22 L’entreprise au xxie siècle > économie & management L’entrepreneur(s) au xxi

22 L’entreprise au xxie siècle > économie & management L’entrepreneur(s) au xxie siècle La France connaît un renouveau entrepreneurial porté notamment par la réhabilitation de l’entrepreneur et la création de formations dédiées à l’entrepreneuriat. Toutefois, la figure de l’entrepreneur est devenue multiple. Le comprendre est important pour adapter les bonnes politiques. Auteur Catherine Léger-Jarniou Professeur émérite, université Paris-Dauphine PSL Research, présidente de l’Académie de l’entrepreneuriat et de l’innovation (AEI) La France connaît un taux de création d’entreprise très impor- tant, qui la classe parmi les meil- leurs élèves européens, et ce, depuis plusieurs années. À leur création, les entreprises sont toujours de petite taille et leur croissance est plus limi- tée que dans d’autres pays comme les États-Unis ou l’Allemagne, si bien que la France manque sérieu- sement d’entreprises de taille inter- médiaire (ETI). Ces dernières années ont été marquées par des transformations technologiques mais aussi sociétales, les individus ont des aspirations nouvelles, variées et parfois contra- dictoires que l’on retrouve lorsqu’ils deviennent entrepreneurs. Aussi, après la figure héroïque de l’entrepreneur des Trente Glo- rieuses, puis sa disgrâce empreinte de critiques, on assiste à un retour en force de cette figure depuis les années 1980, avec une intensifica- tion depuis les années 2000. Face à ce phénomène, une question est légitime : parle-t-on du même entre- preneur ? ou plus simplement, quelle est la figure de l’entrepreneur du xxie siècle ? À cette question, on répondra qu’il est désormais impossible de parler « d’entrepreneur » au sin- gulier, mais qu’il est indispensable d’envisager différentes postures d’entrepreneurs, qui font éclater les repères habituels et se réinventent sans cesse. La France, un pays d’entrepreneurs La France est le champion occi- dental de la création d’entreprise. Entre 2007 et 2012, le nombre de créations a progressé quatre fois plus vite que dans l’ensemble des pays du G7 1. 1 > « (R)évolution, 25 ans de transformation de l’écosystème entrepreneurial français », ESCP Europe & E&Y, 2017. > L’entrepreneur(s) au xxie siècle n° 169 > octobre 2018 > 23 La France a enregistré 591 000 créations d’entreprise en 2017, en augmentation de 7 % en un an et n’a rien à envier aux nations « consi- dérées comme entrepreneuriales ». Le premier semestre 2018 confirme cette évolution avec une augmentation de 30 % par rapport au premier semestre 2017. Et, élément encourageant, les nouvelles entreprises sont plus pérennes que celles créées quelques années auparavant 2. Curieusement, cette situation est en contradiction avec les résultats du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) qui, dans son rapport 2017- 2018, classe la France dans les éco- nomies portées par l’innovation mais dont le taux d’activité entrepreneu- riale (TEA) est classé 53e sur 54 pays étudiés. Il faut reconnaître que le TEA prend en compte de nombreux cri- tères et pas seulement le nombre de créations d’entreprise. Cependant, malgré les chiffres records de création, la France connaît toujours le même problème de manque de croissance des entreprises : en effet, elle a beaucoup de « souris » (TPE) – leur nombre a doublé entre 2007 et 2016 –, de moins en moins d’« élé- phants » (grandes entreprises) et très peu de « gazelles » ou « ETI » (entre- prises de taille intermédiaire). Et ce phénomène s’est accentué depuis les années 1980-1990. Selon l’Insee, seulement 7 % des entreprises créées en 2016 employaient des salariés lors de leur création, la moyenne étant de 2,6 salariés, sachant que l’emploi dès la création entraîne croissance et pérennité. Les start-up à potentiel sont aussi confrontées à ce problème de croissance et atteignent rarement la taille critique par manque de finan- cement. De ce fait, elles disparaissent dans la « vallée de la mort » ou sont des proies faciles pour des groupes étrangers (Business Objects racheté 2 > Jocelyn Béziau, « Les entreprises créées en 2010 : plus pérennes que celles créées en 2006, touchées par la crise », Insee Première, n° 1639, mars 2017. par SAP, Price Minister par Rakuten ou Allo Resto par Just Eat, par exemple). De nombreuses évolutions environnementales Tous les pays à travers le monde ont mis en place des dispositifs en faveur de l’entrepreneuriat et/ou de la création d’entreprise 3. L’Europe n’est pas en reste : la charte de Bologne (2000) reconnaît l’importance grandissante des PME pour la croissance des économies, le traité de Lisbonne (2002) prône la mise en place d’un cadre de dévelop- pement afin que l’Europe devienne une économie de la connaissance compétitive et dynamique, The Oslo Agenda for Entrepreneurship Educa- tion (2003) détaille des mesures en faveur de l’éducation entrepreneu- riale, le Small Business Act de 2008 et le plan Entrepreneurship 2020 com- plètent le tout. En France, l’engagement de l’État en faveur de la création d’entreprise a été très positif 4. Deux mesures phares ont particulièrement changé la donne ces dix dernières années : la création du régime auto-entrepreneur en 2009 (devenu micro-entrepreneur en 2014) et la création des Pépite 5 en direction des jeunes ; sans oublier les nombreuses aides aux entreprises (1 654 dispositifs recensés), l’augmen- tation du nombre de business angels (4 500 aujourd’hui qui ont investi 43 Md€ en 2016) et le développement du crowdfunding qui permettent de financer l’amorçage des jeunes 3 > L’entrepreneuriat englobe la création d’entreprise mais aussi l’intrapreneuriat et le développement de l’esprit entrepreneurial. 4 > Cet engagement a entraîné une forte augmentation des créations d’entreprise au détriment de la survie et du développement des entreprises une fois créées ; ce que la loi Pacte est censée rééquilibrer. 5 > Pépite : Pôles étudiants pour l’innova- tion, le transfert et l’entrepreneuriat. www. pepite-france.fr. entreprises. Conséquence : l’émer- gence d’un nouvel engouement pour la création d’entreprise qui se traduit par une vision globale positive des Français à l’égard des entrepreneurs, même si leur image demeure plus ambivalente qu’elle ne l’est à l’étran- ger. Les Français survalorisent en effet la liberté et l’autonomie de l’entrepre- neur, tout en ayant peur de l’échec 6. L’image de la start- up fait rêver, même si leur nombre reste marginal (entre 10 000 et 30 000 selon les sources). D’ailleurs, 36 % des Fran- çais ont envie d’entreprendre dont 12 % qui ont un projet concret 7. La future loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) devrait renforcer cette évolution. Mais aussi des évolutions sociétales À côté de ces transformations de l’environnement, on assiste à de nombreuses évolutions sociétales qui touchent les personnes et donc les entrepreneurs. L’autonomisation de l’individu, portée par l’évolution technolo- gique, constitue une tendance lourde de l’évolution des modes de vie et transforme l’ensemble des modèles sociaux 8. L’enseignement de l’entrepreneu- riat s’est fortement développé depuis, ce qui donne l’envie aux plus jeunes. Les statistiques montrent qu’un étu- diant ayant suivi une formation à l’entrepreneuriat a quatre fois plus 6 > Chloé Rébillard, « Les entrepreneurs fran- çais, entre Uber et grands patrons », Cahiers français, mars-avril 2018. 7 > « Baromètre envie d’entreprendre », Invest Partners, novembre 2017. 8 > Commissariat général au développement durable, « Penser autrement les modes de vie en 2030 », décembre 2015. 36 % des Français ont envie d’entreprendre 24 L’entreprise au xxie siècle > économie & management de chance de créer une entreprise qu’un individu n’en ayant pas suivi. 34 % des étudiants voulaient devenir entrepreneurs en 2016, contre 15 % il y a 25 ans. Les médias font plus état, et de manière positive, de belles réussites entrepreneuriales sans oublier les repor- tages sur le mode de fonctionnement des start-up et des nouveaux espaces de travail (coworking, fab lab et autres). Toutes ces évolutions ont rendu positive l’action de devenir entrepre- neur. De plus, les entrepreneurs de TPE se disent en bonne santé physique et morale et satisfaits de leur choix de vie 9. Ils sont en meilleure santé que les salariés, même s’ils travaillent plus ; le fait de devenir entrepreneur résultant d’un choix de vie ou d’une vocation 10. 9 > « Entreprendre est-il bon pour la santé ? », FCGA et Amarok, décembre 2017. 10 > « Baromètre de santé des dirigeants », 2e édition, Le Comptoir Malakoff Médéric, décembre 2017. De l’entrepreneur aux entrepreneurs On assiste depuis quelques années à la disparition de la figure de l’entre- preneur au singulier au profit d’une multitude d’entrepreneurs plus divers, innovants et qui opèrent souvent sur des niches de marché (mondiales ou locales) avec des motivations très différentes ; même si certaines ten- dances demeurent. Des tendances lourdes persistent Un entrepreneur sera toujours capable de découvrir et d’exploiter des opportunités que d’autres indi- vidus n’ont pas trouvées. Il prendra toujours des risques et innovera au sens de Schumpeter, quitte à détruire l’existant par ses innovations (« la créa- tion destructrice »). On pense à l’ubé- risation de nouvelles activités. Il aura certainement toujours un locus of control élevé, en ce sens qu’il attribue à ses décisions et actions (plutôt qu’à d’autres causes) les résultats obtenus. Toutes les études montrent tou- jours des motivations de liberté, d’au- tonomie dans le travail mais uploads/Finance/ feuilletage-l-entrepreneur-s-au-xxie-siecle-n-18368-29981.pdf

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  • Publié le Jan 05, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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