LES SEPT PILIERS DE LA MONDIALISATION ECONOMIQUE Gérard Kébabdjian La mondialis
LES SEPT PILIERS DE LA MONDIALISATION ECONOMIQUE Gérard Kébabdjian La mondialisation économique n’est pas un facteur premier. C’est le produit d’un ensemble de mécanismes et de stratégies d’acteurs. Leur explicitation et leur analyse constituent une question fondamentale. Malheureusement la plupart des travaux sur la mondialisation se concentrent sur l’étude de ses formes et de ses effets, non sur celle de ses causes. L’objet de cet article est de s’intéresser à cet aspect négligé de la mondialisation. L’étude pose en réalité le problème d’une approche pluridisciplinaire car la mondialisation résulte de l’interaction de plusieurs systèmes de forces hétérogènes (économiques et non économiques). Chaque discipline, et donc les travaux qui en sont issus, explorent l’objet mondialisation avec leurs méthodes propres livrant ainsi des éclairages plus ou moins pénétrants mais inévitablement fragmentaires. Les analyses économiques ont le mérite d’identifier des facteurs explicatifs pertinents, mais en les isolant des autres et en les traitant en ordre dispersé pour rendre compte d’un aspect particulier de la mondialisation. C’est ainsi qu’elles mettent l’accent sur des facteurs explicatifs aussi importants que la baisse des coûts de transports ou des droits de douane, les avancées du libre-échange commercial sous l’égide du GATT puis de l’OMC, le choc des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le retrait des Etats interventionnistes, etc. Ces explications sont précieuses pour la compréhension de phénomènes partiels (comme l’ouverture commerciale ou la spécialisation internationale) mais elles échouent à donner une interprétation complète d’un phénomène dont la profondeur provient de l’enchevêtrement et de l’interaction de causalité multiples. La mondialisation financière, par exemple, est incompréhensible sans la prise en compte des transformations technologiques, notamment la révolution numérique qui a rendu possible les échanges rapides à grande distance peu coûteuses ou les politiques de déréglementation et d'ouverture financière impulsées par les Etats. Elle n'est pas non plus compréhensible sans la prise en compte simultanée de l’accroissement des besoins de financement dans certains pays (les Etats-Unis par exemple) et des capacités de financement dans d’autres pays (pays producteurs de pétrole, Japon et plus récemment Chine). Elle fait intervenir également les mutations du capitalisme avec la montée en puissance des actionnaires par rapport aux « managers » dans les structures de pouvoir au sein des entreprises, ou le développement international des fonds de pension. Tous ces facteurs s’interpénètrent selon des boucles de rétroaction dont l’analyse ne constitue pas l’objet des « sciences économiques ». L’étude des causes de la mondialisation appelle, presque par hypothèse pourrait-on dire, la mise en œuvre d’une approche d’ « économie politique ». La tâche du chercheur en « économie politique internationale» est donc vaste. Avant toute chose, il faut s’interroger sur la nature du phénomène. La première section sera consacrée à cette question. Les deux sections suivantes chercheront à dresser un panorama aussi exhaustif que possible des bases sur lesquelles s’est développée, et se développe encore, la mondialisation économique. Dans un esprit pédagogique, nous distinguerons sept piliers de la mondialisation et les traiterons, de façon en partie arbitraire, en séparant les bases techniques (qui définissent en quelque sorte les conditions physiques permisses du phénomène) et les bases sociopolitiques. La nature de la mondialisation économique La mondialisation apparaît comme une tendance à la déstructuration de l’ordre économique qui prévalait jusqu’au début des années 1980 (un ordre fondé sur le fait national) couplée avec des éléments de recomposition parcellaire à une échelle transnationale. Deux précisions doivent immédiatement être apportées. La première est que cette tendance à la désintégration/intégration n’est pas, contrairement aux idées reçues, une force déferlante qui affecterait toutes les dimensions constitutives de l’économie. C’est une tendance partielle qui concerne principalement trois dimensions : (1) la dimension des marchés des biens et services qui tendent à s’intégrer à une échelle mondiale ; (2) la dimension de la production qui tend à une intégration transnationale des processus productifs délocalisables (tant pour la définition des produits, de la conception des procédés que de la fabrication proprement dite) et se traduit par le développement d’ « entreprises globales » dont l’activité, à cheval sur plusieurs pays, est organisée selon une logique de réseau ; (3) la dimension de la finance qui tend à devenir globale (globalisation financière) par intégration des marchés financiers, ce qui accroît la fluidité et la vitesse de circulation des capitaux et contribue à la convergence relative de leur rendement à l’échelle mondiale. Si on utilise des mesures rigoureuses, on s’aperçoit toutefois qu’une part majoritaire des marchés et de la production a encore une inscription nationale parce que les activités ne peuvent être toutes complètement transnationalisées. Les marchés des industries aéronautiques ou des principales matières premières sont globaux, la production textile est presque entièrement transnationalisée, etc. ; mais l’industrie du bâtiment ou des services aux personnes restent presque intégralement locales. Seule la finance est véritablement « globale » et donne l’image d’une « mondialité » réalisée. Or, les trois dimensions précédemment recensées ne recouvrent pas toute la sphère économique. Les grands absents du phénomène de la mondialisation sont : les marchés du travail (qui restent fondamentalement nationaux) ; la monnaie (sauf en Europe) ; les formes de la répartition des revenus (les mécanismes du partage des gains de la croissance et de la redistribution font encore partie intégrante de la définition de la nation) ; les institutions, les règles et les politiques économiques (qui, sauf en Europe, restent l’apanage exclusif des Etats-nations). C’est ainsi que, dans la mondialisation, malgré la croissance des flux migratoires, le travail et les institutions de l’économie apparaissent plutôt comme les facteurs fixes alors que les marchandises, le capital, la technologie et la finance en constituent plutôt les facteurs mobiles. Le tableau général qui en ressort est celui d’une figure éclatée, d’un développement inégal posant des problèmes de déséquilibres et de mises en cohérence des composantes de l’économie à l’heure de la mondialisation. C’est parce que la réalité des économies nationales perdure dans un contexte de plus en plus mondialisé et que les processus et contre-pouvoirs qui pourraient permettre de réguler la mondialisation économique à une échelle transnationale restent embryonnaires que le débat sur la mondialisation tend aujourd’hui à se focaliser de plus en plus sur la concurrence non régulée et l’anarchie institutionnelle perçues comme des facteurs d’instabilité ou d’inégalités sociales. La seconde précision à apporter tient au caractère asymétrique et différencié de la mondialisation sur le plan géographique. De larges zones, parce que non rentables ou socio-politiquement difficilement pénétrables, restent complètement en dehors de la tendance (par exemple une partie de l’Afrique sub- saharienne et du monde arabo-musulman). La mondialisation est, de plus, une tendance dissymétrique même pour les pays qui s’inscrivent dans le processus. De larges fractions de la population et du territoire des pays insérés dans la mondialisation peuvent ainsi complètement échapper à la logique de la mondialisation tandis que se développent des phénomènes de polarisation avec la constitution de foyers d’accumulation où se concentrent les ressources économiques et humaines, seules en prise avec les réseaux transnationaux. On peut esquisser une cartographie grossière des relations Centre/Périphérie au plan international en distinguant quatre cercles, une représentation inspirée de celle utilisée par Wallerstein dans un autre contexte : (1) le premier cercle est constitué par le « coeur » de l’économie-monde (l’espace des pays anciennement industrialisés, ce qui recoupe à peu près l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon), cercle structuré autour de la place hégémonique qui reste celle des Etats-Unis ; (2) le deuxième cercle est celui des pays émergents, pays nouvellement venus au développement capitaliste et qui aspirent à accéder au coeur de l’économie-monde : on appellera semi-périphérie ce deuxième cercle (Chine, Inde, Brésil, Mexique, etc.) ; (3) le troisième cercle regroupe les pays à développement faible qui ne font partie ni du coeur ni du deuxième cercle : on appellera périphérie ce troisième cercle ; certains des pays du troisième cercle cherchent à pénétrer dans la semi-périphérie sans y parvenir réellement (Tunisie par exemple), d’autres choisissent ou sont contraints de se satisfaire de leur position marginale (comme beaucoup de pays sub-sahariens) ; (4) le groupe des pays exportateurs de pétrole forme une catégorie à part car leur positionnement dans l’économie-monde est totalement originale : ce sont des pays riches dont le pouvoir repose sur la propriété de la rente attachée à la ressource naturelle la plus essentielle de toute l’économie- monde moderne, le pétrole, c’est-à-dire sur l’exploitation d’une richesse fondamentale selon une logique archéo-capitaliste dans un contexte qui est devenu hyper-capitaliste. Ces quatre cercles, qui dessinent les contours de l’économie-monde actuelle depuis l’effondrement du communisme comme mode d’organisation économique, constituent le champ de forces dans lequel s’exerce la mondialisation. Cette dernière ne se développe donc pas dans un vide structurel comme un mouvement protéiforme et indifférenciée : les processus d’intégration se concentrent pour l’essentiel dans et entre les deux premiers cercles et accroissent la marginalisation des pays moins avancés. Les défis de la mondialisation ne sont donc pas de même nature selon les pays et leur place au sein du monde multicentré qui vient d’être décrit. Pour les pays du premier cercle, il s’agit de préserver uploads/Finance/ les-bases-de-la-mondialisatiopn-economique.pdf
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- Publié le Dec 31, 2021
- Catégorie Business / Finance
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