1 LE SCANDALE DE L’OPTIQUE EN FRANCE Pascal Perri 2013 2 Introduction — Vos yeu
1 LE SCANDALE DE L’OPTIQUE EN FRANCE Pascal Perri 2013 2 Introduction — Vos yeux n’ont pas de prix, mais ils ont un coût La prunelle de nos yeux. C’est ce que nous avons de plus précieux, au figuré… comme au propre. La vue est le sens auquel nous tenons ordinairement le plus. Un sondage réalisé en 2012 dans 26 pays révélait que 70% des personnes interrogées préféreraient perdre dix années de vie, ou même sacrifier l’un de leurs membres, plutôt que de devenir aveugle. Essentiels à la vie, nos yeux ont aussi une charge identitaire, esthétique et symbolique énorme. C’est l’organe de la connaissance du monde, mais aussi celui de la reconnaissance : il suffit de barrer les yeux d’un visage pour le rendre anonyme… Sans aller jusqu’au cas extrême de la cécité, il est évident que mal voir est un handicap, qui cause a minima un profond inconfort au quotidien. Or nous serons presque tous concernés, à un moment ou à un autre de notre vie, par un problème de vue. Pour certains, c’est une habitude prise dès l’enfance ; pour d’autres, c’est un besoin qui apparaît l’âge venant, lorsque l’on s’aperçoit qu’il faut tenir son livre de plus en plus loin pour déchiffrer le moindre mot. Il existe évidemment aujourd’hui des possibilités d’intervention chirurgicale pour rétablir une vue nette sans l’aide d’une correction extérieure, mais ces technologies sont encore 3 trop récentes pour convaincre tout le monde de prendre le risque d’une opération, et d’ailleurs seul un nombre limité de personnes ont les caractéristiques requises pour qu’elle soit possible. Tôt ou tard, nous serons donc quasiment tous clients d’un opticien. Il nous faudra acheter des « lunettes », c’est-‐à-‐dire des verres correcteurs et une monture, et compléter cet achat parfois de paires de lentilles de contact. Porter des lunettes est de nos jours absolument banal. Tout au plus ces lunettes ajoutent-‐elles une caractéristique, un signe distinctif permettant de décrire une personne, au même titre que la couleur de ses cheveux ou sa taille. Les lunettes sont même devenues une façon de poser son style, d’exprimer sa personnalité. Elles sont dans certains cas un accessoire de mode. Aucune prothèse ne s’étale avec autant de complaisance et de diversité de formes. D’un objet avant tout utilitaire, la mode a su faire un atout esthétique, un facteur d’affirmation de soi. D’un simple moyen de mieux voir, on peut dire que la pratique a fait un moyen de se faire mieux voir ! On ne s’étonnera pas qu’un objet aussi commun se trouve à tous les coins de rue ou presque : le nombre de boutiques d’opticiens en France est impressionnant : près de 12 000 sur tout le territoire. C’est un commerce qui fait partie du paysage, avec le boucher et le boulanger. Mais la comparaison avec la côtelette ou la baguette s’arrête là : en matière de prix, les lunettes n’ont plus rien d’un produit banal de consommation courante. Il faut débourser 300 euros en moyenne pour des verres standards, 600 euros pour des verres progressifs : des sommes très importantes 4 pour bien des Français, dont la moitié gagnent moins de 1675 euros par mois ! Pour beaucoup de gens, le coût élevé des lunettes est une sorte de fatalité. Ne s’agit-‐il pas après tout de produits de haute technicité ? L’aura médicale elles sont entourées n’en justifie-‐elle pas le coût ? En somme, tout peut conduire le consommateur lambda à croire que le prix des lunettes est une donnée contre laquelle il n’y a tout simplement rien à faire : des coûts de production que l’on imagine considérables d’un côté, un immense service apporté qui « vaut » cette facture très salée de l’autre. J’étais il y a encore peu de temps comme ce consommateur moyen. Doté depuis longtemps d’une vue un peu floue, j’allais avec résignation acheter mes lunettes chez l’opticien de mon quartier où j’avais mes habitudes, après l’indispensable visite chez l’ophtalmologiste. Au moment de passer à la caisse, je ne faisais pas attention aux explications souvent complexes de mon opticien, qui me faisait comprendre que, dans mon intérêt, la facture était établie de façon à correspondre précisément au niveau maximal des remboursements de ma mutuelle. La facture me donnait des frissons sur le moment, mais j’étais assez vite rassuré : c’est elle, ma mutuelle, qui allait en payer la majeure partie, si bien que finalement l’opération serait presque « blanche » pour moi. Et puis, c’est dans ma nature, je me suis posé des questions. Pourquoi cette facture ? Combien cela peut-‐il me coûter en réalité ? Ma résignation s’est transformée en doute. Reportages 5 révélant la logique et l’étendue des « optimisations de facture » auxquelles j’avais pu assister moi-‐même comme client, publicités proposant des lunettes à des prix incroyablement bas pour peu qu’on les achète sur Internet, témoignages surprenants d’acteurs du marché… La question n’était plus si claire dans mon esprit. Le vrai déclic s’est produit lors d’un récent voyage aux Etats-‐ Unis. J’ai eu l’occasion, de façon fortuite, d’accompagner un ami qui essayait ses nouvelles lunettes. Il n’avait pas eu à aller très loin pour les acquérir : comme beaucoup d’Américains, il les avait commandées de chez lui sur Internet. J’étais avec lui quand je l’ai vu recevoir un paquet et l’ouvrir avec empressement. Imaginez ma surprise de Français en le voyant sortir une paire de lunettes flambant neuve, et l’essayer comme s’il se fût agit d’une écharpe achetée par correspondance ! Mon étonnement s’est mué en ahurissement quand il m’a avoué le prix qu’il avait payé pour ces lunettes équipées de verres progressifs : 93 dollars, soit environ 71 euros ! Cela fait longtemps que je défends, à travers des livres et des prises de parole dans les médias, l’intérêt du consommateur contre tous les types de rentes et d’abus de position dominante. Je tenais là le sujet idéal d’une nouvelle enquête. Il était urgent d’aller voir de plus près ce qui se cachait vraiment derrière le marché des lunettes. J’ai donc mené mon enquête. Je suis allé rencontrer les gens du métier, j’ai lu les articles, les études, regardé les reportages, 6 consulté les sites étrangers. Toutes ces données sont publiques, vous pouvez vous aussi les trouver. Les faits sont là, indiscutables. Ils permettent de répondre à ces questions que nous pouvons tous, porteurs de lunettes ou non, légitimement nous poser, et qui sont liées : est-‐ce que les lunettes coûtent plus cher en France qu’ailleurs ? Si oui, pour quelle raison ? Est-‐ce que le remboursement par les mutuelles signifie qu’elles ne coûtent pratiquement rien en fin de compte ? Qui paie vraiment le prix ? Ces interrogations vont bien au-‐delà de l’intérêt individuel : c’est une question de santé publique au sens large. S’il y a danger, il doit être dénoncé et le gouvernement doit prendre des mesures. Si le coût élevé de l’optique est la conséquence d’un abus de la part de certains intermédiaires, il faut aussi que les Français le sachent. Au moment en effet où la crise de notre système de solidarité révèle le risque de voir baisser l’ensemble de notre couverture sociale (retraite, protection maladie, famille, chômage…), le poids de l’optique pose problème. Les chiffres sont affolants : 2 millions de personnes renonceraient chaque année en France à des soins d’optique en raison de leur coût. La priorité de nos dirigeants doit être de garantir l’accès de tous aux moyens médicaux et paramédicaux qui permettent une bonne vision. Il faut pour cela qu’ils soient bien informés. Le but de cette enquête est de mettre au jour ce que certains ont intérêt à garder caché, pour la protection de leurs profits et au détriment de notre intérêt à tous. Je veux livrer dans ce petit livre 7 une image sans concession et objective du marché de l’optique. Parce que je sais, pour l’avoir vécu à m’intéressant à d’autres secteurs, qu’il n’y a rien de tel que la lumière pour mettre le holà aux petits arrangements de l’ombre. Nous avons toujours intérêt à ce que l’information soit propagée, connue, commentée. Participer à la diffusion des informations d’intérêt public est sans doute le meilleur service que l’on puisse rendre à notre démocratie. 8 Première partie — La France, le pays où l’optique est plus chère Nous sommes tous entrés un jour dans une boutique d’optique, pour nous-‐mêmes ou pour accompagner un proche. En France, il y en a à chaque coin de rue. L’opticien fait partie du décor de nos villes et villages. Dans certains quartiers, ils sont si nombreux qu’on se demande comment ils peuvent tous gagner leur vie. Et pourtant pas la réalité économique de ce secteur. Que se passe-‐t-‐il derrière la vitrine ? Et derrière le comptoir ? Comment fonctionne le marché de l’optique, considérable, puisqu’il pèse près de 6 milliards d’euros en France ? Qui décide des prix, qui assume les frais, qui réalise des profits, et de combien ? Quel est le coût réel pour le consommateur, directement ou indirectement ? uploads/Finance/le-scandale-de-l-x27-optique-en-france.pdf
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- Publié le Jan 23, 2021
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