A quoi servent les banques centrales ? (I/II) Extraits de 2 articles parus en n
A quoi servent les banques centrales ? (I/II) Extraits de 2 articles parus en novembre et décembre 2007 dans Alternatives Économiques (n°263/264) Les banques centrales ont pour fonction habituelle de réguler la quantité de monnaie émise par les banques commerciales. Mais dans quel but ? La politique monétaire peut agir sur l'inflation, mais aussi sur la croissance et sur l'emploi, ce qui implique des arbitrages délicats entre ces objectifs. Paradoxalement, alors qu'il s'agit d'une question très politique, cet arbitrage est aujourd'hui confié, dans les grandes démocraties, à des banques centrales indépendantes du pouvoir politique, dans le souci de rassurer les marchés financiers, dont le rôle n'a cessé d'augmenter. 1 La recherche de la stabilité des prix Dans une économie de marché, la régulation de la quantité de monnaie en circulation est essentielle. L'opinion commune est que ce sont les banques centrales qui créent la monnaie puisqu'elles créent les billets de banque. Mais les billets et les pièces ne représentent que 5 % environ de la masse monétaire (*) : la plupart des paiements se font par transfert de compte à compte de monnaie n'existant que sous forme d'écriture dans les mémoires électroniques des banques. Cette monnaie, dite scripturale, est créée par les banques lorsqu'elles accordent des crédits. L'action de la banque centrale sur la quantité de monnaie en circulation dans l'économie est donc indirecte. La création de monnaie scripturale engendre pour les banques un besoin d'argent liquide à peu près proportionnel à la quantité de monnaie créée; on dit qu'elles doivent se refinancer. Elles se procurent cet argent liquide sur le marché monétaire, en l'empruntant à d'autres institutions financières moyennant un intérêt, contre des titres qu'elles laissent en dépôt. La banque centrale intervient sur ce marché monétaire. Elle peut faire varier les liquidités disponibles (en modulant son offre de billets de banque) et elle peut faire varier la rémunération (le taux d’intérêt) qu'elle demande pour fournir de la liquidité aux banques. Ces opérations, dites d'open market (*), font varier les taux d'intérêt à court terme et la quantité de billets de banque en circulation. Autre instrument de contrôle, les besoins de liquidités des banques sont accrus artificiellement par les réserves obligatoires: les banques sont obligées de déposer auprès de la banque centrale, sans rémunération, une somme correspondant à une fraction des crédits qu'elles accordent. Ces réserves obligatoires freinent la création monétaire par les banques. Cependant, la modification du taux des réserves obligatoires est rare et, au quotidien, la banque centrale agit surtout par ses interventions sur le marché monétaire. Cette action sur le marché monétaire a deux effets. Les banques sont évidemment sensibles au coût de l'approvisionnement en billets. Si ce coût est élevé, elles renonceront à certaines opérations de prêt peu rentables, ce qui réduit la création monétaire. Les variations des taux d'intérêt du marché monétaire sont répercutées plus ou moins rapidement et plus ou moins complètement sur les taux d'intérêt que les banques exigent pour prêter de l'argent. Les ménages et les entreprises réagissent à la variation des taux d'intérêt: une hausse des taux freine les dépenses et une baisse les accroît. Les banques centrales ont donc la capacité de faire varier la quantité de monnaie en circulation. Elles le font avec l'objectif de maintenir la stabilité des prix. Influencées par les théories monétaristes, elles avaient l'habitude de se donner un objectif de progression de la masse monétaire. Mais le lien entre le niveau général des prix et la masse monétaire en circulation étant trop approximatif, cet objectif a été abandonné au profit d'un objectif d'inflation. Il est souvent reproché à la Banque centrale européenne (BCE) d'avoir un objectif d'inflation trop bas (un niveau proche mais inférieur à 2 % par an). [ … ] Et quelles hausses de prix faut-il surveiller ? Traditionnellement, les banques centrales mettent l'accent sur les prix à la consommation. Cependant, certains chercheurs, comme Michel Aglietta, insistent sur la nécessité pour les banques centrales de prendre en compte le prix des actifs (les actions, les logements...). En effet, les bulles spéculatives (*) sur les marchés d'actifs ont constitué la forme essentielle de l'inflation dans les pays développés, ces dernières années. 2 La banque centrale et la croissance La maîtrise de la hausse des prix doit-elle être le seul objectif de la banque centrale ou doit-elle se préoccuper également de la croissance et de l'emploi ? Derrière cette question se profilent deux débats théoriques et politiques brûlants. Il s'agit de savoir si la banque centrale peut agir sur la croissance et si elle doit le faire. Malgré des controverses théoriques persistantes, il semble clair que les actions de la banque centrale peuvent influer sur la croissance. En effet, le niveau des taux d'intérêt a des conséquences sur la demande de crédits: des taux d'intérêt bas rendent le crédit moins cher et incitent les banques à prêter; la demande globale de logements, de machines ou de biens durables adressée aux entreprises s'accroît, ce qui est favorable à la croissance et à l'emploi dans les périodes où la faiblesse de la demande bride la production. De plus, des taux d'intérêt bas font baisser le taux de change de la monnaie, ce qui rend les produits nationaux moins chers que les produits importés et favorise les exportations. Les ventes mondiales des entreprises s'améliorent donc. La politique monétaire peut donc contribuer à soutenir la croissance ou, inversement, si elle est trop stricte, la freiner. Mais il ne faut pas sous-estimer les inconvénients qui résulteraient d'une absence de préoccupation vis-à-vis de l'inflation. Celle-ci consiste en une augmentation du niveau général des prix, mais cette hausse se fait à des rythmes très variables selon le degré de concurrence existant sur les marchés. Certaines entreprises peuvent augmenter leurs prix plus facilement que d'autres, ce qui fait que les prix ne reflètent plus correctement les variations de l'offre et de la demande. Ils ne jouent plus leur rôle de signal et les marchés fonctionnent moins bien. Par ailleurs, les agents qui ne parviennent pas à protéger leurs revenus contre l'inflation perdent du pouvoir d'achat. Ainsi, l'inflation des années 70 a fait perdre des dizaines de milliards de francs de l'époque aux petits épargnants qui avaient placé leurs économies sur des comptes d'épargne. Enfin, au sein de la zone euro, les pays à forte hausse des prix perdent des parts de marché face aux autres, car ils deviennent moins compétitifs. Une autre forme d'inflation s'est développée depuis une vingtaine d'années, qui est la hausse brutale et apparemment irrationnelle du prix des actifs financiers ou des actifs immobiliers: bulle japonaise entre 1985 et 1990, bulle asiatique entre 1990 et 1997, bulle Internet de 1995 à 2001, bulle immobilière de 1998 à 2006. Ces mouvements se terminent presque toujours par des crises aux conséquences parfois très graves. Ainsi, la bulle japonaise, qui a touché tout ce qui pouvait servir de réserve de valeur, de la Bourse au marché de l'art, en passant par l'immobilier et les terrains de golf, a été suivie de quinze ans de stagnation, la croissance passant de 3,8 % à 1,4 % par an. Or, une politique d'argent facile de la part de la banque centrale peut grandement contribuer à l'apparition de bulles spéculatives, en donnant aux emprunteurs les munitions qui leur permettent d'acheter à crédit des actifs financiers ou immobiliers dans l'espoir d'une plus-value à la revente. La Fed, la banque centrale des Etats-Unis, est ainsi accusée d'avoir favorisé les bulles apparues ces dernières années en maintenant des taux trop bas trop longtemps. Pendant longtemps, la théorie économique a postulé la neutralité de la monnaie: une hausse de la masse monétaire modifie le niveau général des prix, mais n'a aucun impact sur l'activité économique. Mais Knut Wicksell ayant montré que cette relation n'était vraie qu'à très long terme, Keynes conclut que "le long terme est un horizon peu intéressant. A long terme, nous serons tous morts." Pour Keynes, la monnaie peut être désirée pour elle-même et pas uniquement pour réaliser des transactions, car elle possède une propriété essentielle: la liquidité. D'autre part, les keynésiens estiment que les prix sont relativement rigides à court terme. De ce fait, une hausse de la quantité de monnaie, loin d'agir uniquement sur le niveau des prix, provoque la baisse du taux d'intérêt, donc la hausse de l'investissement. Milton Friedman conteste cette conception qui l'avait emporté après guerre. Il estime que l'effet des variations de la quantité de monnaie sur la production cesse dès que se dissipe "l'illusion monétaire": les agents se rendent compte rapidement que la hausse de leur revenu monétaire est compensée par la hausse des prix et l'activité retombe à son niveau antérieur. Friedman est donc farouchement opposé à l'utilisation de la politique monétaire en faveur de la croissance. Les nouveaux classiques développent une position bien plus radicale dans les années 70-80. Pour eux, les anticipations des agents ne sont pas adaptatives, comme le suppose Friedman, mais rationnelles: selon John Muth, inventeur de la notion, "les anticipations, dans la mesure où elles sont des prévisions bien informées d'événements futurs, sont essentiellement identiques uploads/Finance/ fiche-de-lecture-quot-a-quoi-servent-les-banques-centrales-quot.pdf
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- Publié le Dec 21, 2021
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