© Les Deux Océans, 2004, 2016 19, rue Saint-Séverin 75005 Paris ISBN : 979-1-02

© Les Deux Océans, 2004, 2016 19, rue Saint-Séverin 75005 Paris ISBN : 979-1-02420-303-4 contact@lesdeuxoceans.fr Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335.2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Du même auteur Le Yoga tantrique du Cachemire. Éd. Le Relié, Poche, 2003. Le Seul Désir. Dans la nudité des tantra. Éd. Almora, 2006. Le Sacre du dragon vert. Pour la joie de ne rien être. Éd. Almora, 2007. Les crocodiles ne pensent pas. Reflets du tantrisme cachemirien. Éd. Almora, 2008. Corps de silence. Éd. Almora, 2010. Corps de vibration. Éd. Almora, 2015. Remerciements Tout le travail a été réalisé par Dominique Decavel et Laurence Vidal, Jean Bouchart d’Orval a contribué au dernier chapitre. Introduction Gloire à Celui qui n’a pas établi de chemin pour Le connaître, si ce n’est l’incapacité à Le connaître. Ibn Arabi : Les Illuminations de la Mecque Fruit de la peur, l’impulsion de savoir et de vouloir est la racine de nos souffrances psychologiques. Notre existence n’est souvent qu’une lutte pour faire triompher cette affirmation de superficialité. La recherche constante de sécurité est l’obstacle essentiel à la révélation d’une liberté qui nous sollicite pourtant à chaque instant de ce que nous appelons la vie ordinaire. Laisser le monde libre de nos projections est l’art suprême exprimé par les grandes traditions spirituelles. Cette écoute sans appropriation est la solution à nos conflits imaginaires, mais bien réels dans notre codification de la vie. Redoutée par notre psychisme policé, l’émotion se trouve à la source de toute perception. Accueillie sans réserve, cette énergie se libère de ses causes apparentes et devient le chant de la vie, silence de la personne. Écho de la condamnation originelle et sans appel à la joie, notre misère apparaît alors comme le deuxième fils d’une femme stérile. Fin de toute pensée intentionnelle, cette alchimie de l’émotion constitue le cœur de la tradition du shivaïsme non duel cachemirien. Ces entretiens nous trouvent au centre de nos préoccupations profanes qui, dans notre accueil, s’avèrent être la porte de l’essentiel. Balayée par le feu de l’instant, toute résistance à la vie sans conclusion, au non-savoir cher à Jean Klein, se révèle un combat sans espoir. Le soufre rouge serait-il ailleurs que dans notre Présence ? La retranscription de ces rencontres garde la forme spontanée des questions-réponses. Ce qui est formulé ici peut être aisément contredit sur d’autres plans et ne saurait être considéré comme vérité, mais une exploration de nos mécanismes. La manière de s’exprimer l’a été spécifiquement pour l’auditoire présent. Hors contexte, certains énoncés peuvent apparaître inappropriés, voire peu pédagogiques. Seuls l’intimité et les espaces de silence émaillant ces rencontres les justifient et invitent à leur intégration fonctionnelle. Le lecteur ne doit pas les prendre à la lettre mais les transposer. Si l’intensité de ces moments où la formulation n’est que prétexte à pressentir l’écoute est réservée à la transmission orale, une lecture sans attente de compréhension objective peut ramener à ces mêmes évidences qui sont au cœur de notre nature profonde. CHAPITRE 1 Dans le silence de l’intimité La Sécurité vous a égaré. Coran La sécurité dans laquelle se complaisent les âmes s’oppose à l’intimité de Dieu. Cette vanité procure au serviteur le sentiment de bien-être lorsqu’il s’y laisse aller. Alors il ne sera jamais heureux. En effet, la sécurité détruit la vie spirituelle et ruine l’homme qui s’y complaît en lui faisant gaspiller son temps. Et lorsque celui-ci en revient malgré lui, il s’aperçoit qu’il a les mains vides et n’a rien obtenu. Ibn Arabi : Le Livre des Théophanies Nos réunions ne se situent pas dans un contexte de spiritualité, d’enseignement, de compréhension, car tous ces éléments participent des voies progressives. Les événements de la vie sont la voie, laquelle apparaît et disparaît dans le même instant. Il n’y a aucune place pour un accomplissement, pour une appropriation. Dans la mesure où elle n’attend aucune réponse informative, toute question est bienvenue. Est-il possible de discerner les moments propices pour changer une situation, quand on pense pouvoir l’améliorer, ou faut-il laisser faire, laisser venir sans agir. Peut-on travailler là-dessus ? Vous pouvez vous rendre compte qu’agir ou vous rendre disponible à la situation n’est pas de votre ressort. Parfois vous aurez la capacité d’écouter une situation : vous vous trouverez alors libre d’agir ou non, la situation sera l’action. D’autres fois vous ne pourrez que constater votre manque d’écoute, le commentaire idéologique que vous surimposez à la situation : vous prétendez savoir ce qui est mieux, cette prétention est une action. Vous ne pouvez pas décider de réagir ou d’écouter. La vie ne vous accorde pas semblable liberté. Constatez les moments d’écoute comme les moments de réaction. L’idée d’une autonomie personnelle qui nous ferait agir ou non n’est qu’un conte de fées. Je suis interpellé par un mot que vous avez prononcé plus tôt : « non- accomplissement ». Pourrait-on dire que l’on peut passer sa vie à réussir à échouer et que cela serait aussi une voie d’accomplissement… parce que ce non-accomplissement laisse un goût amer et amène à se poser beaucoup de questions sur le sens de sa vie ? Vous pouvez passer votre vie à vous imaginer réussir ou rater. Tout ceci n’est qu’idéologie : vous ne pouvez ni réussir ni rater quoi que ce soit. Un jour, vous serez las d’imaginer. À cet instant, vos réussites et vos échecs imaginaires, vos fantasmes de réussites et d’échecs futurs s’élimineront aussi. Voilà l’accomplissement, il n’y en a pas d’autre. C’est cela qu’il faut laisser s’installer en nous. Pas de place pour un regret, un espoir ou une amertume : tout cela est une forme d’agitation. Restez tranquille, clair. La vie se déroule en vous, vous n’êtes pas dans la vie. S’il n’y a pas d’accomplissement, il n’y a pas d’évolution non plus ? Il n’y a pas d’évolution psychologique. Le vieillard n’est pas plus que l’enfant : c’est une autre expression de la vie. Il n’est pas moins non plus lorsqu’il perd sa force, son intelligence, sa mémoire et sa santé. Quand le vieillard perd pied, qu’il perd la mémoire, il est moins conscient, non ? Conscience relative, car il n’était pas conscient. Il s’est imaginé réussir et rater des choses – ce qui est de l’inconscience. Il s’est imaginé avoir un nom, décider de ses actes… Il s’est imaginé toute sa vie. Ce n’est pas parce qu’il oublie cet imaginaire qu’il y a un moins. Il retrouve quelque chose d’essentiel, sans mémoire, sans appropriation. Il est bon d’observer combien la vue d’un vieillard qui devient sénile nous percute. Pourquoi est-ce si difficile ? Qu’est-ce qui m’effraie ? Je suis remis en question. Je m’aperçois que je vais être comme cela et que je ne vais plus pouvoir prétendre – prétendre ma réussite, mes échecs. Je vais être obligé d’abdiquer ma chère vie, ma chère identification à moi-même. C’est cela qui m’est pénible. Laissons le vieillard tranquille de nos projections, de nos peurs. Le vieillard va très bien : c’est nous qui avons peur. Un saumon en fin de vie n’est pas moins que dans sa splendeur. La dégénérescence, sur un certain plan, fait partie de notre processus biologique. Il y a autant de beauté dans quelqu’un qui meurt que dans quelqu’un qui naît. S’il n’y a pas d’accomplissement, à quoi me sert ma conscience ? La Conscience ne vous sert à rien. Ce n’est pas un objet destiné à vous stimuler psychologiquement. Ce n’est pas une voiture rouge, un mari ou un chien. Elle n’est pas là pour servir : elle est votre émotion fondamentale, elle vous pousse à vous chercher constamment à travers les situations. « Conscience » : ce mot est mal compris. En Orient, on parle de « conscience sans objet ». Il n’y a pas à « être conscient ». La conscience des gens qui veulent mourir « consciemment » n’a aucune importance. Ce qui se réalise à l’instant de la mort est d’un tout autre ordre. Mourir consciemment dépend de la capacité fonctionnelle de votre cerveau. Si vous recevez un coup de matraque sur le crâne, vous ne mourrez pas consciemment et il ne vous manquera rien. La conscience de quelque chose est une conscience fonctionnelle. C’est comme une jambe pour marcher. Cette conscience-là n’a aucune substance, c’est une fonction. La Conscience, c’est autre chose. Si j’arrive à être en accord avec la Conscience, puis-je atteindre l’essence ? Essayez un instant d’être en désaccord avec votre Conscience… Que pourriez-vous être d’autre que votre Conscience ? Vous n’êtes pas un zèbre rouge situé à l’extérieur de la Conscience, pour vous mettre en accord avec elle. Cette conscience, c’est vous-même quand vous arrêtez de chercher quoi que ce soit, quand vous cessez de prétendre avoir le pouvoir d’être en accord ou en désaccord. uploads/Geographie/ de-l-abandon-eric-baret.pdf

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