La Quête du Saint Graal Anonyme Attribuée à Gautier Map (XIIIe siècle) Traducti

La Quête du Saint Graal Anonyme Attribuée à Gautier Map (XIIIe siècle) Traduction non intégrale d’Albert Pauphilet (1922) I - Le Départ pour la Quête La cour du roi Arthur Pour la première fois le roi Artus voyait, en son château de Camaalot, tous ses chevaliers réunis. Ils étaient là, ceux qui revenaient de chevauchées lointaines et ceux que quelque amour secrète avait retenus au fond des solitudes hantées des fées. Le roi retrouvait avec joie Gauvain, son brillant neveu, toujours prêt aux entreprises de guerre et d’amour, vrai modèle de chevalerie aventureuse. Auprès de Gauvain se tenaient Gaheriet son frère, Yvain son ami, et le roi Baudemagu, souverain d’un pays fabuleux d’où l’on disait que nul voyageur n’était jamais revenu. Dans un autre groupe on voyait Bohort, qui durant une année, par gageure, avait à lui seul défendu un passage contre tout survenant ; et Perceval, l’enfant sauvage dont on faisait déjà maint récit singulier. On racontait que son père et tous ses oncles étant morts dans des combats, sa mère s’était enfuie avec lui au plus profond des forêts galloises, afin qu’il ne fût pas chevalier. L’enfant avait grandi là ; il connaissait le langage des oiseaux et des bêtes, et son épieu était aussi rapide que le regard. Mais un jour il avait vu sous les futaies passer des chevaliers d’Artus ; il les avait d’abord pris pour des anges, tant il les trouvait beaux ; puis, sautant à cru sur un cheval, avec son épieu, il les avait suivis, sans regarder derrière lui, car nul n’échappe à sa destinée. Et Perceval avait beau être devenu l’un des meilleurs chevaliers de la Table Ronde, il étonnait toujours la cour par sa naïveté autant que par ses exploits. Mais aucun des chevaliers rassemblés n’attirait plus les regards et n’était plus fêté que Lancelot du Lac. C’est que depuis des années Lancelot était l’honneur de la cour d’Artus. Plus gracieux et plus hardi qu’aucun autre, il était partout reconnu pour le meilleur chevalier du monde. Un mystère charmant s’attachait à sa personne. L’origine de sa race était si lointaine qu’on n’en connaissait plus que des fables ; il avait été élevé par les fées des eaux dans un palais d’enchantement, et son nom de Lancelot du Lac perpétuait le souvenir de cette poétique enfance. Dès qu’il avait paru à la cour d’Artus, la reine Guenièvre s’était sentie conquise par le beau héros. Un jour leurs regards se croisèrent, leurs mains s’étreignirent et l’invincible Amour les saisit tout éperdus. Et les années passèrent, sans que le charme fatal se rompe. Leur noblesse d’âme même les aveuglait. Car Lancelot puisait dans son bel amour un désir sans fin de prouesse et de gloire : d’autant plus aimé qu’il paraissait plus grand. Plusieurs fois il avait sauvé le royaume et le roi en personne ; Artus n’avait pas de compagnon plus cher. Mais la honte de cet adultère, mais la vilenie de tromper un roi loyal et confiant, Lancelot ni la reine n’y pensaient jamais. Le roi Artus sourit en regardant ses chevaliers ; comme parlant à soi-même, il murmure leurs noms à mesure qu’il les aperçoit : Lyonel, Hector, Agloval, Sagremor, Patride au Cercle d’Or... Ils sont tous inscrits, ces beaux noms glorieux, sur les sièges qui entourent la Table Ronde. Le roi Artus sourit à la pensée que pour la première fois il va voir, autour de la Table illustre, tous les sièges occupés. Certes, ce sera une assemblée de preux telle qu’aucun roi du monde n’en vit jamais. Mais soudain son visage s’assombrit. Quelle pensée amère se mêle à sa joie ? C’est que le roi a maintenant parcouru du regard toute la foule brillante qui emplit son palais ; c’est qu’il a vu tous les compagnons de la Table Ronde, mais personne d’autre. Hélas ! L’étranger, le chevalier inconnu qu’il attend, n’est pas encore venu ! Il est à la table Ronde une place qui cette fois encore restera vide. C’est celle où aucun nom n’est inscrit, celle que l’enchanteur Merlin, le mystérieux conseiller d’Artus, a réservée jadis au Héros qui doit achever les aventures du Graal. Quiconque, jusqu’à ce jour, osa s’asseoir là fut aussitôt massacré ou blessé affreusement par des mains invisibles. Pour cela on appelle cette place le Siège Périlleux. Et depuis qu’il règne le roi Artus attend tous les jours la venue du Héros prédestiné. Et la cour, et le royaume, et toute la Bretagne, attendent avec lui, dans une anxiété croissante. Car de jour en jour les merveilles du Graal se font plus nombreuses et plus inquiétantes. Aux passages des rivières, aux carrefours des routes, des guerriers venus on ne sait d’où arrêtent et honnissent les voyageurs, les châteaux abritent des bandes armées qui terrorisent le pays, enlevant les femmes, massacrant les prêtres et les moines, établissant des coutumes infâmes De tous côtés surgissent de nouveaux ennemis, qui mènent contre les sujets d’Artus une guerre sanguinaire et traîtresse, où la magie aide le crime. Les compagnons du roi, malgré leur vaillance, ne peuvent soutenir une telle lutte. Les adversaires qu’ils abattent se relèvent, les châteaux qu’ils attaquent s’évanouissent en nuées : ce n’est partout que violence, déloyauté sortilège. La terre elle-même, jadis si fertile, semble maudite : les champs ne rendent plus aux laboureurs leurs travaux, il n’y a plus de fruits aux arbres ni de poissons dans les eaux. C’est le mortel enchantement du Graal qui s’étend sur la Bretagne. En un lieu dont nul ne connaît le chemin, et où l’on ne peut parvenir que par aventure, un château se dresse, environné de sombres forêts, rempli de prodiges séculaires : c’est Corbenic, le Château du Graal. D’étranges cérémonies s’y déroulent autour du Vase surnaturel, qui répand à son gré la vie et la mort, le bonheur et le malheur. Un vieux roi y languit, les deux hanches traversées d’une blessure mystérieuse qui le prive de mouvement : c’est le Roi Pêcheur. Couché en son lit, ou bien à l’arrière de la barque où chaque jour on le porte, il ne peut ni guérir ni mourir jusqu’au jour où viendra vers lui le Héros du Graal. Alors il sera délivré de ses longues douleurs ; et avec lui toute la terre, blessée et agonisante comme lui, reviendra à la vie ; les enchantements tomberont, les fleurs refleuriront, et renaîtra la joie et la prospérité. Vienne donc le Héros inconnu, qui s’assoira au Siège Périlleux, qui guérira le Roi Pêcheur et mettra fin aux peines de Bretagne ! Chaque jour le roi Artus répète ce même vœu fervent, cependant que ses chevaliers peu à peu reculent devant la ruée des Puissances mauvaises. Aux splendeurs joyeuses de la cour d’Artus toujours l’inquiétude et le souci se mêlent... Les nappes étaient mises et l’on allait s’asseoir au dîner, quand un valet entra et dit au roi : ― Sire, je vous apporte une merveilleuse nouvelle. ― Dis-la vite, répond le roi. ― Sire, près de la rive du fleuve, au pied de votre palais, un grand bloc de pierre flotte sur l’eau : venez le voir, car je crois bien que c’est quelque aventure. Le roi descendit aussitôt pour voir le prodige et tous le suivirent. Ils trouvèrent, échoué à la rive, un grand bloc de marbre rouge ; une épée y était fichée, qui paraissait belle et riche ; le pommeau en était de pierre précieuse, ouvré à lettres d’or. Les barons s’approchant, lurent l’inscription que voici : « Nul ne me tirera d’ici, hormis celui qui doit me pendre à son côté ; et celui-là sera le meilleur chevalier du monde. » Aussitôt qu’il a lu, le roi se tourne vers Lancelot : ― Beau seigneur, cette épée est à vous de droit car nous savons bien que le meilleur chevalier du monde, c est vous. Mais Lancelot, pris d’on ne sait quelle crainte devant le mystère de cette épée, répond avec humeur : ― Non, Sire, elle n’est pas à moi, et je n’aurai pas l’audace d’y porter la main : je n’en suis pas digne ! ― Essayez pourtant, insiste le roi. ― Non, Sire, car quiconque y touchera à tort sera châtié. ― Qu’en savez-vous ? ― Je le sais, et vous verrez plus tard. Le roi s’étonne du refus singulier de Lancelot ; puis, s’adressant à monseigneur Gauvain : ― Beau neveu, lui dit-il, essayez, vous ! ― Sire, avec votre permission je n’en ferai rien puisque messire Lancelot se récuse. A quoi bon m’en mêler ? On sait assez qu’il est bien meilleur chevalier que moi. ― Vous essayerez cependant, reprend le roi, sinon pour avoir l’épée, du moins pour m’obéir. Aussitôt Gauvain saisit la poignée de l’épée et tire, mais l’épée ne bouge pas. ― C’est assez, mon cher neveu, dit le roi, vous avez bien satisfait à mon désir. ― Messire Gauvain, s’écrie Lancelot, sachez que pour ce geste vous recevrez un jour de cette épée un tel coup que vous donneriez un château pour n’y uploads/Geographie/ la-quete-du-saint-graal-texte.pdf

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