour l’intervention sur les marchés dérivés ou sur les produits structurés. Ceci passe donc par un renforcement des moyens et de l’indépendance du comité d’audit. I Le comité d’audit doit s’assurer que la société a une véritable politique d’identification, de mesures et de suivi des risques que celui-ci devra challenger et dont il devra évaluer l’adéquation à l’ampleur des risques potentiellement engagés. Tout ceci pose encore la double question de la LA DYNAMIQUE DU GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE 4 © Éditions d’Organisation cohérence entre la compétence des membres du comité d’audit et des moyens qui leur sont alloués, et la taille des enjeux qu’ils ont à maîtriser. I Le comité d’audit doit rendre compte des résultats de sa mission aux actionnaires indépendamment du management. I La confusion des genres pratiquée par les cabinets d’audit qui, à côté de leur mission légale de commissariat aux comptes, conduisent des mis- sions de conseil rémunérées par les directions générales nuit gravement à leur indépendance dans l’évaluation des pratiques des entreprises. Dans le cas d’ENRON, le cabinet concerné recevait annuellement, à côté des $ 25 millions d’honoraires d’audit relevant de sa mission officielle soumise à des règles d’indépendance rigoureuse, $ 27 millions d’hono- raires de conseil. I Plus globalement, la folie des marchés, qui attendent de façon irréaliste que les sociétés produisent chaque année une croissance de leurs reve- nus et de la rentabilité (ROE) supérieure à 15 %, génère une pression dangereuse sur les directions générales qui, de peur de ne pas réaliser leurs prévisions, peuvent en arriver à utiliser des manipulations compta- bles ou financières altérant la sincérité des comptes. Pour paraphraser un adage célèbre, « pousser à trop de rentabilité tue la rentabilité ». Il y a une réelle réflexion à mener quant à la folle pression qu’exercent les analystes financiers sur les managements des sociétés sans qu’ils ne soient eux-mêmes comptables de leurs prévisions et de leurs recomman- dations. I Il est nécessaire d’assurer une indépendance totale des structures de ges- tion de fonds de pensions afin d’empêcher toute confusion des genres et interventions du management de la société, dont les futurs pensionnés sont les salariés. Conséquences Les autorités américaines, toujours promptes à réagir dans ce genre de situa- tion, ont décidé de lancer un certain nombre de réformes qui touchent: • aux conditions de mise en cause de la responsabilité des dirigeants qui, du comportement malhonnête, sera étendue à la simple négli- gence. • aux conflits d’intérêt pour les cabinets d’audit. • aux règles comptables pour éviter la dissimulation de transaction, qui avait été faite en toute légalité par le management d’ENRON. L'APPROCHE ANGLAISE À la suite de scandales qui avaient mis à mal l'équilibre du fonction- nement du système financier anglais, le London Stock Exchange a lancé à partir de 1992 une grande réflexion sur le corporate gover- Le gouvernement d’entreprise 5 © Éditions d’Organisation nance1, dont la première pierre fut le rapport Cadbury, suivi des rapports Greenbury puis Hampel. Le rapport Cadbury Dans la conception anglaise du corporate governance, le board of directors est responsable de la conduite des affaires de la société, ce qui signifie: • définir les axes stratégiques uploads/Finance/ chap1-richard-livre-g-e.pdf

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  • Publié le Mar 18, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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