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Tous droits réservés © HEC Montréal, 2003 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 22 oct. 2021 08:51 L'Actualité économique Keynes, une économie politique du capitalisme financier? Keynes, a Political Economy of Finance Capital? Christian Tutin Que reste-t-il de Keynes? Volume 79, numéro 1-2, mars–juin 2003 URI : https://id.erudit.org/iderudit/009672ar DOI : https://doi.org/10.7202/009672ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) HEC Montréal ISSN 0001-771X (imprimé) 1710-3991 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Tutin, C. (2003). Keynes, une économie politique du capitalisme financier? L'Actualité économique, 79(1-2), 21–36. https://doi.org/10.7202/009672ar Résumé de l'article Pour Keynes, le blocage de l’investissement à l’origine du chômage massif résulte du fonctionnement normal du système monétaire et financier. Parce qu’elle entraîne l’absence d’ajustement automatique de l’investissement et de l’épargne, l’indépendance du taux d’intérêt par rapport à l’épargne courante joue un rôle décisif dans cette explication. La récursivité du modèle keynésien repose ainsi entièrement sur la théorie monétaire de l’intérêt, malheureusement inacceptable en l’état. Trois pistes ont été ouvertes par Keynes pour justifier l’autonomie de l’intérêt : la notion de double circulation, introduite dans le Traité de la monnaie, le processus d’alignement des taux de rendement sur le taux monétaire présenté au chapitre 17 de la Théorie générale, et la notion de convention financière du chapitre 12, portant sur l’évaluation nominale du stock de capital. Cette dernière semble la plus prometteuse. Elle débouche sur l’idée que ce sont les marchés financiers, en tant que marchés de stocks, qui imposent une contrainte globale à l’investissement, rompant ainsi le jeu des interdépendances, en même temps qu’ils rendent les entrepreneurs dépendants d’une évaluation nominale de leur capital qui leur échappe. Suivre cette piste implique l’abandon de la théorie monétaire de l’intérêt telle que l’a formulée Keynes au profit d’une théorie du capital financier. KEYNES, UNE ÉCONOMIE POLITIQUE DU CAPITALISME FINANCIER? Christian TUTIN Université des Antilles et de la Guyane j PHARE RÉSUMÉ – Pour Keynes, le blocage de l’investissement à l’origine du chômage massif résulte du fonctionnement normal du système monétaire et financier. Parce qu’elle entraîne l’absence d’ajustement automatique de l’investissement et de l’épargne, l’indépendance du taux d’intérêt par rapport à l’épargne courante joue un rôle décisif dans cette explication. La récursivité du modèle keynésien repose ainsi entièrement sur la théorie monétaire de l’intérêt, malheureusement inacceptable en l’état. Trois pistes ont été ouvertes par Keynes pour justifier l’autonomie de l’intérêt : la notion de double circulation, introduite dans le Traité de la monnaie, le processus d’alignement des taux de rendement sur le taux moné- taire présenté au chapitre 17 de la Théorie générale, et la notion de convention financière du chapitre 12, portant sur l’évaluation nominale du stock de capital. Cette dernière semble la plus prometteuse. Elle débouche sur l’idée que ce sont les marchés financiers, en tant que marchés de stocks, qui imposent une contrainte globale à l’investissement, rompant ainsi le jeu des interdépendances, en même temps qu’ils rendent les entrepreneurs dépen- dants d’une évaluation nominale de leur capital qui leur échappe. Suivre cette piste implique l’abandon de la théorie monétaire de l’intérêt telle que l’a formulée Keynes au profit d’une théorie du capital financier. ABSTRACT – Keynes, a Political Economy of Finance Capital? Keynesian mass unemploy- ment is due to a lack of investment resulting from the normal operating of the « financial machine ». Because it explains why investment and saving do not adjust smoothly to each other, the autonomy of the interest rate, driven as it is by monetary forces, plays an essen- tial part in this theory. But Keynes’s thesis that fluctuations of the interest rate have nothing to do with the amount of current saving has never been accepted by his fellow economists, who convincingly showed that the money demand apparatus developed by Keynes could not support his rejection of the classical interdependencies between interest, saving and the net return from capital goods. In response to this critics Keynes sketched at least three lines of defense : in the Treatise on Money, he puts forward the distinction between industrial and financial circulation; in the General Theory, he referred in chapter 17 to the process of equalization of capital goods own rates of interest, and in chapter 12 to the conventional valuation of capital by financial markets, introduced. This last track seems to be the most promising one, because it offers a link between two lines of argument: what we can call the « stock argument », already opposed to Robertson’s objections, and the « nominalist view » of capital valuation. In order to exploit this « financial » track, it is necessary to abandon Keynes’s pragmatic attitude, which consisted in extending to money the frame- work of value theory (i.e. demand and supply apparatus), and to elaborate a representation of debt and credit relationships which is missing in the General Theory. L’Actualité économique, Revue d’analyse économique, vol. 79, nos 1-2, mars-juin 2003 22 L’ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE INTRODUCTION : ÉPARGNE ET INTÉRÊT, LE SCANDALE KEYNES Comme avec Marx, il est possible d’admirer Keynes tout en considérant néanmoins que sa vision sociale est fausse et que chacune de ses propositions est fallacieuse. Ce jugement de Schumpeter1, qui pouvait passer, il y a un demi-siècle, pour celui d’un rival jaloux du formidable succès des thèses keynésiennes, exprime assez bien aujourd’hui l’opinion moyenne de la profession des économistes. Il vaut en particulier pour les thèses de Keynes sur l’épargne. Presque aucun écono- miste ne nierait aujourd’hui qu’une hausse de l’épargne peut être défavorable à l’emploi, mais fort peu seraient prêts à admettre que les variations du taux d’intérêt n’ont rien à voir avec celles de l’épargne courante. Pourtant, Keynes a constam- ment réaffirmé, devant l’incrédulité et l’incompréhension suscitées par cette thèse chez la plupart des économistes, même les mieux disposés à son égard, que ce qu’il voulait dire était bien que le taux d’intérêt n’entretenait pas de relation fonc- tionnelle avec l’épargne de la période. Pour scandaleuse qu’elle apparaisse, l’indépendance proclamée du taux d’inté- rêt par rapport aux « forces réelles » de la productivité et de l’épargne est pourtant la traduction la plus profonde, au niveau de l’analyse économique, de la vision du monde qui était la sienne. Dans cette vision2, la dynamique du capitalisme résulte du jeu combiné de deux séries de forces : celles de l’entreprise, et celles de la finance, qui se conjuguent le plus souvent, au service de l’accumulation, mais peuvent aussi se neutraliser lorsque, comme c’est le cas dans les périodes de chô- mage massif, le désir d’argent annihile l’esprit d’entreprise. Le capitalisme risque alors de perdre ses vertus d’efficacité économique, pour ne plus subsister que comme un « mode de vie », marqué par la passion du lucre, que Keynes réprou- vait au plan moral. Le monde moderne est clairement caractérisé, à ses yeux, par l’affaiblissement des forces de l’entreprise et le renforcement de celles de la finance. Tandis que les interventions politiques de Keynes se ramènent à une longue bataille contre l’orthodoxie financière et le conservatisme des banquiers et des rentiers, ses écrits théoriques peuvent se lire comme autant de tentatives succes- sives pour fonder en théorie cette lutte contre les mauvais génies financiers du capitalisme. Une vision morale, jointe à un système théorique et à une doctrine d’action : c’est une véritable « économie politique du capitalisme financier » qu’il cherche à fonder. À l’heure de la globalisation, où la dynamique du capitalisme est de plus en plus clairement portée par son cœur financier, et alors que la menace d’une crise financière majeure plane sur l’économie mondiale, force est pourtant de constater que jamais depuis un demi-siècle, la pensée économique des milieux dirigeants ___________ 1. Formulé dans un article de 1946 repris dans la conclusion de son Histoire de l’analyse économique (traduction française, Schumpeter, 1954, t. 3 : 589). 2. Voir La fin du laissez-faire (1926) et les « Perspectives économiques pour nos petits enfants » (1930). KEYNES, UNE ÉCONOMIE POLITIQUE DU CAPITALISME FINANCIER? 23 n’a été aussi éloignée de Keynes. Au-delà des avatars de l’idéologie, qui comptent évidemment pour beaucoup, l’explication de ce paradoxe doit être trouvée dans les textes mêmes de Keynes, c’est-à-dire dans les difficultés non résolues aux- quelles il s’est heurté dans la réalisation de son projet théorique. Le contenu et le statut de la théorie keynésienne sont ainsi restés ambigus, et sa capacité de résis- tance au renouveau de la pensée libérale s’en est trouvée affaiblie. On reviendra d’abord, dans une première section, sur la cohérence d’ensemble du projet keynésien de « théorie monétaire du chômage », dont la « théorie moné- taire de l’intérêt » développée dans la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la uploads/Finance/ keynes-epargne-taux-d-x27-interet.pdf

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  • Publié le Nov 12, 2022
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