141 décembre 2007 n° 4 La ville constitue depuis longtemps une catégorie spatia

141 décembre 2007 n° 4 La ville constitue depuis longtemps une catégorie spatiale fondamentale de la réflexion que les sociétés humaines cherchent à porter sur leur avenir ou, mieux encore, sur leur devenir, ce travail de la pensée s’étant souvent manifesté par son caractère atemporel. La dimension urbaine s’est ainsi installée, quoique de façon très schématique, au cœur des utopies sociales de la Renaissance et de l’âge classique (Antoine, 2001), de l’Amau- rote de Thomas More au Paris des années 2240 de Louis-Sébastien Mercier, en passant par la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon. Plus récem- ment, les préurbanistes et les urbanistes, ainsi que Françoise Choay les a désignés, ont au cours des XIXe et XXe siècles œuvré à décrire de nouveaux modèles de villes et de sociabilités urbaines, les uns en réaction à l’aliénation de l’homme par la civilisation industrielle – les progressistes –, les autres en souvenir d’une société urbaine perdue, celle de la cité antique appréhendée comme symbole d’une totalité sociale harmonieuse – les culturalistes (Choay, 1965). En marge de ces approches philosophiques et politiques qui ont plus ou moins inspiré les architectes et les urba- nises du siècle passé, le genre littéraire de la science-fiction a également nourri une approche futuriste de la ville, depuis les pères fondateurs que furent Jules Verne (Les 500 Millions de la Bégum) ou H.G. Wells, jusqu’aux auteurs les plus contemporains du cyberpunk et du streampunk, en passant par les quelques grands romanciers pessimistes du siècle passé, bien connus du grand public, que furent notamment Aldous Huxley et George Orwell (Jonas, Lapierre, 2002). Paradoxalement, la prospective, discipline pourtant dédiée à l’exploration pragmatique des futurs possibles, a dans l’ensemble assez tardivement porté sur des villes singulières, à l’exception toute- fois des projections démographiques réalisées en amont des plans urbains et qui, même déclinées en scénarios contrastés, ne peuvent être que difficilement désignées comme de la prospec- tive1. Les premières échelles géographiques de la prospective territoriale, du moins en France, furent dès les années 1960 l’espace national, à travers notamment les travaux du SESAME, puis les espaces régionaux à partir des années 1990 (Musso 1. C’est notamment le cas des projections démographiques élaborées en amont du SDAURP (schéma directeur d’aména- gement et d’urbanisme de la région de Paris) puis du SDRIF (schéma directeur de la région Île-de-France). La prospective urbaine est-elle soluble dans le marketing territorial? Réflexions sur l’évocation du futur dans la promotion de la ville Expériences de prospective Philippe Thiard université Paris-XII thiard@univ-paris12.fr : 9 g y 142 Territoires 2030 La prospective urbaine est-elle soluble dans le marketing territorial ? 2006; Goux-Baudiment, 2001), l’entrée des villes en prospective coïncidant surtout avec l’émergence de la planification stratégique dont certains auteurs font remonter les origines aux années 1980 dans les pays anglo-saxons (Padioleau, Demesteere, 1992), avec une diffusion ultérieure en Europe continen- tale (Bouinot, Bermils, 1995). Cet effacement ou cette atténuation du lien privi- légié entre la ville et la projection futuriste des sociétés se retrouve dans le champ pourtant proli- fique du marketing territorial. La communication des villes, en plein essor depuis vingt ans et dont la dimension promotionnelle constitue une des trois finalités1 (Pailliart, 1993), est en effet assez peu portée à l’exploration de cet horizon temporel, trois champs conceptuels se trouvant plus régulièrement plébiscités: la couleur – paysages, monuments, patrimoine, ce qui privilégie l’approche historique ou rétrospective –, le caractère – écho des valeurs et du tempérament des sociétés locales –, l’in- ventaire – énumération d’atouts et d’avantages comparatifs2. Pourtant, deux actualités récentes du marketing urbain viennent bousculer cette affirma- tion un peu rapide. La première fait référence à une campagne de communication remarquée, celle de la communauté d’agglomération d’Amiens qui, à l’automne 2006, autour de quatre thèmes (aména- gement, environnement, cadre de vie; dévelop- pement économique, vie culturelle, enseignement supérieur et recherche), a projeté la ville dans une trentaine d’années, entre 2024 et 2038. Plus média- tisée encore, la seconde actualité concerne un événement urbain majeur de la métropole lilloise, Lille 3000, nouvelle biennale destinée à prendre le relais de Lille 2004, qui pendant un an consacra la cité nordiste, capitale européenne de la culture. Ces références explicites aux horizons temporels de la prospective sont bel et bien inédites dans le 1. Avec le service (renseignements sur la vie quotidienne locale), le répertoire (présentation du cycle de la vie locale ponctué des mêmes événements récurrents: rentrée scolaire, fêtes, manifestations sportives, etc.) 2. Ces trois champs sont évoqués par les professionnels de la communication interrogés par Hélène Cardy dans son ouvrage sur la construction de l’identité régionale (Cardy, 1997). domaine très balisé du marketing territorial iden- titaire, habituellement plus porté à la mobilisation de certains poncifs synchroniques ou atemporels (la situation géographique, la qualité de vie, le dynamisme...). Préfigurent-elles de nouvelles formes de reconnaissance ou d’avancées de la prospective territoriale ou sont-elles une pure contingence révélatrice d’une diversification des pratiques discursives de la communication promo- tionnelle? Ont-elles des points communs avec d’autres «mises au futur» des villes (utopie, fiction, prospective) ou obéissent-elles aux règles propres du marketing territorial (positionnement, diffé- renciation) qui conduiraient ici à une instrumen- talisation formelle et fortuite du temps long des horizons usuels de la prospective? Lille 3000 et Amiens vit ses rêves: un goût de prospective... Avant de présenter ces deux manifestations récentes du marketing urbain, un retour sur les relations ambiguës, imprécises et embarrassées du marketing territorial au futur, permettra de bien comprendre le caractère original des deux opérations abordées dans cet article. À l’origine, le futur abstrait de la communication territoriale promotionnelle Les premières grandes campagnes de promo- tion économique de villes remontent en France aux années 1980. Montpellier a été ainsi une des premières grandes agglomérations françaises à s’engager dans une telle démarche, avec un slogan demeuré célèbre et véhiculant une image désor- mais associée à l’identité urbaine de la métropole languedocienne: «Montpellier la surdouée». Cette même campagne est également à l’origine d’un stéréotype, «l’avenir», qui depuis lors caractérise la référence au futur de nombreuses actions de marketing territorial identitaire. Le thème «modèle d’avenir» a en effet permis de préciser le slogan principal choisi par Montpellier en donnant une : 9 g y 143 Expériences de prospective décembre 2007 n° 4 portée téléologique aux attributs supposés de la ville (surdouée, méditerranéenne, en avance, inspirée, nature) et en amplifiant le procédé de personnification par ailleurs concrétisé par l’incar- nation de la cité dans une petite fille aux multi- ples talents (violoniste, scientifique, femme d’af- faires...)1. Avec cette approche promotionnelle de la communication territoriale de développement économique, l’horizon des futurs urbains a été pour 1. Cette campagne promotionnelle est notamment analysée par Muriel Rosemberg dans son ouvrage sur le marketing urbain (Rosemberg, 2000). &4*/% #*9& * *$#"*/  , '- 1 ? %. .@ & ) .1. ,  # * &#*   1.&. ."'. &%1 1& %%.5.1.4 ** #" , ,# ""  -). " .%.&$ .  .@  ..'&%. G 2.G)*%. . .@  )  . . @ & ) .  . .&   % . ) @ . .& .@). . % <. 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