LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE DES SYSTÈMES FINANCIERS : L’EXEMPLE DE LA BANQUE DE

LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE DES SYSTÈMES FINANCIERS : L’EXEMPLE DE LA BANQUE DE FINANCEMENT ET D’INVESTISSEMENT JEAN-CHRISTOPHE MIESZALA* L e concept de « révolution technologique » présente l’avantage de marquer les esprits, mais risque de rendre ces derniers insensibles à certaines nuances. Il semble en effet que le secteur financier ait toujours été modelé et porté par le progrès technique ; de ce point de vue, l’ère de la « digitalisation » des activités financières s’inscrit donc en continuité plutôt qu’en rupture. Les communica- tions électrifiées, l’apparition des cartes bancaires, des guichets auto- matiques ou de la télématique bancaire sont autant de jalons sur une courbe d’apparence linéaire – pour peu qu’on l’observe avec le recul suffisant. Cette remarque préalable ne vise en rien à minimiser l’importance des évolutions en cours dans les activités financières, mais plutôt à focaliser l’attention sur la véritable nature des changements brusques et structurels qui les affectent – les révolutions au sens strict du terme. Le premier de ces changements est d’ordre industriel. Après avoir démultiplié les moyens physiques de l’Homme, la technologie a atteint un point d’inflexion : elle est en mesure à présent d’augmenter mas- sivement les moyens intellectuels de ce dernier. L’informatisation d’un * Directeur associé senior, McKinsey & Company. Contact : jean-christophe_mieszalasmckinsey.com. 53 nombre croissant de fonctions cognitives – communiquer, innover, produire des services, prendre des décisions – va déboucher sur des gains de productivité considérables, via la réduction des coûts et de nouvelles possibilités de croissance. Le deuxième de ces changements est d’ordre concurrentiel. La struc- ture de l’industrie financière est fondamentalement ébranlée : de nou- veaux entrants peuvent désormais attaquer des maillons spécifiques de chaînes de valeur auparavant intégrées. Par ailleurs, ces nouveaux entrants n’ont plus nécessairement à s’acquitter d’un ticket d’entrée prohibitif. Des actifs matériels (réseaux d’agences) ou immatériels (systèmes d’information), qui apparaissaient comme autant de solides barrières à l’entrée, menacent de devenir des contraintes pour l’agilité des acteurs traditionnels. Dans la banque de financement et d’inves- tissement (BFI) par exemple, un nouvel entrant indépendant parmi les courtiers en titres liquides a conçu une plate-forme d’exécution deux fois moins chère que celle des meilleurs acteurs traditionnels, en re- pensant aussi bien l’outil informatique que l’organisation du front office et l’efficacité des processus. Par ailleurs, la standardisation et la numé- risation des processus peuvent favoriser l’éclatement de l’offre produit (par exemple, sweeping et pooling en cash management). Le troisième changement est d’ordre culturel et managérial. La « disruption » potentielle de nombreux métiers financiers exige, entre autres, de raisonner en termes d’écosystèmes ouverts, de mener des transformations de grande ampleur, de faire évoluer les compétences et les habitudes de travail de larges cohortes de collaborateurs. Et c’est là sans doute que réside l’enjeu primordial de la mutation en cours. Afin de rendre cette démonstration aussi éclairante que possible pour le lecteur, nous nous attacherons à l’illustrer à travers l’exemple de la BFI. Ce parti pris mettra aussi en évidence le caractère transversal des évolutions décrites – là où l’angle de la numérisation de la banque de détail, plus souvent traité et davantage documenté, pourrait laisser croire, à tort, que ces évolutions concernent avant tout le segment business to consumer des activités financières. LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE OUVRE DE NOUVEAUX HORIZONS INDUSTRIELS Les technologies numériques1 transforment quatre fonctions « mo- trices » des activités financières : les interactions avec les clients et entre collaborateurs, la production, l’innovation et la prise de décisions. Si ces tâches cognitives faisaient déjà l’objet, à des degrés divers, de routines codifiées, leur digitalisation étend désormais considérable- ment les possibilités d’industrialisation poussée. REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 54 Pour comprendre les répercussions de la digitalisation sur ces fonctions, suivons tout d’abord un responsable de la trésorerie d’une grande multinationale dans un parcours fictif. Il découvre, lors d’une démonstration sur un salon professionnel, une plate-forme numérique de gestion des transactions sur devises. Curieux, il visite le site web de la banque où il obtient davantage d’informations. Il apprend l’existence de fonctionnalités additionnelles qui pourraient l’intéres- ser, telle la gestion des crédits ou des taux. Il sollicite alors une rencontre avec un représentant commercial et se voit proposer, sans aucune attente, un échange par visioconférence via sa tablette. À l’issue de ce dialogue, il est assez convaincu de l’intérêt de la solution et souscrit une offre d’essai. Il installe alors immédiatement l’appli- cation financière sur sa tablette. Après quelques jours d’utilisation, il est conquis par l’expérience client : les opérations sur devises sont fluides, notamment les ordres à seuil de déclenchement qui sont faciles à placer. La banque, disposant d’une vision en temps réel sur les liquidités du client, est en mesure de lui offrir – au moment opportun – une discussion sur les opportunités de placement. Cette discussion débouche sur la souscription par le client de nouvelles options. Quelques semaines plus tard, lorsque le client étend ses activités à une nouvelle zone géographique, il apprécie l’accompa- gnement sur mesure que sa banque est en mesure de lui offrir : par exemple, l’analyse de solvabilité des fournisseurs et clients intégrée au solde de son compte ou l’accès à un portail de passation de marchés personnalisé en fonction des données de financement de sa chaîne d’approvisionnement. Enfin, le client tout comme le chargé d’affaires profitent de services en libre accès qui leur font gagner un temps précieux : le premier peut ainsi gérer lui-même des comptes bancaires grâce à des outils de type eBAM (Electronic Bank Account Manage- ment), le second obtenir à sa convenance un rapport complet et à jour de la situation de son client. On le constate à travers cet exemple, l’existence d’univers physique et virtuel distincts n’a plus guère de sens. Les activités d’une BFI entremêlent étroitement les différents canaux, tout au long de la chaîne de valeur. Cela est d’autant plus vrai pour les clients entreprises que la relation, historiquement, a toujours plus tenu de la « vente debout ». La digitalisation de ces activités permet souvent de réaliser un « saut » industriel et de générer une croissance de l’ordre de 10 % ainsi qu’une réduction de coûts de l’ordre de 20 % (cf. schéma infra). LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE DES SYSTÈMES FINANCIERS : L’EXEMPLE DE LA BANQUE DE FINANCEMENT ET D’INVESTISSEMENT 55 Schéma Grâce à la digitalisation, une croissance du revenu de l’ordre de 10 % et une réduction de coûts de l’ordre de 20 % sont réalisables (indications basées sur des exemples clients) * Campagnes centrées sur le produit et recours à des plates-formes communautaires. ** Asset-backed finance, structured finance (financement adossé à des actifs, financement structuré). Source : McKinsey. Interactions : une expérience multicanale plus fluide pour le client, un travail collaboratif facilité pour les employés Pour le client ou le collaborateur, la valeur apportée aux interactions par les outils numériques découle d’une combinaison de trois facteurs : commodité, ubiquité et communauté. Le multicanal permet de réaliser soi-même certaines opérations – avec un gain d’efficacité personnel à la clé. Le client, par exemple, peut effectuer des simulations, établir des prévisions, générer des ana- lyses et des rapports, programmer des notifications, gérer des autori- sations, etc. Les attentes des clients en la matière sont souvent sous- estimées : la qualité des services digitaux arrive pourtant en quatrième position parmi dix critères orientant le choix d’un prestataire de services de gestion de flux financiers et de trésorerie (Greenwich Associates, 2013). Les technologies mobiles, le cloud computing et – très bientôt – l’Internet des objets connectés confèrent à Internet un caractère ubiquitaire : le réseau est accessible partout, à tout moment, via des interfaces de plus en plus « discrètes » et intégrées à l’environnement REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 56 de vie des utilisateurs. Un grand nombre de services financiers peuvent être obtenus sur demande – une évolution loin d’être anecdotique pour un cadre financier international, souvent contraint à la mobilité et à des horaires désynchronisés. Pour les collaborateurs de la BFI aussi, ces outils mobiles répondent à l’évolution des attentes professionnelles. Enfin, les réseaux sociaux permettent aux clients et aux collabora- teurs de mobiliser l’intelligence collective de la « multitude » (crowd- sourcing). Ainsi, pour le client, cela peut se traduire par l’accès à un forum de discussion consacré à l’impact d’une évolution réglementaire ou de questions économiques, sur lequel interagissent d’autres clients et/ou des experts de la banque, et pour le collaborateur par l’utilisation d’un réseau social d’entreprise qui lui permettra de solliciter les conseils de collègues compétents sur une question pointue. En résumé, les technologies numériques facilitent et améliorent la qualité des échanges d’informations et, par conséquent, accroissent la productivité d’une activité essentiellement fondée sur les échanges d’informations. Production du service bancaire : une efficacité accrue Les processus de production des services financiers comportent des tâches très hétérogènes en termes de valeur ajoutée, depuis les mani- pulations à valeur ajoutée quasi nulle jusqu’aux conseils requérant un très haut degré d’expertise et de personnalisation. Même dans la BFI, la proportion des premières n’est pas négligeable. Considérons, par exemple, le processus d’enregistrement d’un nou- veau client. Le principe uploads/Finance/ la-revolution-technologique-des-systemes-financier-s-finance 1 .pdf

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  • Publié le Oct 18, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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