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31/10/2021 10:01octobre 21qu’ils se livrent pour absorber la plus grosse part des budgets publicitaires rendent chaque jour plus aléatoire leur mission de critique sociale. A présent, ils se consacrent surtout aux sujets de divertissement, aux « polémiques » montées de toutes pièces, et célèbrent sans relâche le culte de la consommation. Tout cela gêne moins les actuels actionnaires de la presse que des enquêtes sur leurs éventuelles turpitudes - enquêtes pourtant habituelles il y a un siècle aux Etats-Unis. L Creusez où on vous dira ! En 1990, la presse américaine était « passée à côté du scandale des caisses d’épargne, la gabegie d’argent public la plus coûteuse de toute l’histoire des Etats- Unis (1) ». Quelques mois plus tard, au moment de la guerre du Golfe, elle fit retentir tous les cuivres des mensonges militaires mitonnés dans les cuisines du Pentagone. Creuse où on vous dira ! En 2000, la presse américaine confirmait son aveuglement en chantant les louanges d’entreprises déréglementées commme Enron. Trois ans plus tard, au cours de l’invasion de l’Irak, elle se rattrapa et devint extralucide en agitant le grelot d’introuvables « armes de destruction massive (2) ». Oeillères devant les prévarication des puissants, bobards pour conforter les projets du pouvoir : le journalisme contemporain, le voilà ! « Lorsqu’un chien mord un hommee, ce qui arrive tous les jours, ce n’est pas une information. En revanche, si un homme mord un chien, là c’est de l’information. » Ce précepte de « bon sens » a été ressassé par toutes les écoles de journalisme. Toutefois, la presse le pratique inégalement. La chaleur en été, les bouchons le week-end, la neige en hiver n’ont jamais autant encombré les antennes et les ondes. comme, la vie ordinaire des gens ordinaires, le quotidien de leur exploitation et de leurs combats en ont disparu (3). Ce ne fut pas toujours le cas. Autrefois, sur ces sujets, les journaliste savaient écrire, enquêter. Faire davantage que recopier les communiqués poncés des entreprises et les fax que leur envoient juges d’instruction et policiers. Aux Etats-Unis, on associe cet « âge d’or » au nom de « muckraking », une expression qui conjugue les mots de « tourbe » (muck) et de « râteau » (rake). Le stylo tenait lieu de râteau ; il remuait la tourbe agglomérée au bas de l’échelle sociale par les méfaits des forbans distingué de la haute société. Le stylo s’en prenait aux maîtres, pas à ceux qui leur résistaient. Ce genre de journalisme avait du pain sur la planche dans un pays que Henry James qualifiait, il y a un siècle, de « gigantesque paradis de la rapine, envahi par toutes les variétés de plantes vénéneuses qu’engendre la passion de l’argent ». Cent ans, que le temps passe vite ! Un journaliste, Ray Stannard Baker, s’intéresse alors aux trains. Ils arrive à l’heure pourtant. Mais, derriere les trains, il y a les trusts. En décembre 1905, ils font l’objet d’une enquête en cinq volets, qui souligne leur pouvoir exorbitant. Les compagnies de chemin de fer appartiennent souvent à des banques de New York, à des grandes familles, à des « barons voleurs », aux Morgan, aux Rockefeller. A l’époque, presque tout dépend de l’emplacement des gares et des tarifs de fret : le prix des produits, la naissance et la prospérité des villes (lire « Quatre fois l’impôt fédéral »). Les compagnies peuvent favoriser des entreprises,en ruiner d’autres, nouer des alliances entre elles pour mieux relever les tarifs, soudoyer les élus afin d’arracher concessions et subventions, spéculer dans l’immobilier, trafiquer leurs compte. Le tout sans danger. A côté d’elles, l’Etat est un nain. Il tient dans leur poche. Décrivant d’une belle plume, pédagogique et politique, la gangrène du soupçon qui ronge une industrie, le dépérissement d’un univers où la « parole d’un homme » valait quelque chose, Ray Stannard Baker conclut : « Assurément, un système qui produit autant de malhonnêteté est mauvais de fond en comble (4). » Il exprime là une opinion, il ne finasse pas, il prend parti, il se bat. L’année suivante, une loi réglemente les transports ferroviaires. Le président Teddy Roosevelt a fait la part du feu en l’imposant à des industriels trop obtus pour saisir qu’elle les protège contre pire : « Ils pensent à court terme s’ils ne comprennent pas que s’opposer à cette loi c’est accroître la pression en faveur d’une nationalisation des chemins de fer (5). » Car le socialisme a le vent en poupe. Au moins autant que les enquêtes d’un journalisme debout, la peur d’une révolution contraint les dominants à concéder de mauvais gré à la démocratie quelques oripeaux d’un pouvoir jusque-là sans partage. Quand il expose la souffrance faite aux enfants, un journaliste risque d’apitoyer à bon compte. Mais l’auteur des articles publiés sur ce thème en 1906 dans Cosmopolitan, Edwin Markham, est d’abord maître d’école et poète. Inspiré par une peinture de Jean- François Millet, L’Homme à la houe, il entreprend d’enquêter sur ces futurs adultes qui déjà travaillent, parfois jusqu’à quatorze heures par jour. Entre 1880 et 1900, le phénomène a sextuplé : l’industrie est en plein essor, toutes les mains sont bonnes à prendre. Les enfants grandissent donc au milieu des « cris d’ogre de l’usine », « assourdis par un éternel Niagara de machines». Plongée dans les questions sociales Markham interroge : « Pourquoi ne connaissent-ils ni repos, ni jeu, ni éducation, rien que le sombre broyage de l’existence ? Est-ce que nous serions tous nu et frissonnant ? Non, jamais nos hangars n’ont à ce point regorgé de fourrage et de fer. » Alors ? Alors, « de nombreux capitalistes de la Nouvelle-Angleterre ont déménagé vers le Sud leurs machines et leurs ateliers pour être plus près des champs de coton, des cours d’eau, et aussi, on a honte de le dire, du travail à bas prix exécuté par des doigts de bébé. La Caroline du Sud tisse du coton pour que le Massachusetts puisse porter de la soie. » Un siècle plus tard, cette géographie a changé. Les délocalisations sont transnationales. Pour Nike, bien sûr, mais aussi pour Peugeot, Saint-Gobain, General Electric. On veut des téléopérateurs anglophones, on les installe en Inde. On les préfère francophones, bonjour le Sénégal - en attendant de trouver moins cher ailleurs. On recourt aussi aux immigrés, dont la clandestinité vaut passeport pour la surexploitation. Aux détenus, qui réservent les voyages des autres. Edwin Markham poursuivait : « L’usine, nous dit-on, doit dégager un profit faute de quoi les propriétaires vont protester. Houspillé par son conseil d’administration, le patron morigène alors le contremaître qui se retourne contre ses ouvriers. Il est long ce fouet dont l’extrémité strie le dos des enfants. Doit-on s’étonner que les actions des usines de coton rapportent 25 %, 35 %, voire 50 % par an ? Oui, mes maîtres, cela paie de moudre le dos des petits en poudre de dividende. “Enlevez-nous le travail des enfants et nous irons ailleurs” est la menace habituelle des propriétaires d’usine et de leurs lobbyistes dans les couloirs des parlements. Et, hélas ! nous vivons dans une civilisation où ce genre de chantage porte. » Cet article a cent ans, mais coment ne pas penser en le lisant à nos hommes politiques néolibéraux, aux avocats actuels d’une baisse des salaires destinée à guérir une imaginaire « préférence française pour le chômage » (Alain Minc). Et pourquoi ne pas inclure dans la liste des nouveaux ogres du social les journalistes économiques rivés aux cours de la Bourse et qui avalisent chaque « réforme », c’est-à-dire chaque régression, en invoquant le développement, le « coût du travail », la concurrence, la « mondialisation » (6). Muckrakers renvoie presque toujours à Upton Sinclair et à son enquête de 1905 sur les infectes conditions de travail dans les abattoirs de Chicago, aux textes de Jack London sur Le Peuple d’en bas, aux articles de John Steinbeck dans le San Francisco Examiner sur les camps de migrants en Californie. Abattoirs, usines et « peuple d’en bas » ont désormais quitté les quartiers où vivent les journalistes. Et ces derniers se montrent d’autant plus soucieux du seul sort des classes moyennes supérieures que presse populaire et presse révolutionnaire n’existent plus guère, et que la publicité de leurs périodiques cible les revenus aisés. En 1962, dans L’Autre Amérique, Michael Harrington relevait déjà que « l’une des choses les plus importantes à propos des pauvres, c’est qu’ils sont invisibles ». Les médias y contribuent. Quand Steinbeck relatait des tragédies individuelles, il soulignait qu’elles relevaient d’une histoire collective : « Certains migrants s’en tirent un peu mieux, d’autres beaucoup plus mal. Si des hommes volent, si en eux grandit la haine des gens bien vêtus et satisfaits, inutile de chercher à l’expliquer par leur origine ou par un défaut de leur caractère. » Aujourd’hui, on hausserait les épaules, on fustigerait les « excuses sociologiques » d’un journalisme de lutte de classe. Mais à quoi d’autre ressemblait la réalité américaine, en octobre 1934, quand uploads/Finance/ texte-diggers.pdf

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  • Publié le Nov 23, 2021
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