Vocabulaire et histoire Question de mot, mot en question : «alsacien)) ou du le

Vocabulaire et histoire Question de mot, mot en question : «alsacien)) ou du lent glissement sémantique d'allemand vers «alsacien» en passant par dialecte alémanique, allemand corrompu et incorrect, patois alsacien, dialecte et même celte Ce que l'on appelle de nos jours en français !'«alsacien», le dialecte alsacien ou encore les dialectes ou le dialecte, certains vont mê- me jusqu'à parler de langue alsacienne, et que l'on appelait ou appelle encore dans la langue même ditsch (allemand) ou Elsas- serditsch (allemand alsacien) et, de plus en plus, par traduction du français, elsassisch (alsacien) est constitué d'un ensemble de dialectes, qui parce qu'ils sont des dialectes alémaniques et franciques, sont des dialectes de l'allemand, plus précisément du haut-al- lemand. Et, à ce titre, rien ne les distingue des autres dialectes allemands. Ils consti- tuent une forme essentiellement parlée de la langue allemande, l'allemand tel qu'il se par- le en Alsace, l'allemand d'Alsace, l'allemand alsacien, l'allemand dialectal alsacien, l'al- lemand. Le mot «alsacien», nom et adjectif, n'appa- raît en langue française qu'en 1752, mais il ne devient usuel pour signifier la langue que dans la deuxième moitié du XXe siècle. 1 1 n'est devenu utile dans les pays et les régions de langue allemande de faire la distinction entre langue par- lée (dialectes) et langue écrite (alle- mand standard) que lorsque le haut-allemand ou allemand écrit est aussi devenue une langue parlée. La langue écri- te est alors appelée Hochdeutsch ou Schriftsprache. La langue parlée est appe- lée Dialekt dans les pays ou régions du Sud de l'aire allemande et Plattdeutsch ou Platt dans le Nord. Des références identitaires ont également vu le jour, par exemple Bay- ris ch, Schwabisch, Kolnisch ou Kolsch ... Mais, quelque soit la dénomination, il est toujours sous-entendu qu'il s'agit d'alle- mand et jamais dialectes et langue standard ne sont dissociés. Il en allait, et dans une certaine mesure, il en va encore de même en Alsace. Cependant d'autres réalités se sont surajoutées à ces réalités premières. 8 Land un Sproch 137 L'Alsace, région de po pula ti on allemande, étant devenue française, il devenait inac- ceptable qu'elle restât de langue allemande et nécessaire de faire passer l'allemand pour une langue étrangère. Pour cela il fallait dé- coupler les dialectes de l'allemand standard et trouver un autre nom à ces mêmes dia- lectes, un nom ne faisant aucune référence à l'allemand. C'est ainsi que ce qui est de l'allemand deviendra peu à peu dialectes alsaciens, voire patois alsaciens, puis «alsa- cien» tout court. Le temps faisant son oeuvre, les Alsaciens devaient selon ce sché- ma finir par rejeter l'allemand standard et par oublier ou ne plus accepter que leurs dialectes sont allemands, et puisqu'il ne s'agit que de pauvres dialectes, par les aban- donner. La dialectique était perverse. La réalité cependant résistera. Petite chronologie du glissement sémantique d'allemand vers alsacien En 1697, l'Intendant De La Grange, dans ses mémoires sur la Province d'Alsace, no- te que «La langue commune de la Pro- vince est l'allemande». Voilà qui est clair et qui correspond à la réalité linguistique alsacienne. En 1792, une Adresse de l'Uni- versité de Strasbourg confirme ce constat lorsqu'elle indique que «les quatre cin- quièmes des habitants du département du Haut-Rhin et la presque totalité de ceux du Bas-Rhin ont conservé leur idiome primitif Nous parlons allemand», affirme-t-elle. En 1790, le juriste alsacien Koch pose en principe qu'il «devient ... indispensable que les actes publics du plus grand nombre de citoyens soient rédigés dans la langue du pays qui est l'allemande et que les officiers publics chargés de leur rédaction connais- sent parfaitement cette langue». Dans ses mémoires la baronne d'Oberkirch (1754-1803) emploie l'expression allemand alsacien pour désigner les dialectes d"AI- sace, lorsqu'elle écrit que «le bas-breton est mille fois plus éloigné du français que ne l'est du pur saxon notre pauvre allemand alsacien si dédaigné». Cette expression est pleine de bon sens en ce qu'elle permet la distinction entre dialectes et standard et aussi parce qu'elle ne rejette pas l'appar- tenance linguistique allemande. En 1817/19, dans les Notices historiques, statistiques et littéraires sur la ville de Stras- bourg de Jean-Frédéric Hermann, apparaît l'expression dialecte alémanique: «le véri- table langage des anciens habitans de la vil- le de Strasbourg est le dialecte souabe ou alémanique». Il précise cependant que les prédicateurs se servent en chaire du haut- allemand. Il n'utilise donc pas cette ex- pression comme une arme contre l'allemand standard, comme cela sera le cas par la suite. En l'an VII (1798), l'annuaire politique et économique indique «La langue alleman- de ou plut6t un allemand corrompu est en- core l'idiome des habitants du Bas-Rhin». Ainsi, une tendance nouvelle se dessine. Il est fait abstraction du haut-allemand et, par ailleurs, les dialectes sont connotés péjora- tivement. En 1806, comme pour infirmer ces dires, le pasteur J. J. Goepp, chargé de répondre à un questionnaire du Ministre de l'Intérieur demandant notamment «Si l'on a imprimé, dans ce dialecte d'Alsace quelques opus- cules, soit en vers, soit en prose>>, relève que «En général toutes espèces d'ouvrages al- lemands qui paraissent en Alsace sont im- primés en haut-allemand. Par ce moyen et par l'instruction qui, dans les églises et dans les écoles, même dans celles de la campagne, se donne toujours en haut-allemand ... il n'en est aucun qui ne l'entende et qui ne sache l'écrire jusqu'à un certain point>>. En 1815, dans un rapport, le préfet Kerga- riou réaffirme que «la langue allemande est vraiment la seule langue du pays. On peut estimer qu'un tiers de la population au plus sait le français et que la totalité parle ordinairement l'allemand>>. En 1838, dans un article resté célèbre et in- titulé Wir reden Deutsch, Edourd Reuss écrit (traduction) «Nous parlons l'alle- mand. Sur le plan politique nous sommes français et nous voulons le rester ... La vie politique allemande ne nous dirait plus rien. .. (mais) ils ne doivent pas empêcher nos en- fants de nous parler dans la langue avec la- quelle nous avons nous-mêmes parlé avec nos pères et mères>>. En 1856, on trouve .sous la plume ·de l'Ins- pecteur d'Académie Duval-Jouve l'ex- pression patois alsacien et l'appréciation suivante «La langue du peuple est le patois alsacien qui n'est qu'un allemand incor- rect; l'allemand classique y est compris, c'dt la langue des relations écrites; c'est la langue dont la plupart des ministres des différents cultes se servent pour les instructions reli- gieuses>>. Le mot patois, que l'on utilise ha- bituellement en France pour désigner un dialecte est toujours chargé négativement. Il tend à culpabiliser ses locuteurs de ne parler qu'une espèce de sous-langue. Or, le dialecte alsacien ne peut pas être de l'alle- mand incorrect ou corrompu puisqu'il n'est pas issu de l'allemand écrit ou standard. Il lui est antérieur. C'est le haut-allemand qui est issu des dialectes. Le dialecte alsacien est tout simplement une autre forme d'al- lemand, un allemand essentiellement par- lé. Cette forme n 'est ni incorrecte, ni corrompue. Le terme patois traduit ici une certaine conception de la chose linguistique en France, à savoir :ce qui n'est point écrit ne peut être qu'impropre à l'élévation spi- rituelle. Allons donc un patois, mais que faire avec un patois ... et pourquoi garder quelque chose qui ne sert à rien ... E n 1866, le rapporteur d"un voeu du Conseil d'arrondissement de Saverne sou- haitant que les institituteurs se servent du bon allemand (=haut-allemand) et non pas du patois du pays pour l'enseignement de l'allemand déclare <<Abandonnons-en la réalÎ'sation aux conquêtes que pourra faire la langue allemande pure (=haut-allemand), se substituant, dans un avenir plus ou moins éloigné, au patois alsacien>> . Sans doute avec le temps et si l'Alsace n'était pas française l'allemand standard ce serait-il substitué progressivement aux dialectes ou pour le moins ceux-ci auraient-ils cédé du terrain à une Umgangssprache (langue de commu- nication courante) comme c'est le cas au Pays de Bade par exemple. En 1870, Michelet utilise une argumenta- tion nouvelle lorsqu'il écrit <<L'Alsacien qui, avec un patois germanique, ne comprend pas l'allemand qu'on parle à une lieue ... ». Une lieue c'est vraiment trop court, Mon- sieur Michelet, pour votre démonstration, entre Strasbourg et Hambourg des diffi- cultés se seraient certes présentées, mais pas à une lieue, et puis vous oubliez l'alle- mand standard, qui permet, permettait, à tous les dialectophones-germanophones de communiquer entre-eux. En 1912, un certain Dr E.K. utilise le mot dialecte, mais c'est pour le dénigrer: «Le dialecte est absolument impropre à expri- mer des idées quelque peu élevées». Le dia- lecte, mais quel dialecte ? Lorsque dialecte est employé seul, sans qualificatif, c'est sou- vent avec l'intention de dissimuler qu'il s'agit d'un dialecte allemand. On parle alors d'une langue dont on tait le nom. Voilà une façon de faire qui deviendra courante. Et si les Alsaciens parlent un dialecte, alors ils sont dialectophones et non pas germano- phones. Parce que s'ils étaient germano- phones, oh malheur, cela engloberait aussi l'allemand standard. Voilà l'astuce. Un autre sous-entendu deviendra tout aussi courant: puisque les dialectes sont si peu uploads/Geographie/ question-de-mot-mot-en-question-alsacien-ou-du-lent-glissement-semantique-d-x27-allemand-vers-alsacien-en-passant-par-dialecte-alemanique-allemand-corrompu-et-incorrect-patois-alsacien-dialecte-et-m.pdf

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