La théorie du portefeuille Philippe Bernard Ingénierie Economique et Financière

La théorie du portefeuille Philippe Bernard Ingénierie Economique et Financière Université Paris-Dauphine Novembre 2007 1 Risque et analyse économique La théorie financière moderne, dont le développement date des années 50, est le produit de la rencontre de l’économie mathématique classique et de la théorie des choix dans l’incertain. La fondation d’une théorie des choix rigoureuse s’est révélée particulièrement capitale. La théorie économique qui s’est progressivement développée du XIX` eme siècle jusqu’à Value and Capital de John Hicks [Hic39] (exclus) était essentiellement statique et suppo- sait une information parfaite, une absence de risque. En dépit des efforts de Bernouilli, les applications de la théorie des choix dans l’incertain à l’économie furent très rares. Parmi elles, on peut relever la théorie de l’assurance de Barrois [Bar34] 1, celle d’Edgeworth [Edg88] sur la couverture des dépôts bancaires. Wicksell [Wic96], dans son chapitre VI, appliqua les raisonnements d’Edgeworth à la détermination de l’encaisse optimale des entreprises. Enfin, dans l’appendice de The nature of capital and income [Fis06], Irving Fisher, un des pères fondateurs de l’économie mathématique au Etats-Unis, analysa les rendements des actifs financiers en terme de distributions; il y proposa notamment de me- surer par l’écart-type l’incertitude affectant les rendements d’un capital et ses rendements. Mais, vingt ans plus tard, dans le chapitre XIV de son Theory of Interest [Fis30] il affirma que l’analyse du risque ne relevait pas de l’analyse mathématique! Dans la théorie moné- taire des années 30, les travaux pionniers de John Hicks [Hic35] [Hic39], Jacob Marschak [Mar38] recoururent au critère espérance/variance. Marschak [Mar38] poussa même l’au- dace jusqu’à exprimer les préférences sur l’investissement par des courbes d’indifférence dans le repère moyenne / variance tout en avançant l’hypothèse : “The unsatisfactory state of Monetary Theory as compared with General Economics is due to the fact that the principle of determinateness so well esta- blished by Walras and Pareto for the world of perishable consumption goods and labor services has never been applied with much consistency to durable goods, and still less, to claims (securities, loans, cash).” (Jacob Marschak, 1938, [Mar38] p.312) Néanmoins, en dehors de ces valeureux efforts, la théorie de la finance conservait une 1Mais cette étude recourait au critère pascalien de l’espérance mathématique. 1 profonde aversion au risque. Ainsi, le manuel de référence de John Burr Willams [Wil38] était avant tout consacré à l’actualisation; lorsque Keynes [Key68] prétendit prendre en compte le risque dans son efficacité marginale du capital, il se contenta en fait d’introduire une prime de risque ad hoc pour les actifs risqués. Sans surprise, la théorie du portefeuille bénéficia du renouveau d’intérêt pour l’étude des choix dans l’incertain, qui suivit les travaux de von Neumann (et Morgenstern). Les travaux de Markowitz furent alors décisifs. A la différence de Marschak et de Keynes qui avait concentré leur attention sur l’in- vestissement, Markowitz concentra la sienne sur le problème de la diversification : “Before Markowitz could propose the “expected return-variances of re- turns” rule, he first had to discredit the then widely accepted principle that an investor choices a portfolio by selecting securities that maximize discounted expected returns. Markowitz points out that if an investor follows this rule, his or her portfolio will consist of only one stock, namely that the highest discounted expected return, which is contrary to the observed phenomenon of diversification. Therefore a rule of investor portfolio which does not yield portfolio diversification must be rejected. [...] Markowitz then proposes the ex- pected mean returns - variances of returns M - V rule. He conclude that the M - V rule not only implies diversification, it actually implies the right kind of diversification for the right reason.” ([CM95] pp.2-3) Ce chapitre présente les fondements de la théorie “classique” des portefeuilles. Dans une première section est donc présentée l’analyse espérance - variance. Puis, la théorie du portefeuille de Markowitz est exposée. Enfin, les conséquences de l’introduction d’un actif sans risque sur la structure des portefeuilles optimaux sont analysées. 2 Principes de la “finance quadratique” Les représentations théoriques présentées ici sont statiques : on se situe à un instant donné (période 0) où les agents considérés doivent déterminer la composition de leurs por- tefeuilles. Pour la déterminer, ils prennent en compte le futur possible, i.e. les événements de seconde (et dernière période), la période T. 2 On suppose qu’il existe différents agents i = 1, ..., I. Chaque agent est doté à la période 0 d’une richesse W i. Il peut investir celle-ci dans différents actifs risqués a = 1, ..., A. Chaque actif est défini par son prix qa (fixé à la période 0), par son revenu futur. Celui-ci est généralement incertain et donc représenté par une variable aléatoire e Va. Le prix et le revenu alétoire définissent donc le rendement aléatoire du titre e Ra : e Ra = e Va qa (1) Le rendement espéré et la variance de l’actif a sont notés Ra et σ2 a. Si un actif certain était présent, son indice serait 0. Chaque agent doit déterminer la part xi a de sa richesse initiale à investir dans l’actif a. Si l’on note xi le vecteur colonne défini par ces différents choix : xi =            xi 1 ... xi a ... xi A            la contrainte (budgétaire) des choix possibles s’écrit : X a xa = 1>xi = 1 (2) où (.)> est la transposé de (.) . xi a < 0 est supposé possible : économiquement, la vente à découvert est donc possible. Le revenu final de l’agent i s’écrit lui : f W i = R.xi.W i (3) où R est le vecteur ligne des rendements. L’hypothèse principale sur laquelle repose la théorie du portefeuille à la Markowitz ainsi que le MEDAF est qu’il est possible de représenter les préférences des agents sur les portefeuilles par des fonctions d’utilité ne dépendant que (de manière croissante) du rendement attendu de celui-ci et (de manière décroissante) de la variance du revenu de ce même portefeuille. Ainsi si l’on note f W et f W 0 deux profils aléatoires de revenus futurs, W et W 0 leurs espérances, σ2 W et σ2 W 0 leurs variances, alors l’hypothèse d’épérance - variance revient à supposer la propriété suivante : 3 Hypothèse 1 L’utilité d’une distribution de la richesse dépend uniquement de l’espérance et de la variance de la richesse terminale : f W Â f W 0 ⇔U(W, σ2 W) > U(W 0, σ2 W 0) (4) où Â est le pré-ordre “strictement préféré(e) à”, U est l’indice d’utilité ordinale représen- tant Â. Grâce à cette hypothèse, l’analyse de portefeuille se résume à une analyse espérance variance. En effet, pour tout portefeuille x sélectionné, si l’on note Rp et σ2 p le rendement espéré et la variance du portefeuille, l’utilité de l’agent considéré s’écrit U ¡ RpW, σ2 pW 2¢ . Comme W est une donnée du problème, on peut alors redéfinir l’indice d’utilité uni- quement sur l’espérance et la variance du rendement du portefeuille. On peut en effet substituer à la fonction U la fonction V suivante : V : < × <+ →< V ¡ Rp, σ2 p ¢ = U ¡ RpW, σ2 pW 2¢ Cette hypothèse est vérifiée pour certaines restrictions couramment utilisées en finance et en économie. Nous en présentons ici trois exemples. Lorsque la fonction d’utilité élémentaire est quadratique, i.e. par exemple de la forme w −k.w2, le critère espérance s’applique puisque : U = E [u( e w)] = E £ e w −k e w2¤ = E [ e w] −k. ¡ E [ e w]2 + σ2 w ¢ où : E [.] est l’opérateur espérance, σ2 w la variance de la richesse. L’utilité dépend ainsi uni- quement de l’espérance et de la variance. Cette première spécification, utilisée notamment par Markowitz, a cependant certaines propriétés contradictoires avec les faits stylisés : (a) l’utilité n’y est pas toujours croissante croissante de la consommation; (b) avec une telle fonction, l’actif certain (la monnaie) est un bien supérieur et sa part dans le portefeuille est croissante du revenu. Une autre manière de justifier l’espérance - variance est de supposer que les rendements sont des variables aléatoires dont la distribution suit la loi normale. Comme le suggèrent 4 Fig. 1 — Evolution de l’indice des actions dans le monde entre 1990 et 1995 (données quotidiennes) et la distribution des rendements journaliers. (source : Aparicio & Estrada (2001)) Fig. 2 — Evolution de l’indice des actions au Royaume-Uni de 1990 à 1995 (données quotidiennes) et la distribution des rendements quotidiens. (source : Aparicio & Estrada (2001)) 5 Fig. 3 — Evolution de l’indice des actions en France de 1990 à 1995 (données quotidiennes) et la distribution des rendements quotidiens. (source : Aparicio & Estrada (2001)) Fig. 4 — Evolution de l’indice des actions en Allemagne de 1990 à 1995 (données quo- tidiennes) et la distribution des rendements quotidiens. (source : Aparicio & Estrada (2001)) 6 Fig. uploads/Finance/ th-porte-feuille-06.pdf

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  • Publié le Jul 22, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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