Conserveries mémorielles Revue transdisciplinaire #23 | 2018 Que pense le jeu v
Conserveries mémorielles Revue transdisciplinaire #23 | 2018 Que pense le jeu vidéo ? Comment le jeu vidéo pense l’expérience du milieu urbain Une analyse mésocritique de Dead Rising 3 How Video Games Think the Experience of the Urban Milieu: A Mesocritical Analysis of Dead Rising 3 Christophe Duret Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cm/3362 ISSN : 1718-5556 Éditeur : IHTP - Institut d'Histoire du Temps Présent, CELAT Référence électronique Christophe Duret, « Comment le jeu vidéo pense l’expérience du milieu urbain », Conserveries mémorielles [En ligne], #23 | 2018, mis en ligne le 10 octobre 2018, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/cm/3362 Ce document a été généré automatiquement le 2 mai 2019. Conserveries mémorielles est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas de Modification 4.0 International. Comment le jeu vidéo pense l’expérience du milieu urbain Une analyse mésocritique de Dead Rising 3 How Video Games Think the Experience of the Urban Milieu: A Mesocritical Analysis of Dead Rising 3 Christophe Duret Introduction 1 De nombreux auteurs, au sein des études vidéoludiques, s’accordent pour faire de la spatialité la caractéristique fondamentale des jeux vidéo (AARSETH, 1997; GÜNZEL, 2008; NITSCHE, 2008; NEWMAN, 2004; WOLF, 2001). Architectures narratives (JENKINS, 2004), fruits d’un art des espaces contestés (JENKINS & SQUIRE, 2002), ils constituent également un moyen d’expression privilégié lorsqu’il s’agit de simuler des lieux référentiels : ceux du passé, à l’instar de la Palestine de la troisième croisade, du Londres victorien, de la Florence des Médicis ou de l’Égypte antique dans la série Assassin’s Creed. Mais aussi des lieux contemporains, à l’image du São Paulo de Max Payne 3, du Hong Kong de Sleeping Dogs et du Chicago de Watch Dogs. Des lieux projetés dans le futur, enfin, tels le Paris dystopique de Remember Me et le New York post-catastrophique d’Enslaved: Odyssey to the West. Simulateurs de lieux, les jeux vidéo simulent également une expérience des milieux humains, qu’elle se déroule dans un cadre imaginaire ou référentiel. Pensons aux terres gastes des post-catastrophiques Mad Max : The Video Game, Borderlands et Fallout, par exemple. 2 C’est de l’expérience du milieu telle que le jeu vidéo la pense qu’il sera question dans cet article. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’expérience du milieu urbain dans Dead Rising 3, pensée à travers l’opposition entre localités enclavées et non-lieux que le jeu met en scène. Dans la première partie de l’article, après avoir souligné l’intérêt porté par les études vidéoludiques pour les questions d’espace, de lieu et d’environnement, nous soulignerons l’absence de recherches portant sur les questions du Comment le jeu vidéo pense l’expérience du milieu urbain Conserveries mémorielles, #23 | 2018 1 milieu humain et de son habiter. Nous proposerons donc une perspective apte à en rendre compte, la mésocritique, après avoir décrit les concepts de milieu et de médiance sur lesquels elle repose. Enfin, nous verrons à l’aide de cette perspective les qualités réflexives et critiques du médium vidéoludique portant sur l’expérience contemporaine du milieu. La seconde partie proposera, à titre illustratif, une brève analyse de l’opposition entre localités enclavées et non-lieux dans le jeu Dead Rising 3. Nous verrons comment ce jeu met en procès les non-lieux contemporains. À travers la figure dystopique du mort-vivant, ces derniers sont présentés comme un vecteur d’enclavement et de ségrégation des socialités locales. Le joueur se voit alors amené à s’approprier les non-lieux et à décloisonner ces socialités en vue de les réarticuler sous la forme d’une nouvelle communauté. Spatialité et jeux vidéo 3 Les recherches portant sur l’espace dans les jeux vidéo relèvent globalement de trois perspectives. La première, formaliste, porte sur la question de la structure et de la configuration de l’espace vidéoludique (par exemple, AARSETH, 2000; FERNANDEZ-VARA, ZAGAL & MATEAS, 2005; WOLF, 2011). La seconde, narratologique, s’intéresse à la spatialisation du récit vidéoludique et à la construction de son univers fictionnel (voir, notamment, JENKINS, 2004; KLASTRUP & TOSCA, 2004), ce dernier excédant les limites de l’espace virtuel du jeu. La troisième perspective, enfin, privilégiée dans cet article, s’intéresse aux représentations de l’espace (référentiel ou imaginaire) dans les jeux vidéo, et notamment aux significations socioculturelles de ces représentations. Contrairement aux deux autres, et pour reprendre Vella (2013), elle s’intéresse moins à « l’espace, dans sa généralité quelque peu abstraite […] [qu’au] lieu dans sa spécificité » (p. 2, l’auteur souligne). Les recherches de Dyer-Witheford & De Peuter (2009), Fuchs (2016), Joliveau (2012) et Magnet (2006), par exemple, appartiennent à la perspective socioculturelle. 4 Au sein de cette troisième perspective émergent, depuis quelques années, des recherches portant sur la représentation du paysage et de la nature, mais aussi des relations qu’entretient l’être humain avec ceux-ci (ANDRÉ & LÉCOLE-SOLNYCHKINE, 2012; FARCA & LADEVÈSE, 2016; MARTIN, 2011a & 2011b). Ces relations intéressent notamment une écocritique du jeu vidéo (BACKE, 2014; CHANG, 2011; WOOLBRIGHT & OLIVEIRA, 2016), encore à ses débuts. L’écocritique, perspective portant initialement sur des objets littéraires, s’intéresse aux relations entre l’humain et l’environnement telles qu’elles s’inscrivent dans le discours. Elle « tente de décentrer l’humain afin de mieux recentrer la représentation sur le monde non-humain » (POSTHUMUS, 2017, p. 6). Certains développements récents de l’écocritique articulent leurs préoccupations écologiques non pas exclusivement autour de la représentation de la nature, mais autour des milieux humains, comme en témoigne la définition proposée par Posthumus (2005), qui fait de l’écocritique « toute analyse […] d’un discours […] qui parle du milieu […] et des rapports entre ce milieu et l’être humain » (p. 3). 5 À notre connaissance, l’intérêt pour la représentation des milieux humains dans le jeu vidéo, mais aussi de l’expérience de ces milieux – c’est-à-dire de l’habiter – est absent de la perspective socioculturelle sur l’espace dans les études vidéoludiques. Pour pallier à cette lacune, nous proposerons dans cet article une herméneutique apte à rendre compte de cette question, soit la mésocritique (DURET, 2017). Comment le jeu vidéo pense l’expérience du milieu urbain Conserveries mémorielles, #23 | 2018 2 6 Avec la notion de milieu, on s’intéresse aux espaces de l’habiter. L’espace, écrit Jacques Lévy, peut être conçu comme une « catégorie qui définit une relation de coexistence entre les éléments du réel » (cité dans BEAUDE & NOVA, 2016, p. 55). Une approche topologique de l’espace vise alors à rendre compte des réseaux, des agencements de relations de coexistence (BEAUDE & NOVA, 2016). Lorsque ces relations relèvent d’une triple nature écologique, technique et symbolique, et qu’elles portent sur la coexistence des individus entre eux (un « être ensemble »1) et avec leur environnement (un « être sur Terre »), c’est-à-dire un habiter, l’approche topologique permet l’appréhension d’un milieu. 7 Les milieux humains figurent au centre des travaux de Berque (1986, 1990, 2000) et de sa mésologie, une branche de la géographie culturelle. Nous verrons donc avec lui comment se définit le milieu, de même que le concept de « médiance » qu’il propose et que nous mobiliserons ici. Milieu et médiance 8 Selon Berque (1990, 2000), les milieux humains résultent d’une relation dynamique entre l’individu et l’environnement. Cette relation relève d’une « onto-géographie », dans la mesure où, nous dit ce dernier, l’être de l’humain se présente comme une structure bipartite partagée entre un corps physique, individué (le corps animal), et un corps médial, soit le milieu au sein duquel s’insère le corps animal. La relation dynamique constitutive des milieux rend compte de la manière dont l’être humain se projette dans son environnement par le biais de la technique (phénomène de « cosmisation »), c’est-à- dire comment il travaille l’environnement, et comment, dans un mouvement inverse, il intériorise l’environnement par le biais du symbolique (« somatisation »), soit comment il se le représente en tant que monde (BERQUE, 1990, 2000). Tout milieu revêt donc une triple dimension écologique, technique et symbolique. Toujours selon Berque (1986), ce milieu, en tant que relation dynamique, dépasse les dichotomies héritées de la Modernité que sont le naturel et le culturel, le collectif et l’individuel, le subjectif et l’objectif, le matériel et l’idéel. C’est que l’être humain et l’étendue terrestre appartiennent tous deux au même tissu existentiel qu’est le milieu. 9 Le rapport technique et symbolique de l’être humain à son environnement, historiquement et culturellement changeant, se voit exprimé sous la forme d’une médiance (BERQUE, 1990), ce terme désignant « le sens ou l'idiosyncrasie d'un certain milieu, c'est-à-dire la relation d'une société à son environnement » (BERQUE, 2000, p. 128). En d’autres termes, la médiance désigne l’expression de l’habiter humain, de l’expérience humaine du milieu. Mésocritique 10 Mettre au jour la médiance exprimée dans les jeux vidéo constitue le rôle d’une herméneutique du milieu ou « mésocritique ». La mésocritique (« méso » provient du grec ancien μέσος, « milieu ») s’intéresse à la configuration des rapports éco-techno- symboliques qui lient entre eux les personnages (avatars) incarnés par les joueurs, de même que les objets et éléments architecturaux des jeux vidéo au sein de leur espace virtuel. Elle permet le rapprochement des trois perspectives sur la spatialité présentes au sein des études vidéoludiques. uploads/Geographie/ conserveries-memorielles-comment-le-jeu-video-pense-l-x27-experience-du-milieu-urbain.pdf
Documents similaires










-
28
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 19, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2975MB