65 | 2002 : L’esclavage en Méditerranée à l’époque moderne Commerce transsahari
65 | 2002 : L’esclavage en Méditerranée à l’époque moderne Commerce transsaharien et esclavage au XIXe siècle, dans les régences de Tunis et de Tripoli KHALIFA CHATER Texte intégral I - Les éléments d’actualisation du sujet L’étude du commerce transsaharien a été, dans une large mesure, occultée par les historiens de l’Afrique du Nord contemporaine. Le développement des relations méditerranéennes du Maghreb qui a marqué l’ère pré-coloniale a été naturellement privilégié, dans la mesure où il a induit des changements significatifs. 1 Activité traditionnelle, en déclin de surcroît, le commerce traditionnel suscitait moins d’intérêt. D’autre part, l’imbrication des voies subsahariennes et internes du commerce caravanier ne permettait pas de bien connaître l’ampleur de ce trafic, sinon de l’évaluer. Par contre, le commerce avec l’Europe était soumis à un contrôle plus strict, dans ses débouchés portuaires. 2 Depuis l’abolition de l’esclavage dans la Régence de Tunis (1841-1846)1 et dans la Régence de Tripoli2 (1855), la traite, désormais condamnée officiellement, devenait plus discrète sinon clandestine. Le tarissement des sources d’information, la limitation des marges de manœuvre des commerçants, dans les ports exposés au contrôle consulaire et le repli effectif des caravanes vers des relais périphériques rendent plus difficiles les investigations des historiens relatives à une activité en déclin, prohibée, secrète, souterraine et mystérieuse. Elle a, désormais, l’évidence d’un mythe, évoquant une sorte de Farwest saharien. 3 Deux sources importantes nous permettent de re-actualiser notre connaissance du commerce transsaharien et de l’esclavage dans les Régences de Tunis et de Tripoli, au 4 Commerce transsaharien et esclavage au xixe siècle, dans les régences ... http://cdlm.revues.org/39 1 sur 12 05/06/2013 18:50 1 - La correspondance d’une famille de négociants de Ghadamès 2 - La relation de Mohammed Ben Othman el-Hachaïchi (1896) II - La diaspora Ghédamsie d’après ses correspondances commerciales 1 - Le réseau des Ghédamsis XIXe siècle. Béchir Kacem Youchaa a publié la correspondance de sa famille3 durant le XIXe siècle (23 août 1804 au 17 décembre 1907). Cette correspondance comprend 150 documents, les documents relatifs à l’activité commerciale des Ghédamsis représentent 100 lettres échangées entre les correspondants4 et dix extraits de registres de comptabilité5. 5 Les archives publiées sous la rubrique « documents sociaux » concernent des délégations de pouvoir, des contentieux entre partenaires et des cas d’endettement et d’hypothèque de biens ainsi que des actes notariaux divers6. 6 Les 100 lettres commerciales sont d’un grand apport pour la connaissance du commerce transsaharien. Une centaine de négociants7 y rendent compte à leurs associés de leurs activités, se concertent avec eux, présentent des bilans et évoquent des contentieux ou tout simplement des faits quotidiens. D’autre part, ils transmettent des informations sur l’état des marchés, les prix des principaux produits, la sécurité des axes de communications. 7 Participant, en 1896, à une expédition saharienne organisée par le marquis de Morès, afin d’ouvrir une voie de pénétration commerciale française vers l’Afrique noire, le lettré Mohammed Ben Othman el Hachaïchi (1855 – 1912)8 a effectué une véritable enquête sur le terrain, à Tripoli, Benghazi, Koufra, Morzouk et Ghat, recueillant et consignant de précieuses informations sur le commerce transsaharien, ses principales voies et ses mutations9. Hachaïchi partit de Tunis, le 10 mai 1896, afin de demander au cheikh de la Senoussiya de délivrer une autorisation de visite au marquis de Mores, dont la caravane l’avait précédé. 8 Une analyse de la relation de Hachaïchi permettra de connaître les axes du commerce transsaharien, en relation avec l’évolution de la traite10. 9 L’analyse de la correspondance de la famille Youchaa confirme que nous sommes, donc, en présence d’un réseau de «diaspora commerciale», tel qu’il a été défini par Abner Cohen, qui analyse le rôle des communautés de commerçants qui vivent « comme minorités » , dans une culture étrangère, s’assurent une mutuelle assistance et s’offrent une logistique minimum pour leurs activités (logement temporaire, facilités d’emmagasinage, informations sur les conditions locales, garanties de crédit et services de courtage11). 10 Cette correspondance permet d’identifier le réseau des Ghédamsis, ses principaux pôles, ses relais et son aire d’activité, déterminée par les principaux produits 11 Commerce transsaharien et esclavage au xixe siècle, dans les régences ... http://cdlm.revues.org/39 2 sur 12 05/06/2013 18:50 2 - L’organisation du commerce des Ghédamsis échangés entre les centres des lisières septentrionales et méridionales du Sahara : achat des esclaves, du cuir tanné, des plumes d’autruche et des tissus de lin de l’Afrique subsaharienne, essentiellement de la région nigérienne et vente, en échange, des produits de l’artisanat maghrébin, des tissus et des articles variés d’origine européenne. Au Maghreb, les principaux pôles de ce commerce sont Ghadames, Tunis et Tripoli. Centre de décision évident, Ghadames constituait le pivot de ce commerce dominé par ses négociants, qui assuraient la collecte, le transport et la vente des produits. D’ailleurs, toutes ces lettres commerciales faisaient état d’accords d’association qui reliaient les Ghédamsis de la diaspora et les hommes d’affaire de la cité, permettant aux partenaires de se partager les risques et les profits. 12 Pôle traditionnel du commerce transsaharien, Tunis est de plus en plus relayée par Tripoli où les produits du Soudan (plume d’autruche, ivoire et tissus spécifiques) y sont expédiés par les caravanes et exposés à la vente12. D’autre part, les marchandises nord-africaines, à destination de l’Afrique subsaharienne y sont collectées13. Ce qui explique l’afflux des commerçants ghédamsis, vers Tripoli, pour diriger leurs affaires et assurer les opérations de vente et d’achat, alors que Ghédames, enclavée ne répond plus aux exigences d’un commerce, utilisant les ports, dans l’aire précoloniale. Dans ses relations commerciales avec l’Europe, les esclaves qui ne représentent plus un important produit de l’échange14, seront détournés vers les circuits intérieurs. 13 Touât et Ghat constituaient des relais importants du commerce transsaharien. Située sur la route transsaharienne Gafsa-Ouergla-Tombouctou et reliée par une voie bifurquée à Ghadames, l’oasis de Touât collecte les marchandises à vendre à Tombouctou et reçoit les produits qui en proviennent. Une correspondance, en date du 15 décembre 1848 fait état de l’arrivée, vraisemblablement de Ghédames, de deux livres et demi d’encens et de trois douzaines de miroirs15. Les Touatis assurent également l’organisation des caravanes vers Tombouctou16. Mais les activités de cet axe de commerce étaient, parait-il, en déclin. 14 Une communauté de Ghédamsis est établie à Tombouctou ; mais la correspondance évoque davantage sa vie quotidienne, ses contentieux et rarement les produits de l’échange. Fait significatif, Mohamed Ben Salah Ben Haroun, fin connaisseur du commerce transsaharien, déconseille à son correspondant Othman Ben Youchaa d’investir dans le commerce avec Tombouctou, lui recommandant d’opter pour les autres pays du Soudan, c’est-à-dire la région nigérienne17. 15 Par contre les activités de Ghat, sur la voie Ghadames-Aïr-Kano semblaient plus prospères18. Les commerçants ghédamsis ont, en effet, étendu leurs activités dans les régions de l’Aïr19, de Damerghou, de Niamey20, les centres de Zendar21, Kano22 et Sokkoto23, dans l’aire nigérienne Bornou24 et le Darfour25. Dépassant la lisière du Sahara, ils parviennent à ce qu’ils appellent Bled es-Soudane, où ils se procurent directement des produits et vendent les marchandises achetés à Ghadames, Tripoli et Tunis. D’ailleurs, cette correspondance évoque, comme principale voie caravanière Ghadames-Ghat-Aïr-Kano26. 16 Cette relation montre la spécificité de l’organisation de ce commerce traditionnel entre des partenaires lointains. Des rakkas27 (étymologiquement des personnes mobiles), appelés parfois sayyars28 (personnes rapides) assurent le service de courrier et annoncent les arrivées des marchandises par des caravanes, saisonnières ou irrégulières, constituées à la demande des négociants. 17 Ce commerce traditionnel, à haut risque mais à grand profit, est régi par un code d’honneur, des relations de confiance, privilégiant les relations personnelles avec des parents plus ou moins proches, sinon des partenaires associés du même village29. Sur une centaine de lettres commerciales, 27 étaient échangées entre correspondants 18 Commerce transsaharien et esclavage au xixe siècle, dans les régences ... http://cdlm.revues.org/39 3 sur 12 05/06/2013 18:50 3 - La traite des esclaves d’une même famille, celle de Ben Youchaa. Les partenaires étaient cependant soucieux d’établir une comptabilité, nécessairement approximative ou plutôt globale, destinée à leurs correspondants qui la confrontaient avec leurs propres registres. Ultime précaution, toutes les charges de la caravane sont enregistrées. Une copie du registre accompagne les chargements, permettant d’effectuer les vérifications à l’arrivée30. D’autre part, le responsable de l’expédition des marchandises les adresse à son correspondant, qui assure leur répartition, selon ses instructions31. 19 Une organisation stricte semble régir ce trafic caravanier. La caravane est dirigée par un chef, en général ghédamsi. Mais sa sécurité est assurée par un chef Touareg. Les razzias des caravanes n’étaient pas rares32. En juillet 1843, les hommes de la tribu des Ouled Marsit ont attaqué une délégation des Ghédamsi se rendant à Tripoli et tué le délégué turc Hussein, mamelouk du Pacha de Tripoli. Quelques jours plus tard, ils ont envahi Ghédames, demandant à prendre possession des biens et des esclaves de leur victime33. 20 Ce trafic reste à la merci des tribus Touaregs qui dominent la région. Leurs querelles provoquent une montée des périls34 et ferment certaines voies caravanières. En septembre 1867, par exemple, la voie Tripoli-Kano n’était plus sûre35. Des négociations, des arbitrages et vraisemblablement le paiement d’un uploads/Geographie/ commerce-transsaharien-et-esclavage-au-xixe-siecle-dans-les-regences-de-tunis-et-de-tripoli-pdf 1 .pdf
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- Publié le Oct 15, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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