Introduction 1Cet article présente un ensemble de réflexions élaborées dans le
Introduction 1Cet article présente un ensemble de réflexions élaborées dans le contexte d’une collaboration avec des géographes et des géomorphologues spécialistes de l’étude des milieux fluviaux dont les travaux touchent à la période romaine. L’objectif est d’attirer l’attention sur le potentiel d’information qu’apportent des données archéologiques pour alimenter les réflexions sur le rôle des sociétés urbaines dans la transformation des environnements fluviaux dans l’Antiquité et l’aggravation éventuelle des risques. Faute de documentation disponible, ces thématiques n’étaient jusqu’ici abordées que pour des sociétés plus récentes, modernes et contemporaines (Allard et al., 1996 ; Allard, 2000 ; Favier et Granet-Abisset, 2000 ; Gache, 1996 ; Métaillé, 1993 ; Stouff 1993). Les indicateurs archéologiques, lorsqu’ils ne sont pas réduits à fournir des supports chronologiques aux études paléo-environnementales, apportent en effet des renseignements sur la gestion des environnements humides qui intéressent les géomorphologues attentifs aux facteurs de modifications des milieux fluviaux. L’étude archéologique permet entre autres d’étudier les réponses techniques apportées par les populations au problème de l’inondation. Le choix des différents modes de défense est interprété comme l’expression d’une certaine attitude des groupes sociaux face au risque naturel. Ces données complémentaires à l’analyse strictement géomorphologique sont encore largement sous-exploitées parce que les vestiges archéologiques témoignant d’une volonté d’aménager les zones humides et inondables restent mal connus, tandis que leur impact sur le milieu est souvent sous-estimé. 2Le cas de la ville d’Arles fournit un bon exemple de la façon dont une lecture fine des données archéologiques peut modifier l’appréhension du risque fluvial sur un site (fig. 1 et fig. 2). Les principales phases d’évolution hydrologique du Rhône au cours de l’Antiquité ont été définies à partir de l’exploitation de différentes carottes sédimentaires, dont la principale est la carotte dite « Piton » (Arnaud-Fassetta et al., 2005 ; Bruneton et al., 2001). À l’exception des années 75-150 ap. J.-C., la rive droite du Rhône fut régulièrement soumise à des inondations, avec d’importants problèmes de sapement des berges et une forte humidité des terrains adjacents. Des fouilles archéologiques effectuées à quelques mètres du site de carottage « Piton » ont montré que les zones inondables et humides identifiées par les environnementalistes avaient été densément loties, en plusieurs phases, entre la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. et la fin du IIIe siècle ap. J.-C., pendant des périodes de forte activité hydrologique (Allinne et al., 2003) (fig. 2). L’urbanisation du lit majeur fut possible grâce au recours à différentes techniques permettant de limiter le risque fluvial : endiguement du chenal entre des quais maçonnés, modes de fondation sur vides sanitaires, drainage des terrains. Fig. 1 – Carte générale montrant la localisation des sites mentionnés dans le texte. Fig. 1 – General map. Location of the sites cited in the text. Agrandir Original (png, 55k) Fig. 2 – Le risque fluvial à Arles (Bouches-du-Rhône) à l'époque romaine (fond de carte Heijmans et Sintès, 1994). Fig. 2 – Fluvial risk at Arles (Bouches-du-Rhône) during the Roman period (map from Heijmans and Sintès, 1994). Agrandir Original (png, 228k) 1 : zone de mobilité du chenal ; 2 : déplacement du chenal vers l’ouest au VIe siècle et limite de la levée de berge ; 3 : extension théorique de la crue de 20-10 av. J.-C. Les dépôts ont été identifiés sur les sites Sainte-Luce et Truchet à 4,6 m NGF ; 4 : extension de la ville du haut Empire (seconde moitié du Ier siècle – seconde moitié du IIIe siècle) ; 5 : nécropoles ; 6 : maisons des IVe-VIe siècles, quartier du cirque ; 7 : vestiges de quais. 8 : constructions sur amphores et drains ; 9 : fondations sur pieux ; 10 : murs de protection ( ?). 1 : river bed mobility zone ; 2 : westward channel migration during the 6th century, and levee limits ; 3 : theoretical extension of the 20-10 BC flood ; the deposits were identified at the Sainte-Luce and Truchet sites at 4.6 m a.s.l. ; 4 : extension of the city in the Early Empire (second part of the 1st century – second part of the 3rd century ; 5 : necropolis ; 6 : 4th-6th century houses, circus area ; 7 : dock vestiges ; 8 : amphora and drain foundations ; 9 : stake foundations ; 10 : protection walls ( ?). 3Sur la base de tels exemples, l’article s’attache à montrer de quelle façon les données archéologiques renseignant sur la défense contre les inondations à l’époque romaine nourrissent les réflexions sur les risques fluviaux de l’époque. Une synthèse des réponses techniques apportées pour permettre l’implantation de bâtiments dans des milieux humides sert de support à une discussion sur les capacités des sociétés romaines à endurer, maîtriser ou même à accentuer le risque d’inondation. Méthodologie 4Les données exploitées sont issues d’une thèse de doctorat portant sur l’impact du risque fluvial sur le développement des villes romaines (Allinne, 2005). L’enquête a reposé sur l’étude approfondie de cinq villes de la basse Provence étudiées par les archéologues et les paléoenvironnementalistes : Arles, Ernaginum (plaine d’Arles), Avignon, Orange et Riez (fig. 1). Les recherches ont examiné la gestion du risque dans le centre urbain et sur le territoire proche de ces agglomérations. La définition du contexte environnemental et la caractérisation de l’aléa (crues, mobilité du chenal, remontées de nappes phréatiques, problèmes d’évacuation des eaux) ont reposé sur les travaux des géomorphologues de la basse vallée du Rhône, attachés à la définition des paléoenvironnements récents (Provansal et al., 1999 ; Bruneton et al., 2001 ; Arnaud-Fassetta, 2002 ; 2004 ; Arnaud- Fassetta et al., 2005 ; Berger, 1996, 2001). La définition de la vulnérabilité de l’espace urbain s’est appuyée sur l’étude archéologique de la topographie urbaine et des aménagements mis en place par la société romaine pour lutter contre les inondations. Une comparaison avec les solutions développées sur d’autres sites de France, d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne a complété cette approche technique. 5Les connaissances acquises sur l’évolution des conditions hydrologiques ont été mises en parallèle avec l’urbanisation des zones inondables pour définir le poids de la contrainte constituée par le risque d’inondation sur la croissance des sites urbains et évaluer l’impact éventuel des aménagements sur l’aggravation du risque. Ce travail a pris en compte la nature du risque, la morphologie et l’importance des agglomérations, dont dépend le choix des modes de protection. 6Au sein des recherches sur l’Antiquité, l’étude n’est pas isolée, mais rejoint les travaux déjà effectués sur la Camargue (Arnaud-Fassetta et Landuré, 1997 ; 2003), la moyenne vallée du Rhône (Berger 1996 ; 2001), pour le milieu rural et sur des sites tels que Lyon (Bravard et al., 1997 ; Desbat et Lacoux, 1999), Vienne (Bravard et al., 1990 ; Le Bot-Helly et Helly, 1999), Ambrussum(Berger et al., 2004) en France ou encore en Italie avec Aquilée, en Frioul- Vénétie (Arnaud-Fassetta et al., 2003) pour le milieu urbain. Les techniques romaines de prévention du risque d’inondation 7La plupart des agglomérations romaines importantes, dont les grandes villes actuelles comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg, ou encore Rome, Londres ou Cologne sont les héritières, sont à l’origine des sites fluviaux implantés au moins partiellement dans la zone inondable. Le contrôle de la navigation et des points de passage des cours d’eau a été un élément fondamental du développement et de la réussite de ces villes, car il leur assurait la maîtrise des échanges économiques et militaires transitant par les voies fluviales et terrestres. Pour les agglomérations de moindre importance, la proximité des cours d’eau, de lagunes ou même de marais était également très recherchée pour la navigation, l’irrigation, les ressources halieutiques et la chasse. Les risques d’inondation liés aux débordements des rivières, des plans d’eau ou à la remontée des nappes phréatiques étaient reconnus et pris en compte dans l’aménagement des sites. Le choix des systèmes mis en œuvre diffère cependant en fonction de la taille et de l’importance économique et politique des établissements. Quatre ensembles de techniques ont été développés. Interventions sur le tracé des lits fluviaux 8Le détournement de cours d’eau importants n’était pas une opération fréquemment mise en place, mais elle était bien connue des ingénieurs romains. On sait ainsi par Cicéron (À Atticus, XIII, 33) que César avait conçu à Rome le projet de détourner le Tibre contre les collines du Vatican pour éliminer le méandre du Champ de Mars (Allinne et Leveau, 2002). À Orange, la rivière de la Meyne semble également avoir été déviée dans un chenal artificiel creusé autour de la ville. Le centre monumental de la colonie a été construit à l’emplacement d’un ancien lit, entièrement remblayé (fig. 3). Le recoupement d’indices archéologiques invite à attribuer cette dérivation à la période augustéenne, en même temps que la nouvelle colonie se construisait. Les travaux, en assurant l’assèchement du piémont de la colline Saint-Eutrope, autorisaient d’abord la construction du centre monumental (forum, hémicycle du temple et théâtre). Mais ils permettaient aussi de réduire l’humidité des sols et d’écarter le danger des crues dans le centre-ville. Fig. 3 – Hypothèse d'un détournement de la Meyne à uploads/Geographie/ les-villes-romaines.pdf
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- Publié le Dec 16, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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