Par le Colonel Michel GOYA, chef du bureau Recherche CDEF/DREX – LETTRE DU RETE
Par le Colonel Michel GOYA, chef du bureau Recherche CDEF/DREX – LETTRE DU RETEX–RECHERCHE n° 6 – 26 novembre 2013 1 l’ intervention au Tchad de 1969 et 1972 constitue la première campagne de contre- insurrection menée par les forces fran- çaises dans un pays étranger souverain mais aussi un des très rares exemples de réussite dans ce domaine. Peu médiatisée, elle reste pour- tant toujours un modèle. Sauver N’Djamena de l’offensive du Frolinat provoqués par le ressentiment d’une partie de la population, les musulmans semi-sédentaires du Centre et de l’Est du pays puis les nomades du Nord (Borkou-Ennedi-Tibesti ou BET), contre l’ethnie majori- taire chrétienne-animiste des Sara. Les Sara domi- nent l’administration depuis l’indépendance de 1960 et l’exercent souvent aux dépens des musulmans, jugés favorisés par le colonisateur français. À partir d’octobre 1965 et le massacre des collec- teurs d’impôts de Mangalmé, les tensions se trans- forment en révolte armée. L’armée nationale tchadienne (ANT), forte d’à peine 3 000 hommes, L’INTERVENTION MILITAIRE FRANÇAISE AU TCHAD (1969-1972) Premier exemple de contre-insurrection moderne réussie CDEF Centre de Doctrine d’Emploi des Forces Division Recherche et Retour d’Expérience Le succès de l’intervention au Tchad de 1969-1972 est le résultat de : • la rapidité de mise en place des forces ; • la centralisation des actions civiles et militaires sous l’autorité de l’ambassa- deur de France ; • la création d’emblée d’une structure de contre-rébellion complète avec une force de coercition, une force d’assistance mili- taire opérationnelle et une structure de réforme administrative ; • la qualité d’une force aéroterrestre très mobile ; • la fusion rapide avec le milieu ; • la limitation des objectifs à la normalisa- tion de la situation dans le pays utile. CE QU’IL FAUT RETENIR LETTRE DU RETEX–RECHERCHE n°6 26 novembre 2013 Les Lettres du Retex – Recherche sont des notes exploratoires destinées à l’informa- tion des forces. Elles n’engagent que leurs auteurs. AVERTISSEMENT 2 CDEF/DREX – LETTRE DU RETEX–RECHERCHE n° 6 – 26 novembre 2013 intervient mais ses méthodes ne font qu’attiser le mouvement de révolte. C’est dans ce contexte qu’en avril 1966, plusieurs mouvements d’opposition s’unissent à Nyala, au Soudan, pour former une organisation politico-militaire, le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), soutenu par plusieurs pays environnants le Tchad (Libye, Soudan, Répu- blique centrafricaine). En s’appuyant sur ses bases arrières au Darfour et en République centrafricaine, le Frolinat s’implante rapidement dans les provinces sud-Est du Guéra (Mongo) et du Salamat (Am Timan) où il forme la « 1re armée » auprès de l’ethnie ouaddaïenne, puis dans le BET en 1968 auprès de l’ethnie gorane (« 2e Armée »). Le Frolinat est divisé et ses deux armées, qui ne représentent que quelques milliers d’hommes, ne coordonneront jamais leurs efforts. Pour autant, la culture guerrière de ses combattants et le soutien de la population musulmane permettent au Frolinat de menacer jusqu’à Fort-Lamy (N’Dja- ména). La situation du président Tombalbaye est alors très critique. En prétextant l’aide étrangère à la rébellion, Tombalbaye invoque l’accord de défense du 15 août 1960 et l’accord d’assistance militaire technique du 19 mai 1964 pour faire appel à la France. À l’été 1968, une première opé- ration très rapide (et occultée dans les médias par l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie) permet à une compagnie parachutiste fortement appuyée par des AD-4 Skyraider de dégager le poste d’Aozou assiégé depuis plusieurs semaines. Cela n’améliore que marginalement la situation du gouvernement tchadien qui, en mai 1969, demande une aide plus conséquente. Un an après mai 1968 et en pleine campagne pour le référendum, le général de Gaulle hésite à lancer une expédition qui, quelques années après les indé- pendances africaines et la guerre d’Algérie sera désapprouvée par une partie de l’opinion publique. Le chef d’état-major des armées n’y est pas favorable au contraire de Jacques Foccart et de l’ambassa- deur à Fort Lamy, Fernand Wibaux. L’appel de plu- sieurs chefs d’État africains le décide. La France s’engagera afin d’assurer la crédibilité de sa pro- tection. Personne n’envisage alors une mission d’interposition afin de couper en deux le pays pendant des années et de « tirer la violence vers le bas ». Plus classiquement, on décide de faire la guerre au Frolinat, en s’atta- quant à ses bandes armées et en lui retirant le soutien de la population afin de permettre à une administration et une armée locales renouvelées de reprendre le contrôle de son pays. Dans l’esprit du général de Gaulle cette contre-rébellion ne doit pas durer plus de quelques mois et, autre nouveauté, n’employer que des soldats professionnels. Une organisation originale de contre-rébellion Dans sa forme, la campagne est d’abord interminis- térielle. Le ministère des affaires étrangères doit s’efforcer de convaincre les pays voisins du Tchad de cesser leur aide à la rébellion. La Défense forme une Mission militaire qui se subdivise elle-même en une force aéroterrestre pour agir directement contre les forces rebelles et une force de conseillers pour encadrer et former l’ANT. Enfin, le ministère de la coopération forme la Mission pour la réforme admi- nistrative (MRA) afin de réorganiser l’administration tchadienne mais aussi d’aller au plus près de la popu- lation pour l’aider. Bien entendu ces « lignes d’opéra- tions » parallèles vont générer des tensions entre Français et certains Tchadiens (le général Arnaud est rappelé à Paris pour s’être violemment opposé au président Tombalbaye), entre Français (qui doit gérer les milices villageoises, la mission militaire ou la MRA ?), voire même susciter des contradictions (l’arrêt des opérations dans le BET pour mieux négo- cier avec Kadhafi) mais les conflits sont arbitrés par un chef unique, l’ambassadeur de France, et l’ensemble reste cohérent du début à la fin de l’opération. L’intervention militaire française au Tchad (1969-1972) http:/ /www.fncv.com/biblio/conflits/autres/pays/tchad/ CDEF/DREX – LETTRE DU RETEX–RECHERCHE n° 6 – 26 novembre 2013 3 Outre la simultanéité des actions et leur mise en cohé- rence par une autorité unique, une autre force de l’opération est l’implication très forte des Français au sein de l’appareil administratif et militaire tcha- dien. La France considère en effet que là se trouve la racine du mal et elle impose sa réorganisation sous sa tutelle comme condition première de son aide. Confiée au gouverneur Pierre Lami, la Mission pour la réforme administrative est conçue comme une force d’assistance technique d’une soixantaine d’administrateurs civils et surtout de militaires français implantés dans les préfectures, sous-pré- fectures, voire cantons, dès lors que la sécurité est devenue suffisante. Pierre Lami est membre du Comité de défense civilo-militaire et traite directe- ment avec le président Tombalbaye tandis que les cadres de la MRA supervisent le travail des préfets. Pendant ce temps plusieurs dizaines de sous-officiers vont dans les villages pour y satisfaire les doléances (puits, pistes, greniers à mil, dispensaire, soins médi- caux, stations de pompage) et aider à la mise en place de milices de dix à vingt hommes. Du côté militaire, la France engage jusqu’à 650 cadres (en 1970) dans le centre de formation de Moussoro, pour le recyclage des compagnies d’infanterie, et l’école d’officiers à Fort-Lamy, puis à l’intérieur des différentes unités de combat. De fait, à la fin de 1969, l’ANT est une armée franco-tchadienne où beaucoup de commandants de compagnie et de chefs de section sont français, en attendant leur remplacement progressif par des cadres locaux suffisamment formés. L’ANT franco- tchadienne fournit un groupement à Abéché dans l’Est et à Faya-Largeau, la base opérationnelle pour le BET. Parallèlement à cette force d’assistance, la France engage également une force d’action directe contre les rebelles. Celle-ci présente plusieurs originalités. La première est son caractère entièrement profes- sionnel, ce qui pousse d’abord à la professionnalisa- tion « en cours d’action » du 6e Régiment interarmes d’Outre-Mer (RIAOM) en place à Fort-Lamy depuis 1965, puis à celle de troupes présentes en métro- pole. Le 3e Régiment d’infanterie de Marine (RIMa), composé d’appelés, apprend ainsi en août 1969 qu’il devra engager un groupement (on parle alors d’État- major tactique, EMT) fort de deux compagnies pro- fessionnelles pour la relève de mars 1970. Certains marsouins n’auront que deux mois de service avant de partir pour 14 mois dans ce qui est alors la mis- sion la plus dangereuse de l’armée française. Les forces terrestres françaises sont très peu nombreuses sur le théâtre. Elles sont regroupées en deux états-majors tactiques (EMT). Le premier est le 6e RIAOM de Fort-Lamy, fort de la Compagnie para- chutiste d’infanterie de marine (CPIMa) et d’un esca- dron blindé léger, sur véhicules Ferret. Le second est fourni par le 2e Régiment étranger parachutiste (REP), avec deux compagnies implantées à Mongo et Fort-Archambault (Sarh). Ces quatre unités élémen- taires seront susceptibles d’être renforcées d’un EMT venu de métropole. Même avec un soutien limité au strict minimum, l’ensemble est extrêmement réduit pour combattre 3 000 à 5 000 hommes au milieu de 3,8 millions d’habitants et sur territoire grand comme deux fois la France. Ce faible volume est compensé d’abord par l’intégra- tion d’unités tchadiennes dans les forces françaises, comme la compagnie parachutiste de l’ANT affectée au 6e RIAOM, par une grande activité, les compa- uploads/Geographie/ goya-michel-l-x27-intervention-militaire-francaise-au-tchad-1969-1972-premier-exemple-de-contre-insurrection-moderne-reussie-lettre-du-retex-recherche-n06-2013-11-28.pdf
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