Dynamique des élevages pastoraux et agropastoraux en Afrique intertropicale Quæ

Dynamique des élevages pastoraux et agropastoraux en Afrique intertropicale Quæ CTA Presses agronomiques de Gembloux D. Richard, V. Alary, C. Corniaux, G. Duteurtre, P . Lhoste, coord. 141 6. Les filières de commercialisation des produits issus de l’élevage des ruminants en Afrique La viande, les produits laitiers et les autres produits animaux occupent une place centrale dans de nombreuses cultures africaines. Cependant, les modes d’alimentation et d’approvi- sionnement sont en plein bouleversement, notamment dans les villes : apparition de nouveaux produits ; hausse du pouvoir d’achat ; importations croissantes ; diversification des usages… Quel est l’impact de ces transformations sur les systèmes d’élevage ? Les pasteurs et les agropasteurs peuvent-ils saisir les opportunités offertes par l’essor de l’économie de marché ? Quels sont les nouveaux modes d’élevage agro- pastoral en réponse aux mutations des économies africaines ? Pour répondre à ces questions, ce chapitre présente d’abord les raisons qui expliquent la croissance de la demande dans les pays d’Afrique intertropicale. Il montre ensuite que les élevages pastoraux participent à l’approvisionnement des marchés en viande grâce à des circuits très dynamiques, et qu’ils alimentent aussi des réseaux d’exportation. Puis, le chapitre souligne que les élevages pastoraux et agropastoraux four- nissent la majeure partie des produits laitiers consommés dans ces pays. La consommation des produits animaux : un marché en émergence Malgré le faible pouvoir d’achat de ses consommateurs, l’Afrique inter- tropicale constitue aujourd’hui un marché en pleine émergence. La croissance démographique, l’essor des villes, et la hausse du niveau de richesse sont les éléments essentiels qui expliquent le regain d’intérêt des firmes internationales et des entreprises locales pour ce marché d’avenir. xxw  Un marché en croissance en dépit du faible pouvoir d’achat des consommateurs La croissance de la population africaine constitue le premier élément important. La population d’Afrique intertropicale a connu de 1974 à Dynamique des élevages pastoraux et agropastoraux 142 2014 un taux de croissance de 2,7 %/an ; elle a triplé pour atteindre 925 millions d’habitants en 2014. L ’Afrique dans son ensemble, avec 1,2 milliard d’habitants, est le continent dont la population a cru le plus rapidement depuis 2010. Cette tendance devrait se poursuivre dans les années qui viennent. On estime que, d’ici 2050, la population africaine pourrait passer à 2,1 milliards d’individus. Elle représenterait alors 22 % de la popu- lation mondiale, au lieu de 13 % aujourd’hui (OECD/FAO, 2016). Parallèlement à cette évolution, la croissance de sa population urbaine est extrêmement rapide. Elle est passée en 30 ans de 114 à 396 millions de personnes et s’est concentrée dans les grandes métro- poles (fig. 6.1, cahier couleur). Près de 39 % de la population vit en ville en Afrique intertropicale. Le marché africain est ainsi dominé par une population relativement jeune, et très urbanisée. Par ailleurs, cette population dispose d’un très faible pouvoir d’achat ; le niveau de vie en Afrique intertropicale reste le plus bas du monde (avec celui de l’Asie du Sud), avec un produit intérieur brut (PIB) moyen par habitant de 1 592 US$/hab. La part de la population pauvre, bien qu’en diminution, reste aussi beaucoup plus élevée que dans les autres continents : en 2013, le pourcentage de la population vivant avec moins de 1,9 US$/jour était de 41 % en Afrique intertropicale. Or, cette situation est en train de changer ; on assiste dans la plupart des pays à une augmentation rapide du pouvoir d’achat. D’un point de vue global, le PIB, c’est-à-dire la richesse créée par les économies africaines, a augmenté en moyenne de 5,1 %/an entre 2000 et 2015. Les évolutions sont cependant très variables selon les pays. La croissance du PIB par habitant, couplée à l’urbanisation, entraîne l’apparition d’une « classe moyenne » (part de la population disposant d’un revenu par habitant de 2 à 20 US$/jour). Entre 1990 et 2010, cette classe moyenne est passée de 27 % à 34 % du total de la popu- lation (OCDE/FAO, 2016). En Afrique de l’Ouest, la classe moyenne correspond à 24,7 % du total de la population en 2008, soit environ 71 millions de personnes (Hollinguez et Staatz, 2015). Cette classe moyenne, notamment la frange la plus aisée, joue un rôle important dans l’émergence de la demande en produits animaux. Ainsi, les quantités de produits animaux consommées en Afrique, bien qu’assez faibles, sont en forte hausse. La consommation de ces produits à haute valeur marchande augmente avec le niveau de vie, et ceci dans presque tous les contextes (Delgado et al., 1999 ; Bricas et al., 2016). 6. Les filières de commercialisation des produits de l’élevage 143 xxw  Les produits et leurs usages : traditions, religions, et modernité En plus du revenu, plusieurs autres facteurs conditionnent les usages alimentaires. Il s’agit de la place des produits animaux dans les cultures locales et dans les pratiques religieuses, et des formes sociales de consommation qui évoluent notamment en zones urbaines. L ’histoire agraire des différentes régions africaines explique en grande partie la place qu’occupent les produits animaux dans les régimes alimentaires africains. La consommation de la viande et des produits laitiers s’est ainsi surtout développée dans les pays où l’élevage pastoral était présent de manière significative, et où il existait donc une tradi- tion ancienne de consommation de ces produits animaux. La richesse de la « culture laitière africaine » explique que les niveaux de consom- mation du lait soient particulièrement élevés au sein des populations d’origine pastorale ; dans les grands pays d’élevage (Kenya, Mali, Mauritanie, etc.), les niveaux de consommation du lait sont trois à cinq fois ­ supérieurs à la moyenne du continent. Les religions et les fêtes traditionnelles déterminent aussi des habi- tudes de consommation des produits animaux. De nombreuses fêtes religieuses sont l’occasion de consommer de la viande et de pratiquer des abattages rituels et festifs. Chez les musulmans, la fête du mouton (Aïd El Kebir en arabe, Tabaski dans certains pays d’Afrique de l’Ouest) est l’occasion de sacrifier un animal vivant, en général un bélier. La viande issue de cet abattage est ensuite partagée, et consommée dans les foyers. Au Sénégal, chaque année, près de 700 000 moutons sont consommés à l’occasion de la Tabaski, dont 260 000 pour la seule région de Dakar. Pour les mêmes raisons, chaque année, plusieurs millions de petits ruminants sont exportés d’Afrique de l’Est vers la péninsule Arabique. Chez les chrétiens, la fête de Noël est l’occasion de consommer des viandes particulières, comme le poulet au Sénégal. Les mariages et les baptêmes sont aussi des moments privilégiés d’abat- tages rituels ou festifs, ou de consommation de viande. Les abattages rituels peuvent aussi être pratiqués pour les funérailles, comme par exemple chez les populations animistes Dowayo du Nord-Cameroun. Enfin, la religion intervient aussi dans les habitudes de consommation par les interdits alimentaires. En Afrique intertropicale, l’interdiction de manger du porc chez les musulmans est un élément déterminant, dans la mesure où l’on estime à environ 234 millions la population se revendiquant de l’islam. Dynamique des élevages pastoraux et agropastoraux 144 La compréhension des usages alimentaires nécessite aussi de prendre en compte les situations d’usages qui définissent le lieu de consom- mation, sa programmation dans le temps, et son organisation sociale. Ainsi, dans la plupart des villes africaines, la consommation se fait bien sûr au sein du ménage, mais aussi dans des lieux de restaura- tion hors domicile. L ’essor de la consommation des produits laitiers à N’Djamena est directement lié aux nombreux « bars laitiers » de la capitale (Koussou et al., 2007). De même, la hausse de la consomma- tion de viande grillée est très liée à l’essor des lieux de restauration hors domicile, tels que les cantines et les dibiteries au Sénégal. La restauration hors foyer augmente avec des activités profession- nelles de plus en plus éloignées des domiciles et la réorganisation des ménages et des modes de restauration au sein des familles touchées par la précarité. Elle est en grande partie une conséquence du grossissement des villes. Le développement des commerces de distribution alimentaire joue aussi un rôle de premier plan. Les marchés restent les lieux principaux de commercialisation de la viande et des produits laitiers traditionnels. Mais les magasins de détail, les épiceries, et les supermarchés contri- buent fortement à diffuser de nouveaux produits tels que les plats préparés à la viande, les yaourts, les céréales lactées, le lait à boire, ou les fromages (Dia et al., 2011). Dans ce contexte, de nouvelles normes de qualité apparaissent, mais elles varient selon l’organisation des circuits et les spécificités des usages locaux. On différencie les « réglementations », qui sont ­ obligatoires, et les « standards volontaires », qui sont facultatifs. xxw  Un marché de la viande en croissance, mais un net recul de la part des viandes rouges En cumulé, le disponible total1 en viandes en Afrique intertropicale est passé entre 1963 et 2013 de 2,2 à 9,6 millions de tonnes. Cette hausse a reposé en grande partie sur la croissance démographique, mais aussi sur l’augmentation de la consommation par habitant. La consommation per uploads/Geographie/ dynamique-des-elevages-pastoraux-et-agropastoraux-en-afrique-intertropicale.pdf

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