1. HABITER LA TERRE Maria Villela-Petit in Thierry Paquot et al., Habiter, le p
1. HABITER LA TERRE Maria Villela-Petit in Thierry Paquot et al., Habiter, le propre de l'humain La Découverte | « Armillaire » 2007 | pages 19 à 34 ISBN 9782707153203 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/habiter-le-propre-de-l-humain---page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Afin de commencer à réflé- chir sur le sens même d’une telle question, passons en revue quelques compléments du verbe habiter, en allant des plus usuels aux plus denses et riches de sens, là où le métaphorique se lie intimement au littéral et le déborde. Le verbe « habiter » Nous disons de quelqu’un qu’il habite une grande métropole, d’un autre qu’il habite à la campagne ou au bord de la mer, ou encore qu’il habite avec ses parents (sous-entendu, il n’a pas encore quitté le domicile familial pour avoir un « chez soi » à lui). Sur la lancée du discours commun, les sociologues, qui se penchent sur l’habitat urbain ou plutôt sur les problèmes de grandes « conurbations », diront de telle catégorie sociale que ceux qui en sont issus habitent les « beaux quartiers », de telle autre que ses représentants habitent les banlieues ou certains quartiers déshérités du centre-ville, ou encore des bidonvilles. 19 1 Habiter la terre Maria Villela-Petit © La Découverte | Téléchargé le 25/08/2021 sur www.cairn.info par via Université de Caen (IP: 188.62.112.56) © La Découverte | Téléchargé le 25/08/2021 sur www.cairn.info par via Université de Caen (IP: 188.62.112.56) Quand on essaie de penser l’habitation, ces précisions enferment des connotations sociales et humaines dont on ne saura négliger l’importance anthropologique et sociale. Il est toutefois possible de construire avec le verbe habiter des expressions moins cou- rantes qui, par elles-mêmes, servent d’indice à des dimensions de l’habiter auxquelles une approche philosophique ne peut rester indifférente. En voici un petit échantillon : « habiter sa vie », « tel danseur habite pleinement son corps en mouve- ment », « qu’en est-il de l’habitation quand on a eu à migrer ou à s’exiler ? » Ce fut un questionnement de cet ordre qui a guidé l’enquête menée par Perla Serfaty-Garzon auprès d’une trentaine femmes, et qui a abouti à Enfin chez-soi ?, un ouvrage, plein d’enseignement, paru en 20061. L’on pourrait évoquer encore l’expression « séjour délicieux habité par l’esprit » que Marcel Proust emploie à propos de cer- tains tableaux de Chardin, en leur reconnaissant le mérite de nous apprendre à voir, avec d’autres yeux, les pièces d’habitation les plus simples. On parle aussi d’« habiter la profondeur », beau titre choisi par mon ancien étudiant Alexandre Vieyra pour sa dissertation de maîtrise consacrée à la poésie de René Char et d’André du Bouchet. Et cette liste d’exemples est loin d’être close. Elle pourrait aisément s’allonger à l’aide de Psaumes, où la question de l’habiter — au sens du lieu où faire demeurer son cœur —, joue un rôle majeur, comme dans l’expression « habiter la maison du Seigneur ». Soit l’expression « habiter sa vie » qui, d’emblée, sonne dif- féremment de « vivre sa vie ». Habiter sa vie s’entend comme une injonction. On s’invite ou on invite celui (ou celle) à qui on l’adresse à ne pas être emporté par le passage des jours, encom- bré par des tâches diverses, en l’absence d’une présence plus intense et plus lucide à soi-même, à ce que l’on fait et à la façon dont on se tient vis-à-vis des autres. « Habiter sa vie » c’est alors se faire plus attentif à ce que l’on vit, à la façon que l’on a de se conduire, d’être-au-monde en étant présent à soi-même. C’est donc en densifiant le sens d’habiter que l’on peut tout aussi bien parler d’un lieu habité par l’esprit que d’une interpré- tation habitée, quand on fait allusion au jeu d’un acteur, d’un Habiter, le propre de l’humain 20 1. Perla SERFATY-GARZON, Enfin chez soi ? Récits féminins de vie et de migration, préface d’Alain Montandon, Bayard Canada Livres, Montréal, 2006. © La Découverte | Téléchargé le 25/08/2021 sur www.cairn.info par via Université de Caen (IP: 188.62.112.56) © La Découverte | Téléchargé le 25/08/2021 sur www.cairn.info par via Université de Caen (IP: 188.62.112.56) musicien, d’un danseur, ou bien quand on se réfère à un poète ou à un penseur en laissant entendre qu’il nous fait habiter la pro- fondeur. À l’écoute de ces exemples, on ne s’étonne pas que Heidegger ait médité autour du thème de l’habiter en le rappro- chant non seulement de celui du bâtir, ce à quoi on peut s’attendre, mais aussi de celui de l’être et du penser, comme dans son essai « Bâtir habiter penser » (Bauen Wohnen Denken). Le verbe habiter de par son origine étymologique (habere = tenir) se relie à la notion d’habitude (manière habituelle d’être, de se tenir), semblable en cela à l’allemand Wohnen sur lequel s’est construit Gewonheit, qui veut dire aussi habitude. Une dis- cussion qui, prenant son départ dans l’ouvrage De l’habitude de Félix Ravaisson, s’attarderait sur les nuances de sens qui se rat- tachent à la notion d’habitude serait d’ailleurs bienvenue dans une approche phénoménologique de l’habitation. Mais nous devons tout juste nous contenter d’attirer l’attention ici sur la familiarité, qui naturellement s’associe à l’espace que l’on habite, où l’on se sent chez soi. Certes, cela ne garantit pas contre les entraves ou les écueils : soit un enlisement dans la quotidien- neté, soit l’impossibilité de s’approprier l’espace où l’on vit, et enfin la menace qui plane toujours sur l’espace habité, celle d’une possible irruption en lui de l’étrangeté, là où sa physiono- mie habituelle se modifie et que, changé dans son apparaître même, il déstabilise l’habitant, l’exile là même où il avait pu être « chez lui ». La Terre vue d’en haut Une fragilité de cet ordre est inhérente à l’habitation la plus courante, et plus originairement, à notre séjour sur terre. Mais elle acquiert un caractère nouveau lorsqu’on parle aujourd’hui d’habiter la Terre. Pourquoi ? Parce que c’est la Terre elle-même qui, globalement, se trouve menacée, comme autrefois elle avait semblé être dans les récits de déluge ou d’autres destructions, que l’on retrouve dans plusieurs cultures. Jusqu’à il y a peu, en dehors de tels récits, habiter la terre allait de soi. Habiter ici, sur la terre (et l’introduction de la préposition « sur » n’est pas neutre), était un simple fait (souvent pénible), dû à notre condi- tion mortelle, et dont on a toujours cherché à s’évader par le rêve Habiter la terre 21 © La Découverte | Téléchargé le 25/08/2021 sur www.cairn.info par via Université de Caen (IP: 188.62.112.56) © La Découverte | Téléchargé le 25/08/2021 sur www.cairn.info par via Université de Caen (IP: 188.62.112.56) ou l’élévation morale ou mystique, voire par la projection dans un autre espace, lors d’une vie autre à laquelle on aurait accès en traversant la mort. De tout temps, et partout, en effet, on s’est transporté en imagination ou en pensée en un ailleurs, c’est-à- dire ailleurs que sur la Terre. La représentation de la Terre vue d’en haut, avant de com- mencer, il y a quelques décades, à pouvoir s’effectuer réellement grâce aux voyages spatiaux, était un topos rhétorique, mobilisé à des fins d’éducation morale. Pierre Hadot a montré que pour les Anciens, l’hypothèse de voir la terre d’en haut, grâce à une cer- taine hauteur de l’âme, revenait à pouvoir apprécier, avec le recul critique nécessaire, la mauvaise conduite des hommes. Ainsi, selon Sénèque, au cours d’un tel voyage, l’âme du philo- sophe dévisageant la petite Terre ne pourrait que s’exclamer : « C’est là ce point que tant de nations se partagent par le fer et le feu ! Combien sont risibles les frontières que les hommes mettent entre eux2 ! » La possibilité qu’a l’homme de voir, ne fut-ce que par varia- tion imaginative, la Terre d’en haut, en se plaçant au-dessus du terrestre — avec l’éventail de sens que uploads/Geographie/ dec-paquo-2007-01-0019.pdf
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- Publié le Sep 17, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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