Cahiers de la Méditerranée 72 | 2006 La Franc-Maçonnerie en Méditerranée (XVIII

Cahiers de la Méditerranée 72 | 2006 La Franc-Maçonnerie en Méditerranée (XVIIIe - XXe siècle) La médiation d’Armand Gaborria à l’orient de Turin ou le syncrétisme initiatique sous l’Empire Eric Saunier Édition électronique URL : http://cdlm.revues.org/1165 ISSN : 1773-0201 Éditeur Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2006 Pagination : 143-151 ISSN : 0395-9317 Référence électronique Eric Saunier, « La médiation d’Armand Gaborria à l’orient de Turin ou le syncrétisme initiatique sous l’Empire », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 72 | 2006, mis en ligne le 17 septembre 2007, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://cdlm.revues.org/1165 Ce document a été généré automatiquement le 2 octobre 2016. © Tous droits réservés La médiation d’Armand Gaborria à l’orient de Turin ou le syncrétisme initiatique sous l’Empire Eric Saunier 1 Notre propos doit à la possibilité qui nous a été donnée il y a deux ans, dans le cadre de l’exploitation puis de la valorisation d’un fonds maçonnique régional d’une grande richesse1, de nous interroger sur l’impact des médiations qui jalonnent l’histoire de la diffusion de l’Art Royal dans le monde méditerranéen et des tentatives syncrétiques qui accompagnèrent souvent celles-ci, cette question se trouvant au centre des préoccupations annoncées par un colloque dont l’objectif principal est, pour reprendre l’expression utilisée par les organisateurs, de saisir « les modes de circulation et les phénomènes d’appropriations culturelles originaux dans l’ Europe maçonnique méditerranéenne ». 2 S’inscrivant dans cette perspective générale, il vise en fait, à travers l’étude de cas que constitue la médiation construite par Armand Gaborria à l’orient de Turin entre 1802 et 1805, à répondre à l’une des nombreuses questions induites par cet axe de travail, question que l’on peut formuler de la façon suivante : l’espace maçonnique méditerranéen qui, au même titre que la Scandinavie 2, est réputé, depuis les débuts de la Maçonnerie sur le continent européen, pour être à la fois un lieu d’échanges et un creuset initiatique privilégié ou travaillèrent de très célèbres intermédiaires culturels 3 fut-il pour autant un lieu de prédilection pour l’épanouissement de médiations porteuses d’acculturation ? 3 De ce point de vue, l’action méconnue dont Armand Gaborria fut l’auteur sous la forme d’une tentative de syncrétisme rituélique mise en place dans le Piémont au moment où se construisait le Grand Empire maçonnique 4 apporte quelques éléments de réponse car, au- delà de l’intérêt recouvert par une histoire qui se déroule avec en toile de fond les premiers pas attestés de l’une des branches du Rite de Misraïm 5, la médiation conduite par Armand Gaborria nous renseigne sur deux points importants 6. Le premier a trait aux facteurs nécessaires pour aboutir à la formalisation d’une démarche de ce type et le La médiation d’Armand Gaborria à l’orient de Turin ou le syncrétisme initiati... Cahiers de la Méditerranée, 72 | 2007 1 second aux limites de ces entreprises sur la construction et l’évolution de l’identité d’un espace maçonnique méditerranéen connu pour sa perméabilité envers les influences extérieures. 4 La médiation turinoise doit sa concrétisation à la rencontre entre deux projets dont les objectifs sont radicalement différents. Il s’agit, d’une part, du projet collectif et institutionnel concocté par le Grand Orient de France dans le cadre de la difficile adaptation de la Maçonnerie aux exigences du régime napoléonien et, d’autre part, du projet individuel et initiatique porté par un maçon préoccupé avant toute autre chose par les questions initiatiques. 5 Sur le premier plan, si l’action d’Armand Gaborria est rendue possible, c’est en effet parce qu’elle correspond parfaitement, sans que le principal protagoniste le veuille vraiment, aux vœux d’une obédience qui, pour assurer sa survie, accepte l’obligation imposée par le pouvoir napoléonien de mettre en place un organisme stabilisé et unifié, une obligation qui implique la reconnaissance par tous les initiés du contrôle exercé par le Grand Orient de France, lequel chapeaute pour la première fois de son histoire l’ensemble des rites. 6 Or, dans le cadre de cette relation quasi-contractuelle où la Franc-maçonnerie doit présenter un visage stable et soumis, la situation de la Maçonnerie piémontaise pose un problème épineux que la médiation d’Armand Gaborria pouvait contribuer à résoudre. Resurgie autour de l’atelier La Réunion, la Franc-maçonnerie piémontaise est en effet l’objet durant l’année 1802 d’une interdiction de ses activités par l’Etat bonapartiste en raison de suspicions plus ou moins fondées développées à l’encontre de Frères présents dans des loges dont les rapports de police dénoncent la sensibilité illuministe et, surtout, un état d’esprit qui serait hostile au pouvoir napoléonien. Nombre de francs-maçons fréquentant La Réunion ont il est vrai servi l’Etat sarde. Dénoncé par les commissaires, le mauvais état d’esprit qui sévirait dans ce premier atelier turinois constitué dans le sillage des troupes françaises conduit Bonaparte à ordonner au général Jourdan d’interdire les réunions maçonniques dans la XXVIIe circonscription militaire 7, cette situation étant dangereuse pour le Grand Orient de France qui, à cette date, doit montrer sa capacité à réguler l’activité des loges. Cette aptitude semble pour le moins à Turin loin d’être évidente à réaliser. 7 Dans ce contexte, en prenant en main la direction d’un nouvel atelier à Turin qui n’est autre qu’une émanation de La Réunion avec l’objectif de travailler à un rite nouveau, Armand Gaborria prend ainsi une initiative présentant pour l’obédience deux avantages. Le premier tient au fait que ce dernier, bien connu des dignitaires du Grand Orient de France 8, est peu soupçonnable de sympathie envers les tendances illuministes manifestées par les loges turinoises 9 et le second, sans doute le plus intéressant pour l’obédience, qu’il est porteur d’un projet pacificateur permettant à terme de faciliter le dénouement de l’imbroglio piémontais. La proposition que fait Gaborria de faire travailler les frères à un rite de synthèse dans le but de « ne pas froisser des maçons arrivés à Turin en pratiquant des régulateurs très variés » est ainsi pour l’obédience l’opportunité de trouver un intermédiaire capable de faire jouer à la maçonnerie le rôle fédérateur qui lui est dévolu dans le cadre de la construction du Grand Empire. Présent lors de l’installation de l’atelier, l’officier installateur du Grand Orient, qui aurait pu prétendre prendre les rennes de L’Amitié Eternelle avant sa régularisation ultérieure, a d’ailleurs soin, « à la surprise de Gaborria » 10 désigné comme vénérable provisoire, de ne pas contrarier le choix des Frères en ne se portant pas « à la tête de la colonne » 11. La médiation d’Armand Gaborria à l’orient de Turin ou le syncrétisme initiati... Cahiers de la Méditerranée, 72 | 2007 2 8 Toutefois, outre cette concordance avec le projet politique porté par l’obédience, la médiation de Gaborria doit aussi son succès à l’initiative d’un Frère que l’on peut considérer, au même titre que le Lyonnais Willermoz ou que le Rouennais Jean Mathéus, comme l’archétype du maçon négociant de vocation pour qui la diffusion d’une maçonnerie parfaite est un idéal qu’il s’évertue à réaliser. Initié en 1772 12 à l’âge de 19 ans, Armand Gaborria 13, membre actif des Philalèthes de Lille depuis 1786 14, voit en fait, dans son passage à Turin due à une nomination comme fonctionnaire de l’état napoléonien 15, la possibilité de réaliser un rêve initiatique mûri depuis 15 ans, la mise en place du rite de synthèse qu’il propose à la pratique de ces frères constituant la base d’une médiation qui découle en fait du parcours d’un initié marqué par son adhésion à une conception rationaliste de la maçonnerie. 9 C’est l’engagement en faveur du savoir scientifique contracté par Gaborria lors de l’adhésion aux Philalèthes de Lille qui donne à ce dernier l’idée de partir à la recherche d’une Maçonnerie épurée des scories et du manque de rigueur, aspects qui selon lui caractérisaient cette société initiatique dont il déplore la croissance démographique mal maîtrisée. 10 En bon Philalèthe, Armand Gaborria tente d’ailleurs de donner une scientificité à la pratique maçonnique à partir de l’application d’un véritable ternaire méthodologique : une observation scrupuleuse des pratiques, qualité dont il fait preuve dans les commentaires des nombreuses visites de temple qu’il fait dans une Europe du Nord qu’il juge plus fidèle à une maçonnerie de qualité, le passage au crible de la critique du corpus légendaire dans le but de séparer le bon grain et de l’ivraie, enfin l’acquisition d’un savoir livresque perceptible dans les collections des grades et dans l’acquisition de pièces rares qui lui donnent une certaine notoriété et dans son projet encyclopédique 16. 11 Ainsi, la recherche de l’initiation parfaite apparaît-elle comme la motivation profonde de Gaborria lors de sa tentative turinoise de construction d’un rite qui n’est autre qu’une version du Rite de Misraïm 17. D’ailleurs, s’il insiste sur le caractère hasardeux de l’émergence de L’Amitié Eternelle (il serait simplement « jaloux d’ajouter un simple nœud à la houppe dentelée » 18 puis se dit « surpris par le fait qu’on lui confie le premier maillet de la loge » 19), les pièces rédigées ultérieurement montrent nettement que Gaborria, qui venait de participer à la uploads/Finance/ eric-saunier-gaborria-1165.pdf

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  • Publié le Jan 05, 2021
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