155 Les enfants d’Imana Les enfants d’Imana Histoire sociale et culturelle du R
155 Les enfants d’Imana Les enfants d’Imana Histoire sociale et culturelle du Rwanda ancien Extrait de la partie IV Les matrices du lien social Hutu, Tutsi et Twa 156 Partie IV. Les matrices du lien social Hommes se déplaçant avec leur livret d’identité mentionnant leur “catégorie raciale” (carte postale circa 1940) 157 Hutu, Tutsi et Twa Hutu, Tutsi et Twa La littérature coloniale et post-coloniale sur le Rwanda est saturée de références à la tripartition Hutu-Tutsi-Twa. Mais les études sur le sens de ces termes avant l’épisode colonial sont rares et souvent indigentes. Pourtant, il apparaît essentiel de comprendre à quoi les termes Hutu, Tutsi et Twa se référaient initialement, avant d’être absorbés et sédimentés par le discours de l’anthropologie européenne, puis réintroduits dans le vocabulaire politique interlacustre. Restituer l’histoire de ces catégories est l’objet de la présente partie : La détermination de l’extension géographique politique et culturelle de la subdivision des populations entre Hutu, Twa et Tutsi permettra de poser les les interrogations suivantes : - Cette distinction est-elle une caractéristique de l’ancienne civilisation interlacustre ? - Est-elle un phénomène propre à des espaces sociopolitiques et culturels spécifiques ? - Cette distinction recouvre-t-elle en tous lieux le même sens ? La relecture des traditions rwandaises introduira des questions relatives à l’historicité des catégories Hutu, Twa et Tutsi : - Peut-on repérer l’apparition de ces catégories et en évaluer la profondeur historique ? - S’agit-il d’ethnonyme assumé ou assigné ? En d’autres termes, s’agit- il d’identités prescrites et subies, ou au contraire auto-revendiquées et assumées ? - S’agit-il de catégories originellement distinctes l’une de l’autre ou, au contraire, de catégories d’identification corrélées, issues de processus de différenciations internes au sein d’une population ? - Est-il possible de retracer l’évolution des usages des termes « Hutu », « Twa » et « Tutsi » ? Extension du phénomène Hutu-Tutsi-Twa Les termes Hutu, Tutsi et Twa se retrouvent au Burundi comme au Rwanda avec des significations proches. Mais à ces trois catégories communes, les Barundi ajoutent une quatrième spécifiquement burundaise, celle de Ganwa qui désigne les représentants des grandes familles parmi lesquels étaient choisis les souverains et les chefs. À l’instar des Babito du Bunyoro et des Baluzi des 158 Partie IV. Les matrices du lien social régions havu et tembo, ce groupe « princier » s’attribuait la vocation naturelle de gouverner et se considérait comme différent des autres composantes de la population. Plus au sud, l’élite pastorale du Buha était communément qualifiée de « Tusi ou Tutsi », mais le vocable hutu, peu répandu, n’était généralement utilisé que comme un sobriquet par les habitants.1 Quant au terme Twa il semble inusité en giha. Dans les espaces tanzaniens à l’Est du Rwanda, l’usage vernaculaire des termes hutu et tutsi est rare. Jean-Pierre chrétien signale que le terme hutu est le nom d’un clan en pays haya.2 Jan Vansina évoque l’occurrence possible du mot tutsi en langues sumbwa, sukuma, nyamwezi, haya méridional et apparemment au Karagwe. Il précise que son usage semble marginal dans ces zones linguistiques.3 Au nord du Rwanda, les termes hutu et tutsi sont absents des langues vernaculaires, y compris dans les parties méridionales de l’Ouganda qui n’ont jamais été intégrées à l’ancien royaume nyiginya.4 En revanche, le terme omutwa se retrouve dans les langues kiga, nkore et nyoro. À l’ouest de l’espace rwando-burundais : au Bushi, au Buhavu, au Buhunde et chez les Balega Sile, on rencontre une catégorie de la population appelée par différents noms dérivés de la racine twa : « murhwa », en langue shi et havu ; mutswa en Tembo. Ces différents termes désignent généralement des groupes résidant dans les forêts qui pratiquent la chasse et la cueillette et sont souvent rattachés aux pygmées. En tembo le terme namwamitswa (banamwamitswa au pluriel) désigne une femme pygmée qui couchait rituellement avec le roi après son intronisation. On trouve dans cette région, une catégorie de « Baluzi » ou « Baluci » que certains observateurs occidentaux ont abusivement assimilé aux Batutsi, mais l’occurrence des catégories « Hutu » et « Tutsi » n’est pas avérée. Dans les langues Bantu de l’ouest du lac Kivu la racine luzi a une connotation politique de « supériorité » et de « noblesse », qui se rapproche de celle de la catégorie ganwa du Burundi. Dans ces territoires dont les chefs suprêmes s’appelaient Bami, comme au Rwanda, il semble bien qu’un corps de notables auxiliaires du pouvoir, ici nommés Batutsi et là Baluzi, occupaient des fonctions analogues. Mais, au-delà de cette analogie fonctionnelle, l’histoire du peuplement de la région, et celle des amoko que nous avons évoquée auparavant montre qu’il serait abusif de déduire une identité bio- ethnique commune des ces différents groupes. Dans l’île d’Ijwi, qui fut très temporairement rattachée au Rwanda sous 1. J. H. Scherer, 1986,« Le Buha », in M. d’Hertefelt et al., Les anciens royaumes..., p. 178. 2. Communication personnelle. 3. J. Vansina [2001, note p. 52] précise que « La distribu tion linguistique du terme [tutsi] n’est pas probante [pour déterminer son étymologie et sa profondeur historique] puisqu’il aurait pu se répandre rapidement en accompagnant un mouvement de population. ». 4. P. Kanyamachumbi, op. cit., p. 46. 159 Hutu, Tutsi et Twa Kigeri IV Rwabugiri, on rencontre également des Baluzi. Mais on ne trouve pas ici non plus d’autochtones qualifiés de Hutu ou Tutsi. Pour les îliens de tradition havu, cette différenciation n’était en outre pas pertinente pour distinguer les Rwandais entre eux : ils appelaient collectivement les migrants venus du Rwanda « Badusi », terme dérivé de Batutsi.5 Ce tour d’horizon des pays limitrophes du Rwanda permet de mesurer la diffusion assez large de la racine « twa » et la restriction de l’extension géographique des termes hutu et tutsi, dans une région africaine où les mouvements de populations, les échanges culturels et les alliances matrimoniales ont été multiples. L’historien des sociétés interlacustres Jean- Pierre Chrétien a donc avec raison qualifié le Rwanda et le Burundi de « bastion du phénomène Hutu-Tutsi ». De fait, en dehors de l’espace géographique rwandais et burundais et de leur voisinage immédiat à l’Est et au Sud, aucune région de la zone interlacustre n’a développé une telle catégorisation de la population. Dans le sillage des spéculations des explorateurs, des chercheurs ont tenté de rapprocher la distinction rwando-burundaise Hutu-Tutsi du couple Baïru-Hima que l’on rencontrait au Nkore mais cette analogie ne permet pas d’inférer une identité des organisations sociales de ces deux zones. Cette restriction de l’aire d’utilisation des identifications Hutu et Tutsi accrédite l’idée du caractère secondaire de ces catégories. L’hypothèse la plus probante est que ces catégories rwando-burundaises sont le résultat de processus de différenciations internes, au sein de communautés ayant en commun des caractéristiques historiques, politiques et culturelles qu’il reste à identifier. Les récits d’origines du Rwanda nous permettent-ils d’avancer dans la compréhension de la genèse de ces catégories ? Nous tirerons d’éventuels enseignements de ces traditions après avoir exposé les principaux mythes qui fondent l’imaginaire politique et social de l’ancien royaume rwandais. Hutu, Tutsi et Twa dans les traditions orales La datation de ce que l’on nomme sans doute improprement « traditions orales » pose un problème irrésolu à ce jour. L’occurrence des termes Hutu, Tutsi et Twa dans les récits oraux rwandais ne permet pas par elle-même d’évaluer l’ancienneté de ces termes. Dans le chapitre intitulé « Chroniques rwandaises mythiques et historiques », nous avons eu l’occasion de relever que les variations apparaissaient, dans les narrations historiques produites d’un aède l’autre, sans altérer la structure et les thèmes fondamentaux des récits. Ce constat ne permet pas pour autant de dire que les récits ibitekerezo sont la mise en forme d’une mémoire historique inchangée depuis sa formulation 5. C. Newbury, 1988, The Cohesion of Oppression: Clientship and Ethnicity in Rwanda, 1860- 1960, New York, Columbia University Press, p. 11. 160 Partie IV. Les matrices du lien social initiale au plus près des évènements narrés. Eu égard aux modalités générales de la transmission humaine, il semble raisonnable de concevoir les récits qui ont été figés par leur forme écrite, non comme le fruit d’une mémoire collective inaltérée mais comme le résultat de mises en formes successives; la forme moderne et ciselée au fil des générations de canevas mêlant schèmes symboliques immémoriaux et préoccupations contemporaines des narrateurs et de leur public. Suivant la formule de Jean-Pierre Chrétien, les textes finaux des récits historiques en général et ceux des récits de fondation en particulier, amalgament plusieurs mémoires et ils doivent être décryptés comme des palimpsestes superposant plusieurs strates narratives6. Sabizeze-Kigwa et les Ibimanuka Nous entamerons notre pérégrination « archéo-mythique » des termes Hutu, Tutsi et Twa dans l’univers des récits ibitekerezo, par l’exposition du mythe de la naissance de Sabizeze, l’ancêtre des souverains rwandais. Voici la trame de ce récit fondamental pour appréhender l’imaginaire rwandais : Sabizeze est le fils du Roi du Ciel ou Roi d’en haut, dont le nom royal est Nkuba (La Foudre), son nom personnel étant Shyerezo (La Fin Dernière, L’Aboutissement). Sa mère, l’une uploads/Geographie/ extrait-de-la-partie-iv-les-matrices-du-lien-social-hutu-tutsi-et-twa.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 18, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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