1 LES ENJEUX ET CONSÉQUENCES DE LA CRISE ENJEUX ÉTHIQUES DE LA CRISE LES ENJEUX
1 LES ENJEUX ET CONSÉQUENCES DE LA CRISE ENJEUX ÉTHIQUES DE LA CRISE LES ENJEUX ÉTHIQUES DE LA CRISE ROBERT LEBLANC* es enjeux éthiques sont majeurs dans un monde en mutation qui cherche des repères. Au-delà des explications techniques de la crise, le débat porte sur les grands équilibres entre actionnaires et salariés, sur les rapports entre sphère publique et sphère privée, sur les ressorts des principaux acteurs, sur leurs motivations, leurs comportements et leurs rémunérations. La rémunération de deux catégories d’acteurs, les patrons et les traders, a défrayé la chronique. Dans les deux cas, un travail important a été fait récemment, l’un par le Comité d’éthique du Medef, l’autre par la Fédération Bancaire Française. On peut encore commenter le sujet, mais les actes ont rejoint les mots, et c’est ce qui compte pour les temps qui viennent. L LE MONDE EN CRISE La crise que nous vivons est la plus sévère depuis celle des années 30. Elle a * Président du comité d’éthique du Medef. déjà connu deux phases : celle dite des subprimes, qui a débuté à l’été 2007, et celle que l’on rattache généralement à la faillite de Lehman Brothers, qui date de septembre 2008. Deux phases très différentes. La première annonçait de profonds boule-versements, mais la surface des choses n’était guère altérée ; la Bourse avait beaucoup baissé, le crédit se faisait plus rare, les plus gros LBO (leveraged buy-out) n’étaient plus de mise, mais on pouvait encore prétendre que l’économie réelle ne serait pas affectée ; les avis étaient toutefois partagés, et certains économistes avaient vu dès l’été 2007 que ce qui s’engageait était très grave. L’onde de choc s’est propagée, la crise de liquidité est devenue une crise de solvabilité et les autorités publiques ont été confrontées au dilemme de l’intervention ; aux États-Unis, le choix a été fait de laisser sombrer Lehman Brothers ; à partir de là, la crise est devenue violente et toutes les autorités ont LEBLANC 1 26/02/09, 10:46 RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE 2009 compris qu’il ne fallait pas une deuxième faillite bancaire ; le sauvetage du système 2 bancaire a été organisé très vite partout dans le monde, et l’Europe a d’ailleurs fait preuve d’une rare efficacité. Ensuite, l’économie réelle se révélant très touchée par la raréfaction du crédit et par le choc psychologique de la crise bancaire, avec le risque de défaillances en chaîne, des plans de soutien ou de relance de l’activité ont été développé. Ces interventions des États relèvent d’une approche pragmatique et, si les formes qu’elles ont prises ont varié techniquement, elles ne sont pas le reflet d’idéologies spécifiques. Mais ensuite le débat a repris, spécialement en France, sur le sens à donner à ces interventions et sur leur portée. Le mot de nationalisation est revenu dans le discours, et beaucoup d’analystes se sont réjouis de voir dans ces événements la faillite du capitalisme. Sans aller jusque-là, d’autres avancent l’idée de sa refondation, comme si le capitalisme était un système. N’est-il pas simplement, encore et toujours, le développement normal de l’activité humaine dans un contexte de libéralisme économique qui reconnaît la propriété privée et la liberté d’entreprendre ? En permettant l’initiative de chacun ou du moins de beaucoup, car on objectera que tous n’en ont pas les moyens matériels, le libéralisme a permis le développement économique du monde dans des proportions spectaculaires. Des systèmes politiques peu libéraux en eux-mêmes ont fait le choix de ne plus administrer l’économie et de l’ouvrir : les résultats ont été rapides et impressionnants. Même si leur approche ne repose pas nécessairement sur une anthropologie qui l’enracine dans une confiance en l’homme, elle intègre, de fait, la capacité des populations à gérer l’adéquation entre l’offre et la demande mieux que n’importe quelle élite prétendant tout organiser, avec d’ailleurs une sanction rapide par le marché des mauvaises décisions. Si refonder le capitalisme n’a probablement pas grand sens, il est légitime en revanche de s’interroger sur ce qui n’a pas bien fonctionné, d’envisager des adaptations, des corrections voire des ruptures dans certaines règles du jeu ou certains comportements. UNE SEULE PLANÈTE Défendre la liberté d’entreprendre et le droit à la propriété privée n’interdit pas de rappeler que personne ne peut envisager son action LEBLANC 2 26/02/09, 10:46 LES ENJEUX ET CONSÉQUENCES DE LA CRISE ENJEUX ÉTHIQUES DE LA CRISE hors contexte environnemental et social. Les réflexions sur la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) ont conduit à formaliser le cadre dans lequel opère l’entrepreneur en identifiant les stakeholders, l’ensemble des parties prenantes et, parmi elles, la cité. Les entrepreneurs qui créent la richesse matérielle sont confrontés aux membres de la cité qui valorisent en priorité d’autres considérations que cette création de richesse. Il est vrai que tout ne s’y réduit pas dans la vie. La culture, l’art, la spiritualité, l’amitié, l’amour sont d’un autre ordre. Par ailleurs, la conscience de plus en plus aiguë des enjeux environnementaux, aussi bien du prélèvement des ressources naturelles que du recyclage des déchets, peut se traduire aussi par une opposition au développement économique ; pourtant, ce sont les économies les plus avancées qui sont les mieux à même d’innover et de relever les défis que les sociétés les plus exigeantes se fixent ; toute l’histoire de l’humanité est un progrès de l’efficacité, assorti d’un recul des souffrances physiques. Mais c’est surtout la répartition de la richesse créée qui fait débat. Or sa répartition a des effets mécaniques sur sa progression globale. À trop payer les salariés, on peut perdre la bataille de la compétitivité ; à ne pas les payer assez, on peut perdre la bataille de la consommation ; à trop verser de dividendes aux actionnaires, on peut perdre la bataille de l’innovation et de l’investissement ; à trop faire peser les régimes sociaux sur les actifs, on peut asphyxier l’outil de production. La théorie des trois tiers (un tiers pour les travailleurs, un tiers immédiatement pour les actionnaires, un tiers pour les investissements de l’entreprise) est de nouveau en vogue ; son arbitraire, qui ignore les besoins propres aux différentes activités, la rend évidemment inapplicable à la lettre, le sujet est posé en termes trop simples. En tout cas, on ne peut répartir que la richesse d’abord créée ; le pape Benoît XVI l’a rappelé dans son message pour la journée mondiale de la paix 2009, un message centré sur les défis de la mondialisation et de la lutte contre la pauvreté : « À cet égard, doit être écartée comme une illusion l’idée selon laquelle une politique de pure redistribution des richesses existantes puisse résoudre le problème définitivement. Dans une économie moderne, en effet, la valeur de la richesse dépend, dans une importante mesure, de sa 3 capacité de créer du revenu pour le présent et pour l’avenir. La création de valeur devient donc une obligation incontournable, dont il faut tenir compte pour lutter de manière efficace et durable contre la pauvreté matérielle ». LEBLANC 3 26/02/09, 10:46 RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE 2009 Les diverses aspirations de la société sont à prendre en compte pour orienter le développement, pas pour l’entraver. Ceci vaut globalement et encore plus à l’échelle d’un pays, car celui qui se mettrait en retrait risquerait de voir les acteurs économiques l’abandonner au profit de zones plus favorables à leur croissance, et son influence morale, diplomatique ou militaire reculer en conséquence. Il est essentiel que tous ces arbitrages se fassent entre acteurs conscients des enjeux, ce qui est loin d’être le cas. L’éducation économique est très déficiente dans notre pays qui garde pour l’intendance, censée suivre, un mépris enraciné dans son histoire et sa culture. Le public comprend mal l’intervention de l’État pour soutenir, dans l’intérêt commun, le système bancaire, et les médias ne l’y aident pas ; on assimile les banques aux banquiers, ces prêts ou investissements à des dons, on confond dividendes et bonus.... LES EXCÈS DE LA FINANCE, LA QUESTION DES RÉMUNÉRATIONS Revenons à la crise actuelle. Sa violence et son ampleur marquent tous les esprits. Et la question des responsabilités est obsédante. 4 D’un avis général, c’est la sphère financière qui est en cause. Pour autant, les tensions nées de la crise financière révèlent des fragilités qui trouvaient leur origine ailleurs. La crise financière est comme ces bourrasques de novembre qui font tomber les feuilles jaunes ou rousses des arbres. Certaines industries avaient laissé leurs produits devenir obsolètes à grande échelle et plusieurs de leurs représentants étaient condamnés à affronter de dures remises en cause que la crise financière a plus révélées que créées. Mais il est clair que la sphère financière a commis beaucoup d’excès qui expliquent largement la crise. Aux côtés des acteurs du marché, les autorités de régulation et de contrôle portent aussi une large part de responsabilité ; un exemple : des exigences de fonds propres très sévères pour les activités de crédit classique et l’absence de régulation de la titrisation qui permet aux acteurs de développer leur activité en échappant à ces exigences ; un autre uploads/Finance/ les-enjeux-eacute-thiques-de-la-crise.pdf
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- Publié le Jui 30, 2021
- Catégorie Business / Finance
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