Belgique – België P.P. 1000 Bruxelles 1/148 Mensuel, ne paraît pas en juillet-a
Belgique – België P.P. 1000 Bruxelles 1/148 Mensuel, ne paraît pas en juillet-août Bureau de dépôt : Bruxelles X P 302402 Périodique édité par Inter-Environnement-Bruxelles, fédération de comités de quartier et groupes d’habitants n°259-260 – octobre 2012 02 / le droit à la ville Bruxelles en mouvements 259-260 –octobre 2012 ➪ Le «droit à la ville» d'Henri Lefebvre a repris vigueur ces dernières années : sujet d'articles, d'ou- vrages, de séminaires et autres chartes associa- tives, décliné tantôt par le politique tantôt par des militants urbains. Mais qu'y a-t-il derrière ces quatre mots sonnant telle une revendi- cation constitutionnelle? Un droit légal ? Un droit pour tous à habiter la ville tel qu'on l'entendrait d'un droit pour tous à avoir un logement ? Ou encore un droit d'accès aux services qu'offre la ville? Ou plutôt un droit pour tous à se réapproprier la ville ? Et si telle est l'hypothèse, qui se la réapproprie et contre qui ? Lors d'une ren- contre à Genève sur la gentrification à laquelle parti- cipait IEB en octobre 2011, le droit à la ville fut présenté comme la réponse revendicative à la dénonciation de la gentrification, comme son versant de résis- tance créatrice. Pour une structure comme IEB qui place la ville et ceux qui l'habitent au cœur de sa réflexion et de son action quotidiennes, affronter le droit à la ville, la multiplicité de ses facettes, les contradictions émanant de la diversité des interprétations et des usages qui en sont faits, devint peu à peu une évidence. Nous ne savions pas à ce moment-là à quel point nous nous engagions dans une aventure périlleuse. Pour permettre une approche la plus collective possible, IEB mit sur pied en février 2012 un groupe de lecture composé d'une dizaine de personnes motivées à disséquer l'ouvrage de Lefebvre. Au fil des rencontres et des lectures, le «droit à la ville» prit corps tout en démultipliant les questions auxquelles il nous renvoyait mais aussi les pas- serelles possibles entre la pensée de Lefebvre et nos combats urbains d'aujourd'hui. Les écrits qui vont suivre sont le fruit de cette réflexion vivante et collective. Ils ne sont pas univoques mais reflètent au contraire la richesse, la complexité et la dimension uto- pienne de la pensée lefebvrienne tout en dres- sant des jalons pour dépasser l'urbanisme technocratique, tétaniser l'urbanisme des promoteurs, questionner les errances du mili- tantisme urbain et se réapproprier la question urbaine en replaçant la question sociale en son centre. elise debouny Le droit à la ville. Et quoi ? le droit à la ville / 03 Bruxelles en mouvements 259-260 – octobre 2012 Interprétations, devenirs et réappropriations « Le droit à la ville » a connu, au moment de sa publication, en pleine effervescence de 1968, un succès certain. Son devenir est, quant à lui, plus contrasté. Petit détour historique par la France pour mieux revenir à Bruxelles. ➪ Dès la fin des années 1970, Lefebvre comme le marxisme furent, peu à peu, rangés au musée des curiosi- tés historiques. Toutefois le concept de droit à la ville, ainsi que la plupart des analyses sociolo- giques de Lefebvre, n’ont pas totalement disparu. La sociologie urbaine française a bel et bien repris l’apport de l’auteur – quitte à le nettoyer de son fond marxiste, quitte même à ne pas le citer. Les rapports entre centre et périphérie, la ségréga- tion ou l’exclusion des « prolétaires » (devenus des « défavorisés ») hors des centres, l’urbanisation de la société et l’éclatement de la ville tradition- nelle sont, parmi bien d’autres apports, devenus incontournables dans les sciences de la ville et de l’urbain. On ne compte plus aujourd’hui la pro- duction littéraire sur ces sujets. Cela ne signi- fie toutefois pas que les causes et explications fournies par Lefebvre soient, elles, reprises. Et, moins encore, sa démarche utopienne[1]. La dyna- mique capitaliste peut ainsi être minimisée au point de ne plus être nommée. Les phénomènes socio-spatiaux peuvent être décrits comme étant sans origine et sans histoire ; ils apparaissent, dans la plus mauvaise littérature, comme « natu- rels » ou « neutres ». Ce qui, au regard d’une hypo- thèse centrale de Lefebvre, est intenable puisque, précisément, « l’espace est produit » : il est l’en- jeu et le résultat d’une multitude d’actions et de stratégies qui, précisément, le produisent et en font l’histoire. Tout savoir, digne de ce nom, sur l’espace et la ville se doit de comprendre cette production. Détournement L’idée de droit à la ville a été, quant à elle, large- ment exploitée par les politiques françaises de la ville, de gauche comme de droite, qui émergent à la fin des années septante (sous Giscard déjà puis surtout sous Mitterrand). La « question urbaine » – prérogative des nouvelles politiques de la ville – est alors redéfinie essentiellement autour des « problèmes de banlieues ». Les « émeutes » de jeunes dans les quartiers excentrés d’habi- tat social touchés massivement par le chômage font l’objet de toutes les inquiétudes. La presse, les gestionnaires politiques ainsi que les socio- logues (urbains) en font le nouveau « problème de société ». Ce problème ne relèverait plus de la « question sociale » traditionnelle – pour le dire trop vite, il n’y aurait là aucun lien avec les ques- tions et revendications socio-économiques du mouvement ouvrier – mais d’une question nou- velle, la « question urbaine » (nouvelle version en quelque sorte de la question sociale dont on est parfois bien en peine de cerner les contours). Pour le dire trop vite encore, cela signifie que le nouveau problème de société est un problème lié à un territoire nouveau (qui n’est plus celui de l’Etat mais de la « ville ») et dont la résolution réside dans la prise en charge de ce territoire-là (et non du territoire national dans son ensemble via une éventuelle politique redistributive). Bien plus restrictif encore, si le problème des émeutes de jeunes doit d’abord être compris par son ins- cription territoriale (le « quartier » ou la « ban- lieue ») et par les carences dudit territoire, cela ne signifie pas pour autant que les rapports centre/ périphérie (contradiction soulevée par Lefebvre) soient pensés. Lorsque sont évoqués les pro- blèmes « urbains » et que sont lancées, en France toujours, des politiques de la « ville », ce n’est pas la ville dans son ensemble (donc les rapports centre/périphéries) mais uniquement les espaces extérieurs au noyau urbain et, ultime réduction, les espaces extérieurs « à problèmes » (il ne s’agit pas des banlieues résidentielles, on l’aura com- pris). Ce sont ces lieux-là qui seraient affectés par des pathologies (l’exclusion, le manque de « lien social », la concentration de pauvres et d’immi- grés en tête) et non la ville ou, moins encore, la société dans sa globalité. Le droit à la ville est tra- duit, dans ce contexte, par des traitements d’ex- ception visant à éradiquer les maux de ces espaces marginaux (i.e. en marge du centre). De l'urbanisme vertueux à l'évitement de la question sociale Parmi les traitements d’exception, on en trouve un, très en vogue, qui attribue à l’urbanisme et à l’architecture des vertus (et même des pouvoirs) concernant le « lien social ». Améliorer la mise en forme de l’espace améliorerait – et parfois même solutionnerait (pacifierait) – les rapports sociaux conflictuels dans les banlieues. Selon l’impor- tance accordée à cette équation, les politiques françaises de la ville vont plus ou moins privilé- gier l’action sur l’espace lui-même. Le droit à la ville est alors interprété comme l’aménagement et l’amélioration de ces lieux de vie – améliorer le cadre de vie pour améliorer la vie sociale. Il y va là, au fond, d’une variante du slogan de 1968 « Changer la ville pour changer la vie ». Mais, force est de constater que la charge subversive d’une telle proposition – liée à un parti-pris anti- capitaliste visant la transformation radicale de la société et de la vie quotidienne – a été évacuée. Il ne s’agit plus que de « gérer » le désordre social (via notamment la gestion spatiale) et éviter l’im- plosion de la société. A telle enseigne que le droit à la ville peut parfaitement être réintégré dans une politique conservatrice pour laquelle l’idée même de critique du capitalisme relève de l’exo- tisme le plus rafraîchissant. A une interrogation critique de la société, on substitue ainsi la désignation d’un coupable/ malade : les « jeunes » de « banlieue » en manque de « lien social » que les politiques de la ville se chargent de soigner. Partant d’une telle logique, les «principes» d’action que sont la réintégra- tion des désintégrés (ou exclus), le « faire ville »[2] visent avant tout à supprimer la menace que constituent, pour le centre (i.e. le centre de déci- sion), les hordes de barbares qui l’entourent. Il n’est plus aucunement question de penser les possibilités de transformation de notre société, ses possibilités d’émancipation. La « question urbaine » devient ainsi une astuce permettant de uploads/Geographie/ dossier-droit-a-la-ville 1 .pdf
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- Publié le Mar 31, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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