Quels enjeux pour l’agriculture paysanne ? Sous la coordination de Carmelina CA
Quels enjeux pour l’agriculture paysanne ? Sous la coordination de Carmelina CARRACILLO et François DELVAUX. Commerce international Mars 2012 Sommaire UTZK’ASLEM Dans une des langues maya, UTZK’ASLEM signifie le bien vivre ensemble. Voilà une belle expression qui pourrait symboliser la finalité du travail de recherche-action politique que mène Entraide et Fraternité (E&F). Interroger les fondements des discours socioécono- miques dominants se présentant comme neutres et universels, Transmettre les analyses et témoignages de ceux et celles qui osent la résistance et l’action alternative - parfois au péril de leur vie, Porter la voix de ceux et celles qui s’insurgent contre un modèle économique pour qui la pauvreté est un dommage collatéral et la paysannerie, vouée à disparaître…, Telle est notre contribution. Economie et bien commun ne sont pas incompa- tibles. Il est possible d’inverser le cours des choses. Nous en sommes profondément convaincus. Carmelina Carracillo et François Delvaux Service Politique d’Entraide et Fraternité La souveraineté alimentaire est une nécessité, pas une utopie. Préface d’Olivier De Schutter L’agriculture à la mode néolibérale coupe-t-elle la faim aux paysans ? François Delvaux L’agriculture paysanne face au commerce international Daniel Van Der Steen A qui profite le commerce international au Guatemala ? Irene Bronzini Carmelina Carracillo P3 P22 P6 P40 P18 P43 Un autre modèle agricole au Nicaragua : la lutte continue Caroline Baudoin François Delvaux Thomas Englebert Libre commerce et agrobusiness au Guatemala Juan Pablo Ozaeta La souveraineté alimentaire est une nécessité, pas une utopie I 3 Préface La souveraineté alimentaire est une nécessité, pas une utopie C’est un paradoxe de la situation actuelle que les ar- guments en faveur de l’extension des échanges com- merciaux des produits agricoles n’ont jamais été aussi puissants, alors qu’en même temps l’affirmation de la souveraineté alimentaire, en tant que paradigme alter- natif à la sécurité alimentaire par le commerce interna- tional, prend un tour particulièrement urgent. Comment l’expliquer? Si la polarisation est plus forte que jamais, ce n’est pas que les observateurs diffèrent sur le diagnostic: ils s’affrontent en revanche sur les remèdes. La libéralisation commerciale des produits agricoles comme solution à la crise alimentaire ? Deux arguments majeurs sont avancés aujourd’hui en faveur de la poursuite de la libéralisation commerciale des produits agricoles comme solution à la crise des prix des denrées alimentaires. Un premier argument est puisé à la théorie classique des avantages comparatifs. Que ceux-ci soient définis en fonction de la productivité du facteur travail, comme dans l’approche originelle de Ricardo, ou en fonction de la dotation en facteurs de production (la terre, l’eau et le travail) de chaque pays, comme dans le théorème de Heckscher-Ohlin, tous les pays tireront bénéfice d’une augmentation des échanges, selon cette théorie, si la production agricole est concentrée dans les pays où elle peut se faire aux conditions les plus efficientes. Cette lecture a pu paraître particulièrement convaincante au cours des années 1980 et 1990, lorsque le régime actuel du commerce international a été négocié au cours du cycle d’Uruguay de négociations commerciales (1986- 1994): les prix réels des produits agricoles ont connu un net déclin au cours de cette période, et pour les pays les plus pauvres, il pouvait paraître raisonnable de s’ap- provisionner auprès des marchés internationaux, et de bénéficier ainsi de prix artificiellement poussés vers le bas par les subsides accordés par les pays de l’OCDE à leurs agriculteurs. Les pays en développement étaient donc encouragés à tout miser sur un nombre réduit de cultures de rente – café, cacao, tabac, coton ou noix de cajou –, et à importer de quoi couvrir leurs besoins de consommation. Plus récemment, un second argument a vu le jour. Comme l’ont illustré au cours des dernières années les sécheresses à répétition en Afrique de l’Est ou en Inde, ainsi que dans les régions d’Amérique centrale affectées par le phénomène El Niño, le changement climatique représente un défi considérable pour l’agriculture. Il af- fecte déjà la capacité de régions entières, en particulier de celles qui dépendent de l’eau de pluie, à maintenir leurs niveaux actuels de production. En Afrique Sub-saharienne, aussi bien qu’en Asie de l’Est et en Asie du Sud, le changement climatique affectera les pluies, les sécheresses seront plus fréquentes et les températures moyennes augmenteront. L’eau douce sera moins facile d’accès pour l’agriculture. Le PNUD relève que d’ici 2080, 600 millions de personnes supplé- mentaires pourraient être affectées par l’insécurité ali- mentaire par l’effet direct du changement climatique.1 En Afrique Sub-saharienne, les régions arides et semi- arides progresseront de 60 à 90 millions d’hectares, et le Groupe intergouvernemental d’experts sur le chan- gement climatique estime que les récoltes dans le sud du continent africain s’affaisseront de 50% entre 2000 et 2020.2 Les pertes en production agricole dans un certain nombre de pays en développement, notamment en Afrique Sub-saharienne, pourraient être compensées partiellement par des gains dans d’autres régions, mais à l’échelle mondiale, l’on perdra 3% en capacité de production d’ici 2080, et jusqu’à 16% si les effets attendus de la fertilisation par le carbone ne se matérialisent pas3. William Cline considère qu’une estimation prudente de l’impact sur la capacité productive mondiale de l’agri- culture d’ici 2080 se situe entre 10 et 25%4. Les pertes seront particulièrement importantes en Afrique et en Amérique latine, avec respectivement 17% et 13% si les effets de la fertilisation par le carbone se matérialisent, et 28 et 24% en l’absence de tels effets.5 Par Olivier De Schutter Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation 4 I Commerce international - Quels enjeux pour l’agriculture paysanne ? Dans ce contexte, la poursuite du programme de la libéralisation commerciale se présente comme indispen- sable de manière à compenser les pertes des régions les plus affectées par le changement climatique, les échanges devant faciliter la circulation des produits agricoles des régions en surplus aux régions à déficit alimentaire. Certaines estimations font état d’un pro- bable doublement des volumes d’échanges de produits agricoles entre 2000 et 2030, en partie pour ce motif6. Il existe cependant des arguments également puissants en faveur de la thèse exactement opposée. Les limites de l’approche classique D’abord, nous vivons au- jourd’hui la fin de la nourri- ture à bon marché. La crois- sance démographique, combinée avec le passage à des régimes alimentaires plus riches en protéines ani- males dans plusieurs pays émergents, et la concurrence de plus en plus forte entre les différents usages des terres arables – notamment entre cultures alimentaires et agroénergie –, signifie que les tensions sur les marchés internationaux vont persister au moins à moyen terme. Dès lors, s’ils demeurent fortement dépendants des importations pour se nourrir, les pays les plus pauvres – qui ont déjà vu leur facture alimentaire être multipliée par cinq ou six depuis le début des années 1990 – se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable. Cette vulnérabilité est plus grande encore aujourd’hui qu’il y a quinze ans, lorsque l’Accord sur l’Agriculture était négocié parmi les Accords de Marrakech établis- sant l’Organisation mondiale du commerce. Ensuite, dans ce nouveau contexte, il semble que l’im- pératif doive être non pas de concentrer la production agricole dans les régions pré- sentées comme pouvant produire aux conditions les plus efficientes, mais au contraire de déconcentrer la production. C’est juste- ment lorsque la production est trop concentrée que les chocs météorologiques, liés au changements cli- matiques, viennent accentuer la volatilité des prix et faire paniquer les marchés. C’est donc précisément parce que le changement climatique met à l’épreuve les systèmes agricoles dans tellement de régions du monde qu’il faut que chaque région, autant que faire se peut, réinvestisse dans sa capacité de se nourrir elle- même, et limiter ainsi sa vulnérabilité aux chocs exo- gènes. Troisièmement, la pré- somption d’après laquelle le commerce permettrait aux produits agricoles de circuler des régions en sur- plus aux régions à déficit alimentaire ne tient pas compte des considérables différences de pouvoir d’achat entre les régions, et elle demeure aveugle au fait que la faim et la malnutrition ne sont pas en général le résultat d’une disponibilité insuffisante de nourriture – sauf de manière localisée – mais plutôt de la pauvreté. Dans un monde où la libéralisation du commerce des produits agricoles serait pleinement réalisée et ne rencontrerait aucun obstacle – un monde fictif, certes, mais qu’il est commode de se représenter à titre hypothétique –, les produits agricoles ne circuleraient pas des régions en surplus aux régions en déficit alimentaire, mais plutôt des régions qui produisent aux prix les plus compétitifs vers les régions dont le pouvoir d’achat est le plus élevé. Ceci d’ailleurs explique la situation, apparemment cho- quante mais parfaitement explicable économiquement, de régions à déficit alimentaire qui exportent des produits agricoles, parce que la population locale est trop pauvre pour acheter ce qu’elle-même contribue à produire. Enfin, et c’est à mes yeux ce der- nier argument qui est le plus décisif, si la disponibilité de nourriture est une condition nécessaire à la jouis- sance du droit à l’alimentation, elle n’en constitue pas la condition suffisante. Le défi majeur aujourd’hui est d’en garantir l’accessibilité à tous, uploads/Geographie/ commerce-international-et-ap.pdf
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- Publié le Jul 06, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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