LES DIALECTES DE WALLONIE : PRÉSENTATION ET ILLUSTRATION ESTHER BAIWIR Abstract
LES DIALECTES DE WALLONIE : PRÉSENTATION ET ILLUSTRATION ESTHER BAIWIR Abstract. The Romance part of Belgium is generally considered to be a true “linguistic laboratory”. Throughout the presentation of its different dialects (Walloon, Picard, Gaumais, Champenois), we will try to explain why the Linguistic Atlas of Wallonia (Atlas linguistique de la Wallonie – ALW) and the dialectal texts which we will present allow the curious reader to form an idea about this. INTRODUCTION Après avoir brièvement présenté la Belgique et plus particulièrement sa partie romane (1), nous décrirons la situation linguistique de ce territoire (2). L’outil majeur permettant d’affiner la connaissance linguistique que nous en avons est l’Atlas linguistique de la Wallonie (ALW), dont nous retracerons la genèse et l’évolution jusqu'à aujourd'hui (3). Quelques notices de l'ALW serviront d’illustration au fil du texte1. 1. LA BELGIQUE : PETIT PAYS, GRANDE COMPLEXITÉ Le cas de la Belgique n’est pas simple. Ainsi, son territoire se découpe en communautés (française, flamande et germanophone) ou en régions (wallonne, flamande et de Bruxelles-capitale), ces réalités ne se superposant pas l’une à l’autre, et ne correspondant qu'imparfaitement à la répartition des usages linguistiques des trois langues nationales: le français au sud, le néerlandais au nord, l'allemand dans une petite frange à l’est2. 1 Nous tenons à remercier chaleureusement Marie-Guy Boutier pour sa relecture attentive et ses conseils judicieux. 2 V. Le Français en Belgique, D. Blampain, A. Goosse, J.-M. Klinkenberg, M. Wilmet (éds.), Louvain-la-Neuve, Duculot, 1997. RRL, LIII, 1–2, p. 187–204, Bucureşti, 2008 Esther Baiwir 2 188 Carte 1: La Belgique (régions, provinces et villes)3. Quant à la partie romane du territoire, ce sont cinq provinces (le Hainaut, le Brabant wallon, les provinces de Namur, de Liège et de Luxembourg), lesquelles se subdivisent en 19 arrondissements et représentent trois millions et demi d'habitants quand la Belgique en compte 10 millions et demi au total4. Si aujourd'hui, une grande majorité des habitants de la Wallonie a le français pour langue maternelle, on sait qu’il y a à peine 100 ans, la population était majoritairement composée d’unilingues wallons. Cette évolution, pour rapide qu’elle soit, ne peut se réduire à une seule cause. On sait cependant qu’un facteur a été déterminant: celui de l’imposition de l’instruction obligatoire, en 1914. En effet, les dialectes se sont vu refuser l’entrée des écoles. Ils ont dès lors perdu progressivement une bonne part des situations communicationnelles dans lesquelles ils étaient employés, ce qui a entraîné la rupture du processus de transmission naturelle au sein du foyer. Ont participé au même processus de disparition l’industrialisation qui a suivi la seconde guerre mondiale, l’évolution des modes de vie, le développement des médias, etc. Aujourd’hui, le dialecte s’acquiert aussi souvent à des cours, des tables de conversation, des troupes de théâtre, qu’auprès des parents ou des grands-parents5. 3 Carte issue de http://cartotheque.free.fr/ 4 Données issues de www.belgium.be et de www.wallonie.be. 5 V. M. Francard, « Aspects sociolinguistiques. La vitalité des langues régionales en Wallonie. Les parlers romans », in Limès, 1, Bruxelles, Traditions et Parlers populaires Wallonie-Bruxelles, 1992, 11–23. 3 Les dialectes de Wallonie 189 Il est difficile d’évaluer la vitalité actuelle des dialectes, et tout à fait hasardeux d’avancer des chiffres. Cette vitalité varie en fonction du dialecte (v. 2.1.). Le gaumais est sans doute le parler le plus menacé, suivi du picard puis du wallon, qui semble résister le mieux, bénéficiant sans doute de l’aura du liégeois, représenté par une littérature, des dictionnaires, des institutions6. 2. LA BELGIQUE, VÉRITABLE LABORATOIRE LINGUISTIQUE Par bonheur, un large corpus de mots et de phrases en dialecte, recueilli par Jean Haust et ses successeurs, offre une source d’information exceptionnelle sur l’ensemble des parlers de la Belgique romane. C’est grâce à ce corpus, et à l’Atlas linguistique de la Wallonie, qui publie et analyse ces matériaux, que l’on continue à étudier ces parlers, que nous présentons brièvement ci-dessous. « Dans l’ensemble du monde romanisé, la Wallonie occupe une situation remarquable : c’est la contrée la plus septentrionale qui ait adopté et conservé le langage des Romains. Poste avancé de la culture romane, sa destinée séculaire fut de supporter, de deux côtés à la fois, la poussée ininterrompue des Germains et d’être, entre la France et les pays flamands, néerlandais ou bas allemands, le principal centre d’échange des choses et des mots. De Dunkerque à Luxembourg, sur une longueur de plus de trois cents kilomètres, les langues romane et germanique ont exercé l’une sur l’autre une influence profonde et continue. On comprend dès lors quel est le rôle important de notre région au point de vue linguistique, et aussi combien il est naturel que nos dialectes, de souche foncièrement latine, se trouvent imprégnés d’éléments tudesques » (Haust, dans : DL : XIII). Ainsi est décrite la Wallonie par un des premiers dialectologues illustres de Belgique, Jean Haust, connu pour son Dictionnaire liégeois, dont est extraite la citation ci-dessus, et surtout pour son enquête de terrain, qui donnera naissance à l’ALW. 2.1. Les grandes divisions dialectales Au sein même du domaine roman, on distingue traditionellement quatre dialectes principaux: le picard à l’ouest, le gaumais, variété de lorrain, au sud, le champenois, parlé dans quelques localités des anciens cantons de Bouillon et de Gedinne 7 et le wallon dans le reste du domaine, se subdivisant lui-même en plusieurs variétés (le liégeois ou est-wallon, le namurois, le wallo-picard ou ouest- wallon et le wallo-lorrain ou sud-wallon). 6 Id. 7 Ces trois parlers se prolongeant largement en France. Esther Baiwir 4 190 Pour préciser les limites de ces différents parlers, on a parfois choisi un trait particulièrement différenciateur – par exemple, le traitement du suffixe latin - ĔLLU, fr. -eau (v. carte 2)8. Celui-ci oppose le picard -iô (et variantes), le namurois -ia, le liégeois -ê et le gaumais -î ou -îé. Carte 2: Isoglosses du traitement de -ELLU. Une autre possibilité s’est offerte aux linguistes lorsqu’ils ont pu bénéficier des premières cartes de l’Atlas linguistique de la Wallonie. Ainsi, en 1955, l’américain E. Bagby Atwood reporte sur une carte toutes les isoglosses du tome 1 de l’ALW, sans exception 9. Après élimination des faisceaux de moins de 10 isoglosses, l’auteur présente une carte de synthèse, où la quantité des isoglosses se marque par la largeur du trait (Carte 3). Avec la même technique, mais en choisissant les isoglosses en fonction de leur importance linguistique et historique cette fois, Louis Remacle dresse en 1972 une carte basée sur 22 traits phonétiques et 10 traits morphologiques10. Le résultat obtenu (carte 4) est étonnamment similaire. 8 Carte issue du PALW II, 2. 9 Carte issue de E. Bagby Atwood, « The phonological divisions of Belgo-Romance », 367–389. 10 Carte issue de Louis Remacle, « La géographie dialectale de la Belgique romane », in Les dialectes de France au moyen âge et aujourd’hui, 310–335. Les étiquettes sont de nous. 5 Les dialectes de Wallonie 191 Carte 3: La segmentation dialectale selon E.B. Atwood. Carte 4: La segmentation dialectale selon L. Remacle. Esther Baiwir 6 192 De ces deux travaux, il ressort que les deux aires les plus homogènes sont celles du liégeois et du namurois; le reste du domaine est passablement morcelé. Les frontières les plus nettes séparent le sud-wallon du gaumais et le liégeois du namurois. Un phénomène intéressant est le passage tout à fait progressif du wallon au picard. On le voit, en Belgique comme ailleurs se pose donc la question suivante: qu’est-ce qui fait l’identité d’un parler ? Comment définir celui-ci par rapport à ses voisins ? Tentons donc de déterminer les traits essentiels des différents parlers de la Belgique romane, ou plus précisément ce qui les rapproche et ce qui les différencie les uns des autres. 2.2. Quelques traits distinctifs11 Les trois dialectes principaux de la Belgique romane ont chacun des particularités qui leur sont propres. Ils ont également de nombreux points communs, donc certains les opposent au francais. Il s'agit par exemple des traits suivants: – conservation des groupes [l, m, n] + [r, l] vs recours à l'épenthèse en français: wall. moûre vs fr. moudre (< lat. MOLĔRE), wall. èssonle, èsson.ne, pic. insan.ne, gaum. assène vs fr. ensemble (< lat. INSĬMUL) ; – conservation (ou amuïssement) du [w] d’origine germanique vs évolution en g- en français: wall. wèsse, wèspe, pic. wèpe, gaum. wape vs fr. guêpe (< francique WESPA), wall. wayin vs fr. regain (type préfixé; < francique *WAIDA). Voyons à présent les caractéristiques propres de chaque parler. a. Le picard – maintien de [k, g] + [a]: pic. câr, côr vs wall. tchâr, tchôr, fr. char (< lat. CARRUS), pic. gambe vs wall. djambe, djâbe, djan.me, fr. jambe (< lat. GAMBA) ; – palatalisation en [š] de [k] devant [e, i]: pic. chène vs wall. cinde, cène, gaum. çade, fr. cendre (< lat. *CĬNERE), pic. chinq´, chonq´ vs wall. cinq´, céq´, gaum. cè…q´, fr. cinq (< lat. vulg. CĪNQUE) ; – traitement du suffixe lat. -ĔLLU en -iô (et variantes -iéo, -eû...; v. carte 2): pic. capiô vs wall. tchapê, tchapia, fr. chapeau (< lat. CAPPĔLLUS) ; – désinence atone uploads/Geographie/ rrl-1-2-2008-baiwir.pdf
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- Publié le Oct 22, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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