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Tous droits réservés © Département d'études françaises, Université de Toronto, 2013 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 14 nov. 2021 05:03 Arborescences Revue d'études françaises Pour une approche géopoétique du récit de voyage Rachel Bouvet et Myriam Marcil-Bergeron Lire le texte et son espace : outils, méthodes, études Numéro 3, juillet 2013 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1017364ar DOI : https://doi.org/10.7202/1017364ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département d'études françaises, Université de Toronto ISSN 1925-5357 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bouvet, R. & Marcil-Bergeron, M. (2013). Pour une approche géopoétique du récit de voyage. Arborescences, (3). https://doi.org/10.7202/1017364ar Résumé de l'article Cet article présente les bases du mouvement initié par l’Institut international de géopoétique. La dimension transdisciplinaire de ce champ de recherche et de création, fondé par Kenneth White en 1989, de même que la prédominance de certains principes tels que le nomadisme, le dehors et la critique radicale, rejoignent plusieurs préoccupations propres au récit de voyage, situé au croisement de la littérature et de la géographie. L’approche géopoétique ouvre la réflexion aussi bien sur le pôle poétique, soit le rapport intrinsèque entre le voyage vécu et l’écriture du voyage, que sur le pôle de la lecture, qui implique de prendre en considération la subjectivité du lecteur et son propre rapport au monde. L’examen de certains récits des Écrits sur le sable d’Isabelle Eberhardt (appartenant à la fois aux littératures suisse, française et maghrébine) donne l’occasion d’explorer différentes notions importantes en géopoétique telles que le paysage, la polysensorialité et le mouvement. Arborescences Rachel Bouvet et Myriam Marcil-Bergeron 4 POUR UNE APPROCHE GÉOPOÉTIQUE DU RÉCIT DE VOYAGE Rachel Bouvet et Myriam Marcil-Bergeron Université du Québec à Montréal 1. Introduction Champ de recherche et de création transdisciplinaire, la géopoétique permet de poser sur le récit de voyage un triple regard, à la fois scientifique, philosophique et poétique. Nous rappellerons tout d’abord les bases sur lesquelles le mouvement géopoétique s’est édifié en donnant un aperçu des différents travaux menés dans le cadre de l’Institut international de géopoétique fondé par Kenneth White, lequel institut s’est archipélisé à partir de 1996. La prédominance de certains principes tels que le dehors, le nomadisme et la critique radicale rejoignent plusieurs préoccupations propres au genre du récit de voyage, celui-ci étant situé au croisement de la littérature et de la géographie. L’approche géopoétique du récit de voyage que nous proposons ici accorde autant d’attention à la posture créatrice, reposant sur un rapport intrinsèque entre le voyage vécu et l’écriture du voyage, qu’à la posture lecturale, dans laquelle la subjectivité du lecteur et son rapport au monde doivent être pris en considération. L’examen de quelques Écrits sur le sable d’Isabelle Eberhardt, appartenant à la fois aux littératures suisse, française et maghrébine, donnera l’occasion d’explorer d’autres notions importantes en géopoétique telles que le mouvement, le paysage et la polysensorialité. 2. La géopoétique et le dehors Débordant des cadres de la théorie littéraire, la géopoétique est un champ de réflexion qui al- lie recherche et création tout en faisant dialoguer science, philosophie et littérature. Il s’agit de dé- cloisonner les savoirs et d’ancrer la poétique dans l’existence même afin de faire avancer la pensée. Développant depuis les années 1980 cette idée de géopoétique, le poète, essayiste et voyageur Ken- neth White a fondé en 1989 l’Institut international de géopoétique. Dans le texte inaugural de l’Institut, il souligne quelques aspects fondamentaux de sa réflexion : Arborescences Rachel Bouvet et Myriam Marcil-Bergeron 5 [La géopoétique] offre un terrain de rencontre et de stimulation réciproque, non seulement, et c’est de plus en plus nécessaire, entre poésie, pensée et science, mais entre les disciplines les plus diverses, dès qu’elles sont prêtes à sortir de cadres souvent trop restreints et à entrer dans un espace global (cosmologique, cosmopoétique) en se posant la question fondamen- tale : qu’en est-il de la vie sur terre, qu’en est-il du monde ? (White 1989, [En ligne]) L’introduction du Plateau de l’albatros (White 1994) met en évidence certains principes qui, selon White, invitent l’individu créateur à prendre sa place dans la sphère sociale, tels que le caractère col- lectif, la nécessité des échanges de même que la présence d’un motif rassembleur. C’est en partie pour cette raison que l’Institut international de géopoétique s’est archipélisé en 1996 et qu’il a donné naissance à des Centres ou Ateliers dans différents endroits de la planète. La géopoétique invite à questionner le rapport entre l’homme et la terre, à ouvrir ses sens et son intellect à l’expérience qu’offre la vie sur terre et à susciter chez lui un sentiment de présence au monde. Sans aller jusqu’à rechercher une certaine forme de transcendance, comme le faisaient les romantiques, il s’agit de den- sifier le rapport au monde à l’aide du voyage, de la marche, des lectures, etc. Ces pratiques réflexives et créatrices visent à ouvrir un lieu d’échanges concernant un intérêt commun. C’est dans ces condi- tions qu’il est possible, selon White, de parler dès lors de « culture » : Pour qu’il y ait une culture au sens plein du mot, il faut que soit présent, dans les esprits d’un groupe, un ensemble cohérent de motifs et de motivations. […] Et ce, à un niveau élevé, afin d’inviter la personne sociale à se travailler, à déployer ses potentialités dans un espace exi- geant. Là est la source d’une véritable jouissance intellectuelle et existentielle. (White 1994 : 13) Le motif central de la géopoétique est donc la Terre, comme l’indique son préfixe, géo. C’est vers lui que convergent les réflexions des membres de l’Archipel géopoétique, qui déclinent les ex- plorations géographiques, littéraires et artistiques des montagnes, des rives, des forêts, des déserts et des villes selon une logique obéissant au désir de mieux percevoir les lieux, aussi bien les paysages majestueux que ceux de l’espace quotidien, de s’en nourrir à l’aide du crayon, du pinceau, de l’appareil photo, du pied ou du regard. Comment résister à l’envie de découvrir les beautés que la terre recèle ? La géopoétique s’intéresse aux fondements d’une poétique de la vie sur terre, et considère le monde comme « ce qui émerge du rapport entre l’esprit et la terre » (White 1995 : 25). Comme le souligne White, [q]uand ce rapport est inepte et insensible, on n’a, effectivement, que de l’immonde. Pour qu’il y ait monde au sens plein du mot, un espace commun appelant à une vie dense et in- tense, il faut que le rapport soit, de la part de tous, sensible, subtil, intelligent. (White 1995 : 25) Arborescences Rachel Bouvet et Myriam Marcil-Bergeron 6 L’un des principaux questionnements en géopoétique concerne donc les conditions d’existence d’un tel lien entre l’homme et la terre. Le « champ du grand travail » qu’est la géopoétique se déploie à partir d’une prise de conscience de l’état de la culture dans laquelle évolue l’être humain, d’un constat de l’essoufflement du progrès, d’une conviction que les valeurs prônées de façon générale par l’Occident ne mènent pas là où les promesses d’avenir semblaient le guider. L’image du chemin de fer, que White transforme en « autoroute du faire », pointe un mode de pensée axé sur la rentabilité qui se trouve confronté cependant à l’épuisement des ressources, au bouleversement d’écosystèmes préexistants, ce qui fournit le socle sur lequel repose la question de White : quel est ce « monde » que nous habitons ? N’est-ce pas là aussi l’une des interrogations ayant poussé plus d’un voyageur sur les routes de l’ailleurs ? N’est-ce pas pour échapper bien souvent à « l’immonde » de ses conditions de vie habituelles et pour tenter d’accéder à une « vie dense et intense » que l’on décide de partir ? Cet appel du dehors est ressenti à la fois par les géopoéticiens et les écrivains-voyageurs : c’est ce qui constitue l’amorce de notre réflexion. Précisons tout de suite que l’approche géopoétique ne se limite pas au récit de voyage, même si ce genre a pour des raisons évidentes été privilégié jusqu’à présent, aux côtés de la poésie et de l’essai. En tant que champ de recherche et de création ouvert aussi bien à la littérature qu’aux sciences et aux arts, la géopoétique accueille des réflexions dépassant de loin le cas particulier du voyage. 3. Du voyage à l’écriture Dans la Théorie du voyage. Poétique de la géographie, Michel Onfray affirme que « [r]êver une des- tination, c’est obéir à l’injonction qui, en nous, parle une voix étrangère » (Onfray 2007 : 22). Avant le départ existe chez le voyageur un désir pour un espace autre, un désir nourri par les lectures, qu’il s’agit ensuite d’aller confronter à la réalité uploads/Geographie/ geopoetique-dans-le-recit-de-voyage.pdf
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- Publié le Dec 12, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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