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1 LA PRATIQUE DE L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE AU JAPON : UN MODELE SANS ECOLE** Guy FAURE1 La gestion “ à la japonaise ” ne jouit plus de la même aura aujourd’hui que dans la décennie précédente, où l’on a vu naître un réel engouement pour des méthodes managériales perçues comme indispensables pour comprendre les performances industrielles et commerciales de ce pays, afin d’en tirer des enseignements utiles aux entreprises américaines et européennes. Au Japon même, durant les années quatre- vingt-dix, le système de management subit ses premières remises en cause après plus de trente ans de bons et loyaux services. Les trois “ trésors ” de l’entreprise japonaise, pour reprendre l’expression de Christian Sautter2, c’est-à-dire l’emploi à vie, la rémunération à l’ancienneté, et le syndicat d’entreprise sont ébranlés par la globalisation économique. Si l’on ne peut pas encore parler de révolution du système de gestion, les mutations en cours sont perceptibles : tel, le tabou de l’emploi à vie violé, du fait des sureffectifs ou du phénomène nouveau de la mobilité de certains salariés, ou encore de l’introduction progressive du système de rémunération au mérite. Certes, les Japonais restent des références en matières de gestion de la production et contrôle de qualité, mais, dans ces domaines, les entreprises occidentales ont réalisé de rapides progrès, quand elles ne les ont pas rattrapées dans certains secteurs industriels, comme celui de l’automobile. Enfin, la crise économique, que traverse le pays, semble avoir parachevé, dans les esprits occidentaux, la fin du modèle nippon de gestion. Faut-il en conclure qu’il ne reste plus rien d’utile à apprendre des Japonais, et qu’il ne faut plus s’intéresser à leur modèle de management? Certains le pensent aux Etats-Unis, comme Noboru Yoshimura et Philip Anderson qui défendent la thèse que la gestion à la japonaise n’est qu’un mythe managérial3. Tout s’est-il passé comme si le bon élève japonais de l’Amérique, promu du jour au lendemain professeur, avait été révoqué après quelques conférences ? Pourtant, il subsiste une spécialité où les Japonais gardent leur crédit intact. Il s’agit de l’intelligence économique. Alors que la “ légende dorée ” du management à la japonaise ne fait plus recette, les modes japonais d’appropriation et de gestion des connaissances continuent d’interpeller les spécialistes, à la recherche de clés pour comprendre leur fonctionnement dans ce pays, qui a su les mettre efficacement au service de son économie. Néanmoins, le Japon dans ce domaine 1 Chargé de Recherche au CNRS, Institut d’Asie Orientale 2 Christian Sautter, La France au miroir du Japon, croissance ou déclin, Editions Odile Jacob, Paris, 1996. 3 Noboru Yoshimura, Philip Anderson, Inside the Kaisha: Demystifying japanese Business Behavior, Boston, Harvard Business School, 1997. 2 sert également un autre propos ; celui du modèle édifiant qui stimule l’imagination et alimente les craintes, comme à l’époque du débat sur les mérites du système de management japonais au cours des années quatre-vingt. Ainsi ce pays inquiète et fascine, tour à tour, par ses pratiques jugées déloyales, comme le copiage, l’espionnage industriel ou le lobbying dans un cas, et dans l’autre cas, pour ses performances dans le domaine de la gestion de l’information, qui restent cependant difficiles à vérifier et à quantifier. En effet, comment évaluer les méthodes utilisées par les Japonais, et dépasser les spéculations habituelles et les assertions classiques sur la supériorité japonaise en intelligence économique? Quelle est la part de l’organisation ou du culturel dans ces pratiques? Enfin, les méthodes japonaises sont-elles exportables? Nous commencerons par un rapide panorama du dispositif et des méthodes utilisées au Japon. Puis, nous présenterons les principales spécificités culturelles qui concourent à valoriser l’acquisition et le partage de l’information au sein des organisations. Enfin, nous montrerons que les Japonais considèrent la perspective de nouveaux gains de productivité dans ce domaine, en profitant et s’inspirant probablement des résultats de la recherche et des programmes de formation occidentaux. I. APERÇU DU DISPOSITIF NATIONAL D’INTELLIGENCE ECONOMIQUE Le Japon offre l’exemple d’une société particulièrement bien organisée pour tirer la meilleure utilisation des renseignements économiques, selon l’avis de tous les experts, du fait d’une étroite synergie entre les milieux d’affaires et les autres acteurs publics et semi-publics basés sur une forte centralisation des informations collectées4. Ainsi, la concertation Etat-Entreprises s’appuie sur un partage systématique des informations, qui a facilité par le passé la réussite des politiques industrielles et commerciales du pays. Les réseaux privés et publics sont interdépendants, souvent dédoublés voire redondants, interdisant toute position de monopole. Si l’Etat a été très actif dans les périodes de transition moins comme producteur d’information, qu’en tant que régulateur ou organisateur des flux, son rôle est aujourd’hui plus modeste qu’on ne le croit. Certes, le MITI (Ministry of International Trade and Industry) demeure un ministère particulièrement doué en matière de communication, il dispose en outre d’une véritable centrale de banques de données, le PPIS (Policy Planning Information System)5, qui fait remonter toutes les informations collectées aux niveaux des Shingikai (conseils consultatifs sectoriels ou ad hoc) ou recueilli auprès des Gyokai (associations professionnelles). Cependant les entreprises restent instrumentales pour le recueil des 4 Brigitte Henri, De la guerre économique à l'intelligence économique, regards sur l'actualité, janvier 1994. 5 Guy Faure et Derek Massarella, Information Circulation and the Japanese Industrial Policy, in The Annual of the Economics Research Institute, Chuo University, N°14, Avril 1984. 3 informations, mais leur rôle est souvent minimisé au profit de certains organismes publics plus visibles comme en premier lieu le MITI mais également sa filiale, le JETRO (Japan External Trade Organisation), dont la réputation est surfaite, au dire des hommes d’affaires japonais, y compris de ceux qui travaillant dans des PME, déplorent son fonctionnement bureaucratique. Alors que les Occidentaux classent volontiers le JETRO6 comme la plus performante des grandes centrales du renseignement. Aussi, parmi les agences publiques de promotion du commerce extérieur, le JETRO fait figure de modèle. Depuis le début des années 90, il a dû réorienter sa mission de promotion des exportations à la promotion des importations ; ce qui s’est traduit sur le plan de l’intelligence concurrentielle par le développement d’une double compétence non seulement sur l’offre et la demande japonaises mais aussi sur celles des marchés étrangers. Pour cela le JETRO a offert ses compétences à des partenaires étrangers qui reçoivent et accueillent dans certains cas de façon quasi-permanente chez eux leurs experts. Le réseau du JETRO est étendu, il dispose à l’étranger de 80 bureaux et 31 dans les provinces japonaises. En Europe, il est envisagé d’ouvrir des bureaux régionaux. Ainsi, Lyon a été choisi comme ville test. La stratégie du JETRO est de maîtriser globalement les flux d’information non seulement du et vers le Japon mais entre pays tiers. Cette situation crée le risque à terme d’une position japonaise dominante, si les dispositifs étrangers se reposent trop sur l’appui du JETRO. 1. Les industriels de l’information Mais l’administration japonaise ne doit pas occulter les autres acteurs du système national d’intelligence économique. Il est important de rappeler par exemple la place des groupes multimédia producteurs entre autres des quotidiens économiques aux plus forts tirages de la planète7, ainsi que des grosses banques de données économiques, comme NEEDS produit par le groupe Nikkei. De tels groupes de presse sont absents de la scène française de même que des Think-Tanks, qui rassemblaient plus de 230 institutions en 1995. Ce type d’organismes pourtant joue un rôle au Japon primordial dans la collecte et surtout l’analyse des informations, mais contrairement à leurs homologues américains, ils ne participent que marginalement aux débats publics, et aux propositions de lois ou aux activités de lobbying. Enfin, la majeure partie d’entre eux reste très dépendante des entreprises qui les ont fondés, tels Nomura Research Institute fondé en 1965 par Nomura Securities ou encore Mitsubishi Research Institute en 1970 par la banque Mitsubishi. Le recours à des compétences externes varie suivant les entreprises. NEC optera volontiers pour des informations difficiles à trouver aux services de "consultants et d’instituts de recherche extérieurs : Nomura, Yano, Stanford pour ne citer que les plus connus. Le département technique de Sumitomo Heavy 6 On reconnait au JETRO le mérite de disposer des meilleurs sources d'information sur le marché chinois. 7 Sur les 20 premiers quotidiens dans le monde 7 sont japonais, en 1995 le Yomiuri Shimbun arrivait en tête avec plus de 14 millions d'exemplaires ; pour la presse économique le Nikkei tirait à 4,5 millions par jour! 4 Industries leur consacre 7 à 8 % de son budget et demande environ une fois sur trois l’aide d’un établissement étranger8". 2. Le réseau capillaire des Shosha Les Think-Tanks, comme les groupes de presse, les agences de courtage en informations, et les banques de données contribuent au dynamisme du marché de l’information9, second en taille après celui des Etats-Unis. Cependant la commercialisation de l’information passe incontestablement à travers le réseau le plus dense au monde des maisons de commerce (Shosha). En effet, on recensait près de cent mille Shosha dans tout le Japon. Sur cette population, le dixième était composé de maisons de commerce international. Le groupe des maisons de commerce général, uploads/Finance/ pratique-de-l-x27-ie-au-japon-1 1 .pdf
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- Publié le Jan 12, 2021
- Catégorie Business / Finance
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