1 Michel LELART De la finance informelle à la microfinance Agence Universitaire
1 Michel LELART De la finance informelle à la microfinance Agence Universitaire de la Francophonie halshs-00009833, version 1 - 30 Mar 2006 2 On a l’impression que tout a commencé en février 1997 quand s’est tenu à Washington le premier Sommet mondial du micro-crédit sous le patronage du Président Bill Clinton. Son épouse Hillary était présente, au milieu des 2.900 personnes venues de 137 pays, membres d’organisation non gouvernementales (ONG), chefs d’entreprise, représentants d’institutions internationales ou de gouvernements, qui ont décidé d’appuyer les initiatives locales en matière de micro-crédit et de toucher de cette façon cent millions de familles parmi les plus pauvres de la terre d’ici 2005. On comptait alors moins de huit millions de personnes concernées. Elles étaient quatorze millions en 2000, elles seraient de soixante millions en 2005. Aujourd’hui les objectifs fixés ne sont pas vraiment atteints, ils sont néanmoins repris par l’ONU qui a décidé de faire de l’année 2005 l’année du micro-crédit. Ces objectifs ne reçoivent pas seulement une dimension politique, ils sont en même temps étendus, et de deux façons. D’une part, c’est six cents millions de personnes que l’on voudrait toucher d’ici 2015. Cela rejoint les Objectifs de Développement pour le Millénaire qui consistent notamment à réduire de moitié, à cette date, la population, estimée précisément à 1,2 milliard, dont le revenu est inférieur à un dollar par jour et qui souffre de la faim. D’autre part, il ne s’agit plus seulement cette fois de prêter un peu d’argent aux pauvres pour les faire sortir du cercle vicieux de la pauvreté, il s’agit de construire « un système financier ouvert à tous », en permettant à ceux qui sont aujourd’hui exclus de la finance d’avoir accès à des services qui sont devenus synonymes d’intégration et de modernité. Le micro-crédit a désormais sa place dans les préoccupations de la Communauté internationale. Le Groupe Consultatif d’Assistance aux plus Pauvres (CGAP) auprès de la Banque mondiale a proposé aux bailleurs de fonds de respecter un ensemble de principes qui ont été endossés par le G 8 au Sommet réuni à Sea Island en juin 2004 (cf. annexe 1).La microfinance a été de nouveau évoquée au Sommet réuni à Gleneagles en Ecosse au mois de juillet 2005. Les huit pays ont décidé d’augmenter sensiblement l’aide publique au développement en faveur de l’Afrique. Une fraction de cette aide doit permettre de soutenir des initiatives en matière de micro-crédit1. Ils ont aussi discuté de l’opportunité d’élaborer au niveau international un code de bonnes pratiques dans ce domaine. Les pays « qui ont le français en partage », qui sont quelques pays du Nord mais beaucoup plus de pays du Sud, en particulier africains, se devaient de s’impliquer tout spécialement. Ils l’ont fait à l’occasion de leur dixième Sommet à Ouagadougou en novembre 2004, en publiant eux aussi une déclaration (cf. annexe 2). C’est à la suite de cet engagement que le Président Chirac a réuni la Conférence internationale de Paris qui a regroupé plus de 600 participants le 20 juin 2005. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a été chargée de mettre en place des journées francophones de la microfinance. Et l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) a été sollicitée de mobiliser ses réseaux de chercheurs afin que ceux-ci participent, à leur façon, à cette année de la microfinance. Parmi les vingt réseaux créés au sein de l’AUF, deux sont concernés par la microfinance : le Réseau Entrepreneuriat qui, depuis sa création (1988), s’intéresse au financement des entreprises et à la mobilisation de l’épargne, ainsi que le Réseau Analyse 1. Un triplement des moyens utilisés chaque année – un milliard de dollars jusqu’ici, trois milliards envisagés désormais – devrait permettre de porter le nombre des bénéficiaires de micro-crédits à 600 millions à l’horizon 2015. Cf. le discours du Président Chirac à la Conférence internationale de Paris du 20 juin 2005. halshs-00009833, version 1 - 30 Mar 2006 3 économique et Développement qui s’est voulu dès le départ plus macro-économique, mais qui s’est peu à peu ouvert à ces préoccupations. Les deux réseaux ont décidé de conjuguer leurs efforts et de lancer des actions communes. La publication de petits ouvrages sur différents aspects ou problèmes de la microfinance en est une. Celui-ci est le premier d’une série qui s’enrichira progressivement et dont nous espérons qu’elle constituera un ensemble de textes relativement accessibles, et qui permettront d’avoir une idée assez précise et assez complète de ce qu’est aujourd’hui et de ce que peut devenir la microfinance. 0 En réalité, même si on ne parle de la microfinance que depuis une quinzaine d’années, elle s’inscrit dans une histoire un peu plus longue. On a longtemps expliqué – dans nos universités – le financement des économies du Sud comme on expliquait le financement des économies du Nord, comme si les choses se passaient partout de la même façon, comme si les banques y faisaient partout les mêmes opérations pour la même clientèle, comme si la monnaie y rendait les mêmes services. Les choses ont changé, principalement pour deux raisons. - La première raison est la prise en compte des pratiques usuraires. Dans la plupart des villages du Tiers Monde, mais plus en Asie qu’en Afrique, les paysans empruntent, en argent ou en nature, surtout dans les mois qui précèdent la récolte, à leur propriétaire, à un commerçant, à un « prêteur professionnel », à des taux exorbitants pouvant atteindre 50 à 100% pour une durée qui n’importe pas mais qui est toujours courte. On observe la même chose en ville. Dans les grandes métropoles d’Asie, cinq pesos ou cinq dollars sont empruntés le matin, six sont remboursés le soir. Ce phénomène a été analysé, pour la première fois semble-t-il, par U Tun Wai, un Birman qui a travaillé longtemps au Fonds Monétaire International et qui a publié en 1957 un article sur « les marchés financiers inorganisés »2. A côté de l’usure proprement dite, on peut aussi emprunter à la famille ou à des amis, on peut aussi se grouper pour se prêter et s’emprunter les uns aux autres. Toutes ces pratiques fort originales et très répandues ont commencé à être étudiées assez tardivement, à partir des années 60. - La seconde raison est la reconnaissance d’un secteur informel de l’économie qui ne fonctionne pas selon les normes et les mécanismes du secteur dit formel, ou encore moderne. C’est un rapport publié par le Bureau International du Travail sur le Kenya en 1972 qui utilise pour la première fois cette expression. Il s’agit là des activités non recensées, exercées avec peu de capital et beaucoup de main-d’œuvre non qualifiée, à une échelle très restreinte, sans respect d’aucune réglementation, sans contrainte initiale qui gênerait « l’entrée sur le marché ». Les travaux sur le secteur informel se sont multipliés, ils ont surtout permis de mesurer son importance, ce qui a conduit à parler du dualisme de l’économie dans le cas des pays en voie de développement. Ce dualisme de l’économie va de pair avec le dualisme de la finance. Le secteur moderne est financé par les banques, le secteur informel est financé sans institutions, par les agents eux-mêmes, d’une façon informelle… L’économie et la finance vont naturellement de pair. 2. WAI (U TUN), Interest Rates outside the organized Money Market of Underdeveloped Countries, FMI, Staff Papers, novembre 1957, pp. 80-142. halshs-00009833, version 1 - 30 Mar 2006 4 A nouveau quinze ans plus tard, des travaux ont permis de prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène. L’informel, aussi bien économique que financier, n’est pas marginal. Une enquête effectuée au Niger en 1986 par l’USAID et l’Université d’Ohio a révélé l’importance des gardes-monnaie et des banquiers ambulants ; la Banque mondiale dans son rapport sur le développement de 1989 consacre un chapitre au système financier informel ; l’OCDE publie en 1991 la synthèse d’une série d’études effectuées par le Centre de Développement dans une douzaine de pays, elle s’interroge sur le rôle que peut avoir le système financier informel et en tire des recommandations pour les Etats… C’est dans ce terreau qu’est née la microfinance, quelques années plus tard. C’est par rapport à tout ce qui se passait avant, et par rapport à tout ce qu’on avait écrit à ce sujet, qu’on peut le mieux comprendre la microfinance, percevoir ses atouts et ses limites, et imaginer ce qu’elle peut devenir. C’est ainsi que nous allons examiner successivement 1. D’où vient la microfinance, quels sont ses antécédents : nous le savons déjà : c’est la finance informelle 2. La finance informelle paraît avoir cédé la place à la microfinance : que s’est-il donc passé ? 3. Et maintenant où va la microfinance ? En quoi réussit-elle, et cela peut-il continuer ? halshs-00009833, version 1 - 30 Mar 2006 5 Première Partie : D’où vient la microfinance ? Le concept de finance informelle met l’accent sur l’absence de formes : ce sont des pratiques d’épargne et de crédit qui ne sont pas obligées de respecter un cadre ou un schéma fixé. Les relations entre le débiteur et uploads/Finance/ file-finance-informelle-microfinance.pdf
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- Publié le Oct 19, 2022
- Catégorie Business / Finance
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