LA CENTRAFRIQUE, DE LA RÉBELLION SÉLÉKA AUX GROUPES ANTI- BALAKA (2012-2014) :

LA CENTRAFRIQUE, DE LA RÉBELLION SÉLÉKA AUX GROUPES ANTI- BALAKA (2012-2014) : USAGES DE LA VIOLENCE, SCHÈME PERSÉCUTIF ET TRAITEMENT MÉDIATIQUE DU CONFLIT Andrea Ceriana Mayneri Karthala | « Politique africaine » 2014/2 N° 134 | pages 179 à 193 ISSN 0244-7827 ISBN 9782811111960 DOI 10.3917/polaf.134.0179 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2014-2-page-179.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Karthala. © Karthala. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) Politique africaine n° 134 • juin 2014 • p. 179-193 179 Conjoncture Andrea Ceriana Mayneri La Centrafrique, de la rébellion Séléka aux groupes anti-balaka (2012-2014) Usages de la violence, schème persécutif et traitement médiatique du conflit Cet article explore les dynamiques historiques, politiques et sociales des violences qui font rage en République centrafricaine. Le conflit centrafricain (2012-2014) oppose des groupes issus de l’ex-rébellion Séléka, qui avait pris le pouvoir en Centrafrique par un coup d’État le 24 mars 2013, et des formations d’auto-défense dites anti-balaka, qui s’en prennent aux communautés musulmanes et mettent en scène une violence extrême sur le corps de leurs victimes. Derrière le clivage religieux qui opposerait des combattants « musulmans » et des formations armées « chrétiennes » – un clivage sur lequel insistent, sans grande distance critique, les médias internationaux – l’article analyse la complexité des relations qui, depuis le XIXe siècle, caractérisent les échanges et les heurts entre les populations établies sur le territoire centrafricain et celles qui proviennent de la région tchado-soudanaise. Plus récemment, les relations complexes entre le gouvernement centrafricain et ses États frontaliers, Tchad en tête, ainsi que les revendications de groupes armés établis dans les régions frontalières entre les deux pays, ont contribué à la détérioration du climat politique et à l’émergence de revendications d’autochtonie dans une partie de la population centrafricaine. Depuis la fin 2012, la Centrafrique traverse une crise militaire, politique et sociale particulièrement grave, rythmée par l’augmentation des violences qui opposent des membres de l’ex-rébellion Séléka – qui avait pris le pouvoir par les armes à Bangui au mois de mars 2013 et qui contrôle aujourd’hui de vastes régions à l’intérieur du pays1 – et des formations d’autodéfense dites 1. Comme on le verra plus loin, la Séléka a été officiellement dissoute au mois de septembre 2013 par Michel Djotodia, l’un des chefs de la rébellion qui s’était autoproclamé président de la République après le coup d’État du 24 mars 2013. Mais cette décision n’a pas eu d’effets sur les © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) Politique africaine n° 134 • juin 2014 Conjoncture 180 « anti-balaka », montées en puissance à l’automne-hiver 2013-2014, qui s’en prennent en particulier aux communautés musulmanes établies sur le terri­ toire. Cette situation dégradée, à laquelle les missions militaires internationales déployées dans les derniers mois ne semblent pas avoir apporté de solution2, se répercute sur les populations civiles par le biais de diverses exactions, de déplacements forcés, d’assassinats et de destruction de villages, dans des contextes où font défaut les services les plus essentiels. Mais, au-delà de la chronique des événements récents, le conflit exige qu’on interroge la signification des violences qui gagnent le pays, en prêtant une attention particulière aux représentations de la force et du pouvoir, de l’au­ tochtonie et des « étrangers » partagées par une partie de la population centrafricaine. Les événements provoqués par les milices Séléka et les formations anti-balaka, ainsi que le déploiement de missions internationales, ont contribué à exacerber ces représentations et à les restructurer autour de pratiques violentes, diffuses, mais aussi largement inédites dans l’histoire centrafricaine. L’évocation d’un clivage entre « chrétiens » et « musulmans » montre bien cette articulation entre d’une part des pratiques violentes (accusations, lynchages, meurtres, représailles, déplacements forcés) et d’autre part les représentations qui les sous-tendent et qui sont le plus souvent renforcées par ces violences elles-mêmes. Cependant, la signification de ce clivage et du processus qui l’a progressivement engendré dans la société centrafricaine demeure problématique et invite à regarder bien au-delà des simples appartenances religieuses, en interrogeant le sens même que pos­ sèdent ces dénominations (chrétien et musulman, Centrafricain et étranger) aux yeux d’une partie de la population. Tâche d’autant plus difficile que les recherches qui portent spécifiquement sur l’histoire et la situation actuelle du pays demeurent globalement peu nombreuses, alors même que ce dernier se situe dans un environnement régional tumultueux, au cœur d’intérêts politiques et économiques divers et de dynamiques complexes qui redéfi­ nissent les rapports entre les puissances occidentales et leurs partenaires au sud du Sahara. formations armées qui continuent de contrôler d’importantes régions à l’intérieur du pays. Lors d’une réunion qui s’est tenue dans le Nord de la Centrafrique le 11 mai 2014, la Séléka s’est dotée d’un nouvel état-major qui s’est ensuite installé dans la ville de Bambari, à 400 km de Bangui. 2. La résolution 2127 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 5 décembre 2013 a autorisé le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) appuyée par les forces militaires françaises. La résolution 2149 du 10 avril 2014 prévoit la création et le déploiement d’une Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation en RCA (MINUSCA) qui devrait prendre, au mois de septembre 2014, le relais de la MISCA. Le 1er avril 2014, le Conseil de l’Union européenne a lancé l’opération militaire de l’UE en République centrafricaine (EUFOR RCA). © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) Andrea Ceriana Mayneri La Centrafrique, de la rébellion Séléka aux groupes anti-balaka (2012-2014) 181 Enfin, loin d’être indifférent, le rôle des médias dans la description de la crise récente soulève d’importantes questions. C’est pendant l’hiver 2013-2014, alors que la violence entre communautés se répandait dans une large partie du pays d’une manière spectaculaire3, que la couverture médiatique de ce pays longtemps marginalisé a atteint son acmé, du moins depuis la fin des années 1970, à l’époque de la destitution et du procès de l’empereur Bokassa. La multiplication de récits et la large diffusion d’images ont favorisé les simplifications et les malentendus et contribué à rendre stérile une partie des analyses proposées au public, en relayant sans grande distance critique des expressions ou des discours fréquents dans la population centrafricaine ou le milieu des diplomaties internationales, mais peu adaptés à cette crise et à son analyse. L’ambition de cet article est de suggérer des pistes utiles pour situer cette crise dans le contexte historique, politique et social dont elle procède, et de proposer – mais c’est là une hypothèse à valider par des enquêtes futures – une grille de lecture qui, en s’arrêtant sur l’origine et certaines caractéristiques des groupes armés en présence, permette d’appréhender l’extraordinaire déferlement de violence dans le pays. Les considérations et développements exposés ici ne prétendent toutefois nullement combler les lacunes dans la description des événements en Centrafrique. La pénurie d’informations fiables sur ce qui s’y passe (notamment en dehors de Bangui et au-delà des régions de l’Ouest et du Nord-Ouest, pour lesquelles on dispose de plus d’informations) se conjugue en effet, pour le chercheur, à la difficulté de solliciter des renseignements auprès d’interlocuteurs issus de familles et de communautés qui se sont déchirées et fracturées tout au long des derniers mois. Origines de la Séléka et coup d’État de 2013 Voici les faits : au mois de décembre 2012, une coalition rassemblant plusieurs mouvements armés attaque des villes du Nord de la Centrafrique, se heurte aux Forces armées centrafricaines (FACA) et entreprend une marche vers le Sud et la capitale Bangui. La « Séléka » – terme du sango véhiculaire dont le sens oscille entre « alliance » et « serment » – regroupe des mouvements politico-militaires hétérogènes, dont la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) de Nourredine Adam, l’Union des forces démocratiques 3. Je reviendrai plus loin sur certaines caractéristiques de la violence et de sa mise en scène dans le contexte centrafricain. En ce qui concerne les médias français, l’extraordinaire couverture médi- atique de la crise à partir du mois de décembre 2013 s’explique également, bien sûr, par le lancement de la mission militaire française « Sangaris » en Centrafrique. © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) © Karthala | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.178.217.146) uploads/Geographie/ polaf-134-0179.pdf

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