COMPORTEMENTS DES FIRMES ET COMMERCE INTERNATIONAL Joël Thomas Ravix et Olivier
COMPORTEMENTS DES FIRMES ET COMMERCE INTERNATIONAL Joël Thomas Ravix et Olivier Sautel GREDEG (CNRS-Université de Nice-Sophia Antipolis) et OFCE-DRIC Janvier 2007 Revue de l’OFCE 100 joel.ravix@gredeg.cnrs.fr olivier.sautel@gredeg.cnrs.fr Le recours croissant à la sous-traitance internationale figure aujourd’hui au cœur des préoccupations liées à la globalisation. La fragmentation accrue de la production, selon une logique de spécialisation verticale internationale, bouleverse les équilibres traditionnels des échanges internationaux. L’éclairage de ce phénomène nécessite de mieux comprendre les logiques d’organisation de firmes, ainsi que leur impact sur les échanges internationaux. C’est le sens d’un ensemble de travaux récents, qui visent à intégrer dans la théorie du commerce international les développements de la théorie de la firme. Cet article a pour objet de présenter le contenu et la portée de l’ouverture de la théorie du commerce international aux comportements des firmes. La première partie montre que cette évolution s’inscrit dans le prolongement des modèles expli- catifs du commerce intra-branche et de la firme multinationale, qui proposaient une première approche de la spécialisation verticale. La deuxième partie est consacrée à une présentation des principaux travaux qui proposent de fonder les échanges internationaux sur les logiques d’organisation verticale des firmes. La troisième partie montre que si la prise en compte des choix organisationnels de firmes permet de renouveler l’analyse du commerce de biens intermédiaires, de la sous-traitance et des investissements directs à l’étranger, mais aussi d’élargir la gamme des déterminants des échanges internationaux, les résultats obtenus restent largement contraints par le type de théorie de la firme retenu. L ’ analyse du commerce international connaît aujourd’hui une évolution importante qui s’exprime à travers la prise en compte des comportements des firmes pour expliquer le développement des échanges internationaux. Cette mutation trouve son origine dans le débat sur les effets de la globalisation, qui a conduit au constat d’une profonde transformation du commerce international lui-même (Rodrik, 1998). L’idée avancée est que l’intensification des échanges découle principalement d’une « fragmentation de la production » à l’échelle mondiale, favorisée par un recours croissant à de l’impartition interna- tionale 1 (Feenstra et Hanson, 1996; Feenstra, 1998), qui prend la forme d’une « spécialisation verticale », dont la particularité est d’organiser une dispersion de la chaîne de valeur de la production des biens entre plusieurs pays 2. L’importance de ce phénomène de spécialisation verticale est attestée par un certain nombre d’études empiriques. Ainsi, Hummels et alii (2001) montrent, à partir de tables inputs outputs de l’OCDE, que la spécialisation verticale explique 20 % des exportations (jusqu’à 40 % pour les petits pays), mais aussi que cette part est en augmen- tation de 30 % entre 1970 et 1990 et que cette croissance explique 30 % de l’augmentation du ratio Exportation/Revenu national. Plus récemment, Daudin, Monperrus, Rifflart et Schweisguth (2006) démon- trent également l’importance des flux issus de la spécialisation verticale dans le cas français, puisqu’ils représentent 21 % du commerce total, et aboutissent à modifier les déficits ou excédents commerciaux de la France vis-à-vis notamment de l’Asie. L’importance quantitative de ces flux est d’autant plus notable que leurs dynamiques d’évolution diffèrent des flux traditionnels. Ainsi, Yi (2003) explique en partie par la spécia- lisation verticale l’augmentation plus que linéaire des flux commerciaux en réponse à la baisse des tarifs douaniers. En plus de l’effet tradi- tionnel, la baisse des tarifs douaniers stimule le commerce international par l’approfondissement de la spécialisation verticale, qui répond de manière non linéaire puisque la configuration même de cette forme de spécialisation implique un double passage des frontières, et donc un Joël Thomas Ravix et Olivier Sautel 176 Revue de l’OFCE 100 1. Le terme impartition est l’antonyme français pour intégration ; il correspond donc parfai- tement au sens général du mot outsourcing (Helpman, 2006) qui recouvre à la fois les phénomènes de sous-traitance internationale et d’investissement direct à l’étranger. 2. Plus formellement, Hummels, Ishii et Yi (2001) montrent que pour être qualifié de spécia- lisation verticale, le flux commercial correspondant doit obéir à trois conditions: — Il doit porter sur un bien produit en deux étapes (au moins), de manière séquentielle. — Le partage de la chaîne de valeur doit se faire entre deux pays (au moins). — Un des pays (au moins) doit utiliser un input importé lors de sa contribution à la production et exporter une partie de l’output. impact plus fort des tarifs douaniers. Dans un autre registre, Swenson (2005) montre, à partir des flux de produits importés réalisés avec des inputs américains, que ces flux de produits verticalement spécialisés n’obéissent pas aux règles traditionnelles en termes de sensibilité aux tarifs douaniers (les variations de ces derniers ne sont qu’imparfaitement répercutés sur les prix par exemple). Ces différents travaux confirment que l’introduction des logiques de spécialisation verticale donne naissance à des flux commerciaux dont les dynamiques ne répondent plus aux explications traditionnelles. Ils ne représentent cependant qu’une démarche préliminaire puisqu’ils se contentent, pour l’essentiel, d’en décrire la présence sans réellement proposer une explication analytique à leur existence. Il y a donc un enjeu d’autant plus important à pouvoir expliquer ces flux que la spécialisation verticale se distingue du simple commerce de biens intermédiaires. En effet, cette nouvelle forme de spécialisation implique une segmentation de la production entre différents pays qui échappe pour l’essentiel aux modèles de la théorie traditionnelle du commerce international. C’est cette spécificité du phénomène de l’impartition qui conduit à rechercher dans les comportements de firmes l’explication théorique de la mise en place d’une organisation globale de la production. La démarche, initialement élaborée par Grossman et Helpman (2002, 2003) et par Antràs (2003), consiste à élargir la théorie du commerce international aux acquis de la théorie moderne de la firme, développée par Williamson (1975, 1985), Grossman et Hart (1986) et Hart et Moore (1990), pour permettre de prendre en compte le rôle des coûts de transaction, de la spécificité des actifs et des contrats incomplets dans l’espace international. Dans cette nouvelle perspective, l’existence et les modalités des échanges internationaux ne sont plus considérées seulement comme le fruit d’un équilibre macroéconomique, mais se présentent aussi comme la résultante des comportements productifs des firmes. Toutefois, ce rôle actif attribué aux firmes dans la détermination des flux commerciaux implique une profonde transformation dans la manière dont est perçu le commerce international. Pour mettre en évidence cette mutation, nous montrerons dans une première partie que ces nouveaux développements prolongent les modèles des années 1980 qui proposaient une première approche de la spécialisation verticale en mettant l’accent sur les rendements croissants et la concur- rence imparfaite pour expliquer le commerce intra-branche et intégrer la firme multinationale dans la théorie du commerce international. Les nouvelles explications de la spécialisation verticale par le comportement des firmes pourront alors être présentées dans une deuxième partie. L’évaluation des apports et des limites de l’introduction de la théorie de la firme dans la théorie du commerce international fera l’objet d’une troisième et dernière partie. COMPORTEMENTS DES FIRMES ET COMMERCE INTERNATIONAL 177 Revue de l’OFCE 100 1. Rendements croissants, concurrence imparfaite et spécialisation verticale L’introduction des rendements croissants et de la concurrence imparfaite dans la théorie du commerce international trouve son origine dans les possibilités offertes par les analyses de Spence (1976) et de Dixit et Stiglitz (1977) d’une part, et celles de Lancaster (1979) d’autre part, de formaliser de manière simple, mais aussi suffisamment générale, des comportements de demande pour des produits différenciés. Bien que différentes, ces deux conceptions permettaient d’intégrer des phénomènes de rendements croissants et de concurrence monopolis- tique dans des modèles d’équilibre général qui devenaient immédiatement applicables à la théorie du commerce international (Dixit et Norman, 1980; Kierzkowski, 1984; Helpman et Krugman, 1985). Dans cette perspective, « la théorie du commerce international devient ainsi inextricablement liée à l’économie industrielle »; mais dans le même temps, « pour l’économie internationale, il s’agit là d’une réorientation radicale » (Krugman, 1987, p. 133). 1.1. Rendements croissants et commerce intra-branche Cette réorientation vers les acquis de l’économie industrielle s’est en effet principalement traduite par une extension du pouvoir explicatif de la théorie du commerce international puisqu’elle a permis de répondre à l’épineuse question du commerce intra-branche. Depuis longtemps mise en évidence par de nombreuses études empiriques (Grubel et Lloyd, 1975), l’importance de ces échanges, principalement observés entre des pays présentant des niveaux de développement comparables, ne pouvait antérieurement être véritable intégrée dans la théorie du commerce international, car « là où les explications tradi- tionnelles insistaient sur la différence comme déterminant des échanges, tout semble ne devenir au contraire que similitude! » (Mucchielli, 1989, p. 271). Le recours à la différenciation des produits et à la notion de concurrence monopolistique permettait de fournir enfin une explication théoriquement acceptable des échanges croisés de produits similaires (Lancaster, 1980; Greenway et Milner, 1986), en faisant intervenir les rendements croissants comme déterminant essentiel de cette forme d’échange à côté des dotations factorielles. Par delà les problèmes analytiques spécifiques posés par ce rappro- chement entre l’économie internationale et l’économie industrielle (Ravix, 1991), cette première mutation s’est réalisée par un dédou- blement de la théorie du commerce international. Le fait uploads/Finance/ comportement-des-firmes-multinationales.pdf
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- Publié le Fev 01, 2022
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