Sommaire l Page 2 : Des valeurs individuelles qui sous-tendent la privatisation

Sommaire l Page 2 : Des valeurs individuelles qui sous-tendent la privatisation de l’école l Page 13 : Processus de fragmentation l Page 21 : Des scolarités personnalisées ? l Page 30 : Publique et privée, l’éducation à la croisée de plusieurs sphères l Page 33 : Bibliographie 1/40 Dossier de veille de l’IFÉ • n° 137 • Mai 2021 Privatisée, marchandisée : L’école archipel n° 137 Mai 2021 Dossier de veille de l’IFÉ La privatisation de l’éducation peut être défi­ nie comme « le transfert de biens, de fonc­ tions, de responsabilités ou d’opérations de gestion qui étaient précédemment aux mains d’acteurs publics, au premier rang desquels les pouvoir publics et qui sont confiés à des acteurs privés » (Chevallier & Pons, 2019) l. Dès 2007, Ball et Youndell ont construit une typologie distinguant des formes de privatisations endogènes, internes au systèmes éducatifs – qui com­ prennent la montée en puissance des mar­ chés scolaires, la propagation des principes de la nouvelle gestion publique (New Public Management) dans le contrôle et le pilotage des établissements, et la mise en œuvre de politiques de reddition de comptes (ac­ countability) – des formes de privatisations exogènes, caractérisées par une entrée du secteur privé dans l’éducation, lorsque des entreprises prennent part à l’organisation et à la gestion de segments de l’enseignement public (Chevallier & Pons, 2019). De façon complémentaire, la notion de marchandisa­ tion est utilisée pour désigner la tendance à tirer un profit mercantile d’une activité non marchande, c’est à dire, pour le sujet qui nous préoccupe, au sein de l’enseignement public. Dans ce dossier, nous allons nous attacher à étudier ces deux phénomènes qui se ren­ forcent mutuellement l. À partir d’une pre­ mière partie portant sur les questions de va­ leurs et les arguments qui sous-tendent pri­ vatisation et marchés scolaires et contribuent à leur généralisation, nous aborderons dans la deuxième partie des processus à l’œuvre dans ces privatisations, que ces soient les actions des parents et ou les multiples in­ PRIVATISÉE, MARCHANDISÉE : L’ÉCOLE ARCHIPEL Toutes les références bibliographiques dans ce Dossier de veille sont accessibles sur notre bibliographie collaborative. l Par Anne-Françoise Gibert Chargée d’étude et de recherche au service Veille et Analyses de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ) Nous n’aborderons ni les aspects de contrôle, d’organisation et de management des services publics et des établissements, ni les financements et appels aux capitaux privés dans le fonctionnement des établissements, ni les enjeux de l’industrialisation de l’éducation l Dossier de veille de l’IFÉ • n° 137 • Mai 2021 Privatisée, marchandisée : L’école archipel 2/40 fluences dans la constitution des curri­ culums. Nous étudierons enfin diverses formes d’individualisation, en lien avec leur privatisation, au sein des scolarisa­ tions : au-delà d’une scission école privée/ école publique et du développement des écoles hors contrat, celles-ci se diffusent au cœur de l’école via la prise en compte des besoins éducatifs particuliers et à sa lisière, dans les interstices des cours parti­ culiers ou du coaching. Ainsi, les fractures éducatives sont bien réelles, et posent de multiples questions quant aux positions respectives du public et du privé, des biens que le service public doit fournir ou des relations à ses usager·es. DES VALEURS INDIVIDUELLES QUI SOUS-TENDENT LA PRIVATISATION DE L’ÉCOLE La question de la privatisation de l’édu­ cation est souvent réduite à des opposi­ tions binaires : privé/public ; utilitariste/ universel ; payant/gratuit ; religieux/ laïc ; flexible/rigide ; intérêts privés/inté­ rêt collectif ; privilèges/justice sociale, etc. Le glissement vers des oppositions de valeurs n’est pas loin… Les tra­ vaux de Nathalie Heinich sur la socio­ logie des valeurs montrent qu’au-delà des cinq valeurs classiques du beau, du bien, du bon, du juste et du vrai, il en existe désormais d’autres en usage dans les sociétés occidentales. Celles- ci relèvent de registres différents : l’effi­ cace est technique, l’utile est fonction­ nel, le coût relève de l’économique et le renommé du réputationnel. Heinich pointe l’existence de « valeurs cardi­ nales » qui les amplifient : la nouveauté et la rareté en régime de singularité, la pérennité et l’universalité en régime de communauté - qui privilégie le partagé, le commun, le conventionnel (Heinich, 2018). Nous verrons au cours de ce dos­ sier que les valeurs d’efficacité, d’utilité et de renommée, tout comme la rareté et la nouveauté, sont autant de fac­ teurs qui interviennent dans « le choix de l’école », pour reprendre le titre de l’ouvrage majeur sur la question de van Zanten l. Et aussi que si l’efficacité et la performance sont bien présentes dans l’idéal du nouveau management, « ces injonctions sont accompagnées de valeurs “douces” (le développement personnel, l’estime de soi, etc.) qui sont en grande partie des outils au service de la gestion des ressources humaines » (Piraux, 2011), et influencent également les stratégies parentales de scolarisa­ tion. L’ÉDUCATION, DROIT HUMAIN OU BIEN PRIVÉ ? Un droit humain garanti par un service public ? L’éducation est un droit humain ins­ crit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que l’enseignement élémentaire et fonda­ mental doit être gratuit et obligatoire. Le préambule de la Constitution de 1946 stipule que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’ins­ truction, à la formation professionnelle, à la culture » ; ces obligations sont ren­ forcées par le Code de l’éducation qui fixe les principe d’égalité des chances l et de gratuité. Malgré ces obligations légales, la rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation des Nations unies a récemment rappelé aux États leur de­ voir de garantir un enseignement public gratuit et de qualité. Elle alerte sur le sous-financement chronique de l’ensei­ gnement public et souligne que le déve­ loppement non règlementé des acteurs privés à vocation commerciale depuis une vingtaine d’années, particulièrement dans les “pays pauvres”, a « transformé la structure des systèmes éducatifs » et « eu un effet néfaste sur l’enseignement public » (Barry Boly, 2019). Parallèle­ ment à cela, un rapport de l’UNESCO souligne que « l’accroissement de la demande de services éducatifs, la com­ pétition pour un statut social et les mar­ chés internationaux de l’éducation ont créé des marchés pratiquement illimités. Les investisseurs privés et les banques Voir sur les coulisses de cette enquête : Ravez, Claire « Choisir son école » : les coulisses de l’enquête d’A. van Zanten accessibles sur beQuali » Eduveille, janvier 2020. l Article L111-1 : L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances. l 3/40 Dossier de veille de l’IFÉ • n° 137 • Mai 2021 Privatisée, marchandisée : L’école archipel commerciales sont donc prêts à finan­ cer ces activités d’éducation promettant d’importants profits » (Rizvi, 2016). Une contribution au capital humain qui en fait un bien privé La question du retour sur investisse­ ment de l’éducation est posée depuis les années 1960, date à laquelle Becker conceptualise la théorie du capital hu­ main l. Ainsi, selon la Banque mondiale, les investissements dans l’éducation augmentent la productivité future l, et permettent aux individus d’accéder à des postes intéressants et des salaires convenables. Le but de la scolarisation est alors de sélectionner les futur·es employé·es potentiel·les ayant une pro­ ductivité ou des capacités d’apprentis­ sage importantes l. Il est donc possible pour certains d’affirmer que : « La pri­ vatisation du financement est logique et justifiée lorsqu’il est démontré que l’es­ sentiel des bénéfices d’une scolarisation constitue des bénéfices essentiellement privés » (Psacharopoulos & Patrinos, 2018). Par ailleurs, l’« épanouissement personnel, liberté de choix et responsa­ bilités individuelles font figure de normes universelles, sur lesquelles se fonde la politique de massification de l’édu­ cation » en référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme « Ce principe normatif exclut la possibilité de penser l’éducation comme un droit col­ lectif qui ne sert pas les intérêts indivi­ duel » (Solomon Tsehaye, 2015). Parce que l’accroissement du niveau général d’éducation est bénéfique non seulement pour les revenus propres des individus mais de façon plus générale pour l’économie, l’emploi et la cohésion sociale, l’éducation est une préoccupa­ tion majeure des politiques publiques. Le service d’éducation montre donc les caractéristiques d’un service d’intérêt général, lié à l’accroissement des inté­ rêts des individus. Cependant, la crise de l’État providence dans les années 1980, et la montée d’exigences consu­ méristes, ont remis en cause cette « croyance dans l’intérêt général » (Tiran & Cassaigne, 2017). L’organisa­ tion d’un service au niveau des États est critiquée pour son inefficacité, et le contrôle bureaucratique des systèmes éducatifs pour son manque d’autonomie (Dutercq, 2011 ; Felouzis et al., 2013). DES ARGUMENTS POUR LA CRÉATION DE MARCHÉS SCOLAIRE… ET DES RÉSULTATS DÉCEVANTS Une concurrence considérée comme vertueuse Selon ses promoteur·rices, la concur­ rence permet une émulation favorable à l’amélioration du service et à la qua­ lité de l’offre éducative, rendant ainsi les systèmes éducatifs plus équitables et entrainant une plus grande diversité éducative. Cette idée a émergé dans les travaux des politistes uploads/Finance/ le-dossier-de-veille-de-l-if-n-137-mai-2021-20456.pdf

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  • Publié le Nov 08, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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