mardi 26 octobre 2010 Vous pouvez contribuer à la diffusion au message d’Ishmae

mardi 26 octobre 2010 Vous pouvez contribuer à la diffusion au message d’Ishmael en aidant à la correction : si vous pensez avoir identifié une erreur de numérisation, veuillez vous rendre sur le site http://frishmael.wordpress.com à la page correspondante (voir le numéro de page inscrit au fond de la page qui ne correspond pas forcément à la page physique) et laisser votre commentaire après avoir vérifié que la correction n’a pas déjà été effectuée. Ou au moins envoyez un message à frishmael@riseup.net Merci ISHMAEL Daniel Quinn ISHMAEL L'homme une fois disparu, y aura-t-il un espoir pour le gorille ? Traduit de l'anglais (États-Unis) par José Malfi Chapitre premier 1 La première fois que je lus l'annonce, j'en fus tellement stupéfait que je jurai et jetai le journal par terre ; puis, comme si cela ne me suffisait pas, je le ramassai, me dirigeai vers la cuisine et le mis à la poubelle. Je me préparai un petit déjeuner et m'accordai quelques instants pour me calmer et penser à autre chose en mangeant. Ensuite, je retournai à la poubelle, j'y repris le journal et l'ouvris de nouveau à la rubrique des petites annonces, juste pour voir si cette fichue annonce était toujours là et si je m'en souvenais avec précision. Elle était bien là : PROFESSEUR cherche élève souhaitant vraiment sauver le monde — Répondre personnellement. Souhaitant vraiment sauver le monde ! J'aimais la formule, qui paraissait prometteuse. Souhaiter vraiment sauver le monde — oui, c'était extraordinaire! Avant midi, plus de deux cents crétins, —9— dadais, détraqués, nigauds, demeurés et tout autant de débiles mal embouchés allaient sans doute répondre à l'adresse indiquée, prêts à abandonner tout ce qu'ils possédaient en ce bas monde, uniquement pour obtenir le rare privilège de s'asseoir aux pieds d'un gourou, persuadés que dorénavant tout serait parfait, à condition que chacun se tourne vers son voisin et lui donne une large accolade. Vous allez vous demander : « Pourquoi une telle indignation ? Pourquoi une telle amertume ? » Bonne question. En fait, c'était précisément ce que je me demandais moi aussi. La réponse se trouvait dans le passé : une vingtaine d'années plus tôt, j'avais en tête l'idée stupide que ce que je désirais le plus au monde était justement de trouver un professeur. C'est vrai, je voulais un professeur, j'avais besoin d'un professeur, pour qu'il me montre comment un individu peut sauver le monde. Stupide, non ? Puéril, naïf, simpliste, infantile. Ou encore totalement idiot. S'agissant de quelqu'un par ailleurs manifestement normal, cela mérite une explication. Voici comment tout cela est arrivé. Durant la révolte des jeunes au cours des années soixante et soixante-dix, j'étais déjà assez âgé pour comprendre ce que ces adolescents avaient en tête — ils voulaient mettre le monde sens dessus dessous — et encore assez jeune pour croire qu'ils allaient réussir. Chaque matin, lorsque j'ouvrais les paupières, je pensais que le nouvel ordre du monde était — 10 — arrivé, que le ciel était plus bleu, plus clair et les prés plus verdoyants. Je m'attendais à entendre des rires et à voir les gens danser dans les rues : pas seulement les jeunes, mais tout le monde sans exception. Je ne vais pas m'excuser de ma naïveté — il suffit d'écouter les « tubes » et les rengaines de l'époque pour se rendre compte que je n'étais pas le seul dans ce cas. Et puis un jour, je devais avoir seize ans, je me suis réveillé et j'ai compris que le nouvel ordre du monde ne se réaliserait jamais. La révolte était retombée et avait été ramenée à l'état de phénomène de mode. Étais-je le seul à avoir été déçu par cette situation ? A m'être trouvé aussi perturbé ? Il me semblait que oui, car tous les autres paraissaient en mesure de passer le cap avec une grimace amère du style : « Qu'espérais-tu au fond ? Personne ne peut sauver le monde, car précisément personne ne se soucie vraiment du monde. Cette révolte apparente n'est en fait que la conséquence de vaines élucubrations formulées par une bande d'adolescents. Apprends un métier, gagne de l'argent, travaille jusqu'à soixante ans, puis va prendre ta retraite en Floride et…. meurs. » Je ne pouvais me résigner à un tel destin et, dans mon innocence, je croyais qu'il existait quelqu'un quelque part, détenteur d'une sagesse méconnue capable de dissiper mes désillusions et mon désenchantement : un professeur… Je ne recherchais pas de gourou, de maître en kung- fu ou de directeur de conscience. Je ne voulais pas devenir magicien, apprendre le zen ou le tir à — 11 — l'arc, ni méditer pour aligner mes chakras, ou encore découvrir mes incarnations antérieures. Ces arts ou ces disciplines relèvent d'un esprit fondamentalement intéressé, car ils sont tous destinés au bénéfice du seul élève — et non pas à celui du monde. Je cherchais quelque chose de tout à fait différent, mais ce quelque chose ne se trouvait ni dans les pages jaunes de l'annuaire ni dans un endroit quelconque où j'aurais pu le découvrir. Dans le livre de Hermann Hesse, Le Voyage en Orient, on ne voit jamais en quoi consiste l'impressionnante sagesse de Leo : en effet, l'auteur ne pouvait nous révéler ce que, précisément, il ignorait lui-même. Il était comme moi, il désirait seulement devenir comme Leo, quelqu'un dans l'univers, possédant une connaissance secrète et une sagesse qui le dépassent. Or il n'y a évidemment pas de connaissance secrète ; personne ne peut connaître ce qui ne peut être trouvé sur un rayonnage de bibliothèque publique — mais cela, je ne le savais pas non plus. Bref, je cherchais. Si idiot que cela puisse paraître, je cherchais — par comparaison, partir à la quête du Saint- Graal aurait eu plus de sens. J'ai cherché, cherché, jusqu'à ce qu'un jour enfin je me calme et je cesse de tourner en rond à en perdre la raison. Je m'assagis, mais quelque chose mourut en moi — quelque chose que j'aurais voulu aimer et admirer. Il n'en est resté qu'une cicatrice, refermée mais toujours douloureuse. Or voilà que, des années après que j'eus abandonné ma quête, surgissait une sorte de charlatan — 12 — qui recherchait par le biais d'une petite annonce passée dans un quotidien exactement le type de jeune rêveur que j'avais été quinze ans plus tôt. Mais cela ne suffit toujours pas à expliquer mon indignation, n'est-ce pas ? Imaginez ! Vous avez été follement amoureux de quelqu'un pendant une dizaine d'années — quelqu'un qui fait à peine attention à vous. Vous avez tenté l'impossible pour montrer à cette personne ce que vous valez, que vous êtes digne de son estime et qu'en définitive votre amour mérite d'être reconnu. Et puis, un jour, en ouvrant un journal à la page des petites annonces, vous vous apercevez que l'objet de votre amour est à la recherche d'une personne (n'importe qui) à aimer et dont il veut être aimé. Oh, je sais, ce n'est pas tout à fait la même chose! Pour quelles raisons espérer que ce professeur inconnu me contacte directement, au lieu de faire passer une annonce pour trouver un élève ? Au contraire, si c'était un charlatan, comme je le supposais, pourquoi vouloir qu'il me contacte ? Passons. Je quittais le terrain de la raison. Cela arrive, c'est permis. 2 Bien entendu, je devais me rendre sur place et vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une arnaque. Trente — 13 — secondes allaient suffire : un seul regard, l'entendre prononcer dix mots, et mon opinion serait faite. Ensuite, je n'aurais qu'à rentrer à la maison et à oublier toute cette histoire. Arrivé sur les lieux, je fus surpris de découvrir un immeuble de bureaux assez banal, occupé par de petites agences de presse des cabinets d'avocats, des dentistes, des agences de voyage, un chiropracteur et un ou deux détectives privés. J'avais espéré quelque chose de plus typique : un vieil immeuble en grès rouge, par exemple, aux murs lambrissés, avec de hauts plafonds et des volets coulissants. Je partis à la recherche du bureau n° 105 et le trouvai tout au fond, là où une fenêtre donnait sur le couloir. Il n'y avait aucune indication sur la porte. Je la poussai et entrai dans une grande pièce déserte. Cet espace plutôt inhabituel avait été obtenu en supprimant les cloisons intérieures. On en voyait encore la trace sur le parquet de chêne. Ma première sensation, d'ordre visuel, fut celle d'un grand vide. La deuxième fut olfactive : l'endroit sentait le cirque — à vrai dire, non pas le cirque, plutôt la ménagerie d'une manière indubitable mais sans que cette odeur fût déplaisante. Je jetai un coup d'œil alentour. La pièce n'était pas entièrement vide. Contre le mur de gauche il y avait une petite bibliothèque, avec une trentaine ou une quarantaine de volumes, traitant principalement d'histoire, de préhistoire et d'anthropologie. Une seule chaise tapissée se trouvait au milieu de la pièce, face au mur de droite, et semblait avoir été abandonnée uploads/Geographie/ ishmael.pdf

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