LES O CC U R R EN C ES D U R EG IS TR E D E L' EA U D A N S JU L IE O U L A N O

LES O CC U R R EN C ES D U R EG IS TR E D E L' EA U D A N S JU L IE O U L A N O U VEL L E H ÉL O ÏS E D E J EA N- J AC Q U ES R O U S S EA U E T PAU L ET VIRG IN IE D E B ER N AR D IN D E S A IN T-P IER R E DÓ R A OC S OVA I La comparaison de La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau et de Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, est un sujet courant de la critique littéraire. On conteste l'originalité du dernier, bien évidemment obscurci par le génie brillant du philosophe genevois, certains décrivent Bernardin comme « un Rousseau poussé a ses extrêmes et caricaturé1 ». D'autres posent la question de savoir si on peut considérer les deux romanciers comme disciple et maître2. Après plusieurs décennies de débats littéraires qui n'ont pas nécessairement défendu le talent de Bernardin, ils remarquent son penchant pour la description de la nature exotique et son aisance dans l'utilisation d'un langage particulier, apte à inviter son public à un voyage aux tropiques ; ce que remarque Anne-Marie Drouin-Hans : « alors que par la force du style, Rousseau impose une pensée forte, Bernardin semblerait briller davantage par les images et les sensations3 ». L'analyse de l'apparition de la nature dans les deux romans parcourt aussi une tradition dans la critique ; le jardin, comme symbole fondamental de la pensée philosophique de Rousseau, apparaissant identiquement chez Bernardin, sert un point de départ pour plusieurs pistes d'analyse. Jean-Michel Racault, spécialiste de ce domaine affirme que le jardin de l'œuvre de Bernardin provient de celui de Rousseau, étant « manifestement tributaire pour certains éléments descriptifs de la Nouvelle Héloïse – et parfois jusqu'au quasi-plagiat, comme dans l'évocation du jardin de Virginie, directement dérivée de celle de l'Élysée de Clarens4 ». La symbolique de la nature, et même sa description sont fondamentalement différentes dans les deux œuvres au niveau de leur rapport envers « le jardin naturel ». Les deux auteurs, étant tous munis d’expériences en histoire naturelle5, connaissent parfaitement la flore de l'époque. Tandis que pour Rousseau la nature en peint son état traditionnel, Bernardin, faisant preuve d'un savoir profonde concernant même la nomenclature des plantes, invite son public à un voyage dans le monde des 1 DROUIN-HANS, Anne-Marie, « Variations en miroir », in Dix-Huitième siècle, No33, 2001, p.494. 2 Ibid. 3 Ibid. 4 RACAULT, Jean-Michel, Études sur Paul et Virginie et l’œuvre de Bernardin de Saint-Pierre, l’Université de la Réunion, Paris, Didier, 1986, p. 10. 5 Rousseau lors de sa visite au château de Neuchâtel et Bernardin de Saint-Pierre au cours de ses voyages ; DROUIN, Jean- Marc, « Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre et l'histoire naturelle », in Dix-Huitième siècle, No33, 2001, p. 507-516. 1 espèces exotiques.6 Rousseau condamne l'exotisme au niveau des jardins, comme il l'expose dans la description du jardin de Julie, L'Élysée7. Dans la description de la nature et spécialement dans celle des deux jardins, on doit remarquer l'omniprésence de l'eau comme élément soit naturel soit artificiel concernant son usage. Étant donné que nos recherches sont focalisées sur la présence de l'eau comme motif au siècle des Lumières, l'analyse de ses différentes formes d'apparition s'imposait naturellement dans ces deux romans. Tout d'abord on peut être surpris en voyant la multitude de formes sous laquelle cet élément apparaît dans les textes. Elle s'y présente sous ses formes bien différentes, allant du masculin (de la matière en mouvement perpétuel, sous forme de jets d'eau, de fontaines, de ruisseaux) vers le féminin (comme l'eau ayant une grande étendue, une masse infinie, la mer et l'Océan). Sur les pages suivantes nous analyserons ces formes d'apparition dans la Nouvelle Héloïse et dans Paul et Virginie, en observant le champs lexical de l'eau. Suivant une méthode évidente, on a relevé les noms, les verbes, les adjectifs relatifs à l'eau, pour établir, à partir de ces observations, des statistiques simples et des conclusions tirées de ces derniers. L'analyse des deux œuvres s'imposait directement par l’inspiration de notre domaine de recherches concernant le rôle du motif de l'eau au siècle des Lumières. Au cours des recherches précédentes, nous avons observé, en analysant la peinture de l'époque, une supériorité de l'eau vaste, étendue, impressionnante face à ses formes d'apparition plus sophistiquées. La représentation des fontaines, des machines à eau, des petits ruisseaux à l'arrière-plan était fondamentalement bouleversée par la thématique des naufrages, des paysages marins sur les toiles. L'autre objectif – bien que secondaire – de ces recherches était ainsi de vérifier s'il existe un parallèle entre les deux domaines. Lors de l'analyse des deux textes, on s'est rendu compte du fait que de l'ensemble du vocabulaire relatif à l'eau, c'était l'EAU elle-même qui était le plus utilisé. Avec ses 46 occurrences chez Rousseau et 27 chez Bernardin de Saint-Pierre, elle donne un sentiment de présence systématique 6 En parlant de plantes indigènes et européennes, Bernardin a voulu donner un cadre exotique, non européen à sa pastorale. « J'ai taché d'y peindre un sol et des végétaux différents de ceux de l'Europe. Nos poètes ont assez reposé leurs amants sur le bord des ruisseaux, dans les prairies et sous le feuillage des hêtres. J'en ai voulu asseoir sur le rivage de la mer au pied des rochers. » BERNARDIN DE SAINT PIERRE, Jacques-Henri, Paul et Virginie, GF-Flammarion, Paris, 1966, p. 201. 7 « Je ne vois dans ces terrains si vastes et si richement ornés que la vanité du propriétaire et de l'artiste, qui, toujours empressés d'étaler, l'un sa richesse et l'autre son talent, préparent, à grands frais, de l'ennui à quiconque voudra jouir de leur ouvrage. » ROUSSEAU, Jean-Jacques, Julie ou La Nouvelle Héloïse. Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes, Garnier, Bordas, Paris, 1988. p. 463. 2 dans les deux œuvres. La totalité des expressions relatives à l'eau comptent 94 mentions dans la Nouvelle Héloïse et 144 dans Paul et Virginie. Ce que les nombres suggèrent est bien sensible. On peut remarquer, en se permettant une observation naïve, que l'œuvre de Rousseau, bien que plus volumineuse, en comporte moins de noms aquatiques. Ces termes relatifs à l'eau se trouvent centrés autour des scènes, des épisodes bien définissables : la description de l'Élysée de Julie (21) , la scène de la tempête sur le lac de Genève (15). D'une manière surprenante, la description de la mésaventure fatale de Julie n'en comporte que deux mentions. Les expressions relatives à la MER (5) y figurent à propos du voyage outre-mer de Saint-Preux8. Les éléments les plus fréquents sont, d'une part, les eaux courantes (RUISSEAUX, RIVIÈRES, CASCADES, FONTAINE, SOURCE) (15) ; d'autre part, une sorte d'eau prétendue calme, paisible : le LAC (+ BASSIN 15 exemples au total). Ce calme apparent sera bouleversé par la scène de tempête sur le lac de Genève, à cette partie on peut associer les mots tels que VAGUE (7), ONDE (2), et le terme décrivant le moyen de transport sur le lac, le BATEAU (5). Un autre moyen de transport marin apparaît dans le récit, le VAISSEAU (3), par lequel Saint-Preux quitte son pays et s’embarque pour son long voyage, mais le mot n'apparaît qu'à son retour, alors qu'il raconte ses aventures9. Le mot RIVAGE (4) apparaît comme contre-point des éléments en mouvement perpétuel, et le terme ROCHER (27) émerge également des descriptions par sa fréquence surprenante. Tous les deux symbolisent la stabilité, le lieu de refuge, le havre étant opposé à la mobilité et au danger des eaux dans le récit. La fréquence du mot ROCHER (52) dans Paul et Virginie – parmi lesquels le Rocher des Adieux, symbôle de la séparation des personnages principaux, occupe une place importante – surprend le lecteur, car il fait son apparition sur la majorité des pages10, soulignant ainsi l’effet de contraste des motifs aquatiques. Bernardin de Saint-Pierre fait apparaître des noms géographiques dans le roman se référant à des sites existants sur l’Ile de France11; la Rivière des Lataniers, la Rivière-Noire, la Rivière des Trois- mamelles, la Rivière du Rempart, l'île d'Ambre. Chez Rousseau, ce vocabulaire géographique se limite au continent européen ; il cite des exemples genevois qu’il appelle officiellement le lac de Genève, la rivière d’Ouse. 8 « Mer vaste, mer immense, qui dois peut-être m'engloutir dans ton sein, puissé-je retrouver sur tes flots le calme qui fuit mon cœur agité. » La Nouvelle Héloïse, p. 377. 9 « J'ai vu dans le vaste Océan, ou il devrait être si doux a des hommes d'en rencontrer d'autres, deux grands VAISSEAUX se chercher, se trouver, s'attaquer, se battre avec fureur, comme si cet espace immense eut été trop petit pour chacun d'eux. » La Nouvelle Héloïse, p. 345. 10 ROCHER+RIVAGE+ILE = 81mentions, voir l’annexe. 11 L’Ile Maurice actuelle. 3 Rousseau utilise fréquemment des épithètes doubles pour décrire l'EAU; « calme et paisible12 », uploads/Geographie/ dora-ocsovai-les-occurrences-du-registre-de-l-x27-eau-dans-julie-ou-la-nouvelle-heloise-de-jean-jacques-rousseau-et-paul-et-virginie-de-bernardin-de-saint-pierre.pdf

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