Pierre Lachaier Le culte de la déesse de la fortune Laksmī chez les marchands L
Pierre Lachaier Le culte de la déesse de la fortune Laksmī chez les marchands Lohana In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 87 N°2, 2000. pp. 787-808. Citer ce document / Cite this document : Lachaier Pierre. Le culte de la déesse de la fortune Laksmī chez les marchands Lohana. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 87 N°2, 2000. pp. 787-808. doi : 10.3406/befeo.2000.3501 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/befeo_0336-1519_2000_num_87_2_3501 Abstract Pierre Lachaier The worship of Laksmī, the goddess of wealth, among Lohana Merchants This study of social anthropology is about the worship of the goddess of wealth Laksmī (laksmī-pujā) by the Kacchi Lohana merchants of Pune during the period of Divālī. Among the many rituals included in the laksmī-pujā, the most important is the inauguration of the accounting books, which may represent the ancestors. The laksmī-pujā is described within its socio-economical and ritual context, and the possible relationships with the ancestors are assessed. The analysis of the Divālī page of a small almanac published by the Lohana association allows us, on the basis of comparison with some ethnographic sources, to determine the way the Lohanas link their laksmī-pujā with other rituals of the Divālī period. Observing it gave us the opportunity to meet the heads of Lohana firms associated with the officiant's firm in a larger firm as well as their creditors, debtors and employees. Their economic relationships could be partially determined by analysing a balance sheet of the officiant's firm. Résumé Pierre Lachaier Le culte de la déesse de la fortune Laksmī chez les marchands Lohana Cette étude d'anthropologie sociale porte sur le culte rendu dans leur échoppe à la déesse de la fortune Laksmī (laksmī-pujā) par des marchands Kacchi Lohana de Pune pendant la période de Divālī. La laksml-pujà comprend plusieurs rites, dont le plus important pour les marchands est l'inauguration des documents comptables qui peuvent représenter les ancêtres. L'analyse de la page de Divālī d'un petit almanach publié par l'association des Lohana permet de préciser, comparativement avec quelques sources ethnographiques, les rapports que les Lohana établissent entre leur laksmī-pujā et les rites de la période de Divālī. La pujà est décrite dans son contexte socioéconomique et liturgique et les rapports possibles aux ancêtres sont précisés. Son observation est l'occasion de rencontrer les chefs des firmes lohana associées à celle de l'officiant dans une firme plus vaste, ainsi que leurs créditeurs, débiteurs et salariés. Leurs rapports économiques ont pu être en partie précisés par l'analyse d'un bilan de la firme des officiants. Le culte de la déesse de la fortune Laksmï chez les marchands Lohana Pierre Lachaier Introduction Les études socioéconomiques des marchands et industriels indiens ne manquent pas de souligner l'importance de leurs pratiques religieuses ; mais peu d'entre elles ont décrit les rites célébrés sur les lieux où ils exercent leurs activités professionnelles. Cette étude d'anthropologie sociale porte sur le culte rendu dans leur bureau ou échoppe à la déesse de la fortune Laksmï, la laksmï-pujà, par des marchands Kacchi Lohana {kacchi lohána) 1 de Pune (Maharashtra) pendant la période de Divàlï. Célébrée partout en Inde, la fête de la lumière Divâli (ou Dlpàvaïï) n'est pas consacrée à une divinité précise, et les rites qui ont lieu à cette occasion varient en importance et dans leurs détails selon les régions et les époques. La laksmï-pujâ elle-même regroupe plusieurs cultes, dont celui que rendent les marchands à leurs livres comptables, la vahl-pujà, objet principal de cet article. La description que nous allons donner de ces rites s'appuie sur nos précédents travaux et les complète (Lachaier, 1999). С A. Bayly, qui s'est beaucoup intéressé à la crédibilité/solvabilité du marchand, indice de sa respectabilité et de son honneur2, mentionne l'existence d'un rapport entre les livres de comptes et un culte aux ancêtres aux xvill-xixe siècles (1983 : 379) : « Quelques- unes des vieilles firmes de Delhi organisaient même un rite pendant lequel on rendait un culte aux anciens livres de comptes en tant que représentation des vies de dévouement des ancêtres fondateurs de "la firme" ». Pour la même époque étudiée par Bayly et jusqu'à l'Indépendance, D. Hardiman3 a observé que les anciens livres de comptes étaient placés 1. Anciennement originaires du Sindh, les Lohana ont migré au Kacch, au Kathiawar, puis au tournant de l'Indépendance, au Gujarat et au Maharashtra, où ils sont connus comme marchands et boutiquiers. Ils se subdivisent aujourd'hui en quatre jâti, autrefois fortement endogames : les Lohana Kacchi, Halay (hàlâï), Nagar Thatta {nagara thaththa), et Ghoghari (ghoghàrï). 2. Thème crucial pour l'étude du monde marchand. D'après Taknet (1986 : 162, note 30), les marchands marvari (mârvâdî) estimaient qu'une perte de « goodwill » (prestige, réputation, crédibilité) équivalant à la mort des affaires, l'on n'osait pas se déclarer en faillite. Lorsqu'un marchand ne pouvait payer ses dettes, il devait porter un turban blanc et les femmes de sa famille ne pouvaient porter de vêtement coloré (elles devaient donc s'habiller en blanc, couleur de deuil) ; le marchand était boycotté. 3. Hardiman (1996: 84); l'ensemble du chapitre «The Banya's Life and Faith», est fort intéressant pour notre propos. Voir aussi p. 171-176. Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, 87 (2000), p. 787-8 788 Pierre Lachaier près des nouveaux devant l'image de Laksmï pendant la laksmï-pujà, et J. Laidlaw4 fait le même constat pour l'époque actuelle, ce qui donne à penser que la référence aux ancêtres est toujours présente pendant la laksmï-pujà. Bayly, pour qui les livres de comptes symbolisent la continuité intergénérationnelle de la firme, interprête ainsi ce rapport aux ancêtres (1983 : 379) : «Selon les sàstra, un homme était tenu responsable des dettes de ses ancêtres sur trois générations, écart le plus important pour la transmission du crédit. Le remboursement de telles dettes était pour lui un devoir qui passait même avant celui d'engendrer un héritier masculin, qui, seul, pouvait garantir sa propre accession au statut d'ancêtre honoré après sa mort, et, ultimement, son salut par le rite de srâddha. Ainsi, les firmes étaient souvent dénommées d'après les noms conjoints de trois générations [d'agnats], du grand-père aux petits-fils, et tout indique que de tels rapports de crédit-dette ont persisté pendant de longues périodes, et même jusqu'au XVIIIe siècle. »5 Nous avons pu confirmer cette interprétation à partir de l'analyse des publicités collectives trigénérationnelles de firmes lignagères Kacchi Lohana contemporaines (Lachaier, 1999 : 100-112, 131-37), ce dont nous reparlerons brièvement ci-dessous. Mais les rapports symboliques existant entre les ancêtres et les livres de comptes eux-mêmes (vahî), et qui pourraient être rendus manifestes pendant la vahï-pujâ, n'ont pas vraiment été clairement explicités. Nous avons donc ici tenté de les préciser. Nos informations proviennent d'enquêtes de terrain6, des documents fournis pendant celles-ci par les marchands observés ou publiés par leurs associations 7, d'un petit manuel liturgique pour la laksmï-pujà acheté dans le commerce8, ainsi que de quelques descriptions de la laksmï-pujà au XXe siècle (J. M. Campbell, 1901 ; M. Sinclair Stevenson, 1920 ; С A. Bayly, 1983 ; J. Laidlaw, 1995). Mais, plus que le rite lui-même, c'est surtout son inscription dans la période festive de Divâlï et dans son milieu socioéconomique qui a retenu notre attention. Comme la déesse Sri 9, ou Laksmï, et la fête de Divâlï sont attestées par une longue tradition textuelle, nous nous sommes aussi appuyés sur les travaux de U. P. Dhal (1978), D. Kinsley (1987), P. V. Kane (1930-62), V. Raghavan (1979) et S. Anand (1991). Pour situer la laksmï-pujà dans la période de Divâlï, nous commencerons par analyser le calendrier des fêtes publié par les Lohana ; puis nous décrirons leur laksmï-pujâ et terminerons en examinant plus en détail leur vahï-pujà. 4. Laidlaw, 1995 : 375 ; il s'agit d'une pujâ faite vraisemblablement au domicile de marchands jaïns. 5. Voir aussi la revue Purusàrtha qui a consacré à la dette son numéro 4 (1980), édité par Ch. Malamoud. 6. La laksmï-pujâ décrite a été observée en 1996 chez les marchands de sacs Kacchi Lohana de Pune. D'autres laksmï-pûjâ ont été observées en 1985, à Sangli dans deux petites entreprises industrielles et dans l'échoppe d'un transporteur, puis en 1996 dans plusieurs entreprises de Pondichéry, et en 1998 chez des prêteurs marvari jaïns de Pondichéry. À Pondichéry et en pays tamoul, les livres de comptes font partie des outils de travail auxquels on fait la pujâ pendant la période de Navarâtri-Dasaharà ; mais les Marvari de Pondichéry suivent le calendrier du Nord. 7. Sri Kacchi Lohânâ Mahâjana, 1984. 8. Milindamâdhava, 1977. 9. La déesse Sri est connue depuis les temps pré-bouddhiques (Kinsley, 1987 : 19), et dans le Srïsukta, en annexe du Rgveda (Sonde, 1998), on l'invoque déjà pour qu'elle accorde richesse, bonheur, santé, etc. Le culte de la déesse de la fortune Laksmï chez les marchands Lohana 789 Le calendrier lohana et la fête de Divâlî Le calendrier des Lohana Les Lohana ont en commun un journal hebdomadaire en gujarati édité à Bombay, le Lohànâ Hitecchu10. Ses abonnés reçoivent chaque année un petit almanach de poche (pancànga). L'année indienne, repérée dans l'ère vïkrama-samvat (V. S.), comprend 12 mois11 subdivisés en deux quinzaines uploads/Finance/ le-culte-de-la-deesse-de-la-fortune-laksmi-chez-les-marchands-lohana.pdf
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- Publié le Jui 13, 2021
- Catégorie Business / Finance
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