Orwell Anarchiste Tory Cinquième édition DU MÊME AUTEUR Orwell anarchiste tory,
Orwell Anarchiste Tory Cinquième édition DU MÊME AUTEUR Orwell anarchiste tory, Climats, 1995, nouvelle édi- tion 2000. Les Intellectuels, le peuple et le ballon rond, Climats, 1998, nouvelle édition 2003 et 2010. L’Enseignement de l’ignorance, Climats, 1999, nou- velle édition 2006. Les Valeurs de l’homme contemporain (avec Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner), éditions du Tricorne-France Culture, 2001. Impasse Adam Smith, Climats, 2002 ; Champs, 2006. Orwell éducateur, Climats, 2003. L’Empire du moindre mal, Climats, 2007 ; Champs, 2010. La Double Pensée, Champs, 2008. Le Complexe d’Orphée, la Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, Climats, 2011 ; Champs, 2014. L’Âme de l’homme sous le capitalisme, postface à La Culture de l’égoïsme – Discussion entre Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis, Climats, 2012. Les Mystères de la gauche : de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, 2013 ; Champs, 2014. Le plus beau but était une passe, Climats, 2014. La Gauche et le Peuple (avec Jacques Julliard), Flammarion, 2014 ; Champs, 2017. Notre ennemi le capital, Climats, 2017 ; Champs, 2018. Le loup dans la bergerie, Climats, 2018 ; Champs, 2019. Jean-Claude Michéa Orwell Anarchiste Tory Postface inédite de l’auteur « Orwell, la gauche et la double pensée » © Climats, un département des éditions Flammarion, 1995, 2000, 2003, 2008, et 2020 pour la présente édition. ISBN : 978-2-0802-4028-6 Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles. William Shakespeare NOTE DE L’ÉDITEUR Les œuvres d’Orwell à l’exception de 1984 sont ici citées d’après l’édition anglaise The Collected Essays, Jour- nalism and Letters of George Orwell, Penguin books (4 volumes, 1970). La première édition de Orwell, anarchiste tory date en effet de 1995, date à laquelle la traduction française de ces quatres tomes était à peine engagée. Ce problème de traduction des essais de George Orwell en France est depuis réglé. Nous avons toutefois choisi avec l’auteur de conserver sa traduction, mais nous renvoyons naturellement le lecteur aux quatre tomes parus depuis. Les références utilisées dans le présent ouvrage corres- pondent quant à elles à l’édition originale de ces textes, présentée de la manière suivante : C.E. 1 : An Age Like This, 1920-1940 C.E. 2 : My Country Right or Left, 1940-1943 C.E. 3 : As I Please, 1943-1945 C.E. 4 : In Front of Your Nose, 1945-1950 Les notes appelées par une lettre se trouvent à la fin de chaque chapitre et peuvent être lues indépendamment. LE SENS DE LA LIBERTÉ, ET DONC DU LANGAGE I La construction méthodique et patiente d’une nouvelle manière de parler est un des aspects les plus déroutants de l’univers décrit dans 1984. Mais il s’agit aussi d’un aspect essentiel s’il est vrai, aux yeux des maîtres de l’Océania, que « la Révolution ne sera complète que le jour où le langage sera parfait 1 ». Cette perception du rôle joué par le langage dans l’institution d’une société totalitaire est incontestablement l’un des axes majeurs de la philosophie politique de George Orwell 2. On ne peut cependant pas dire 1. Gallimard, « Folio », traduit par Amélie Audiberti, p. 80. 2. Ce mot doit être employé avec précaution, s’agis- sant d’un auteur dont la méfiance à l’égard des discours abstraits l’amena un jour à écrire que « la philosophie devrait être interdite par la loi » (lettre à Richard Rees, 3 mars 1949, C.E. 4, p. 539). 13 ORWELL, ANARCHISTE TORY que les conséquences en soient toujours bien mesurées. La raison principale, à mon avis, est que nous avons l’habitude de lire 1984 en igno- rant tranquillement les cheminements intellec- tuels qui l’ont précédé et qui seuls peuvent éclairer la complexité de son sens. Une apprécia- tion exacte de l’œuvre orwellienne suppose donc le rappel de quelques données indispensables. II Orwell n’a jamais éprouvé la moindre fascina- tion pour le mythe soviétique et ceci le distingue suffisamment d’une grande partie des intellectuels de son temps. L’influence d’un Marx semble même n’avoir joué aucun rôle dans sa conversion (assez tardive) au socialisme 1. Cette dernière est fondamentalement la conséquence du séjour effectué à Wigan Pier, en 1936, et de la découverte qu’Orwell y fit de la condition ouvrière ; décou- verte dont Simon Leys résume parfaitement l’essence en écrivant qu’elle fut « immédiate et intuitive mais aussi définitive et totale 2 ». L’adhé- sion d’Orwell aux valeurs de la Gauche doit donc très peu aux séductions du langage. Elle est plutôt 1. Si influence il y a, elle s’arrête au fait qu’Orwell avait baptisé son caniche noir « Marx ». 2. Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique, Paris, Plon, nouvelle éd., 2006. 15 ORWELL, ANARCHISTE TORY l’effet d’une sorte de communion originaire, opé- rée dans l’ordre sensible et n’ayant pas exigé une médiation particulière des mots existants A. Si Orwell s’est trouvé ainsi préservé de la ten- tation stalinienne, il faudra cependant l’épreuve espagnole pour qu’il ressente l’obligation d’en dénoncer la nature. Dans le Barcelone de mai- juin 1937, l’occasion lui fut en effet offerte (qui n’est pas fréquente pour un écrivain occidental) d’observer, dans des conditions d’une pureté expérimentale presque absolue, l’essence du « socialisme réel ». On aurait tort, néanmoins, sur la foi d’écrits plus tardifs (par exemple Why I Write, 1946) de faire remonter à cette époque sa prise de conscience du phénomène totalitaire. Ses lettres à Geoffrey Gorer expriment très exactement le niveau des conclusions qui étaient alors les siennes. D’une part il estime, avec Franz Borkenau, que « le Parti communiste est maintenant le principal parti contre- révolutionnaire 1 ». Mais de l’autre il précise : « Après ce que j’ai vu en Espagne j’en suis venu à la conclusion qu’il est vain de vouloir être “antifasciste” tout en essayant de préserver le capitalisme. Le fascisme, après tout, n’est qu’un développement du capitalisme, et la démocratie 1. Août 1937, C.E. 1, p. 314. 16 LE SENS DE LA LIBERTÉ ET DONC DU LANGAGE la plus libérale – comme on dit – est prête à tourner au fascisme à la première difficulté […]. Si quelqu’un entendait collaborer avec un gou- vernement capitaliste-impérialiste dans le cadre d’une lutte “contre le fascisme” (c’est-à-dire en fait contre un impérialisme rival) il ne ferait que permettre au fascisme de rentrer par la porte de derrière 1. » Autrement dit, si Orwell est désormais en mesure d’affirmer que l’intransigeance envers les staliniens est le préalable de toute politique socialiste, il conserve intacte sa foi dans les para- digmes historiquement constitués de la gauche révolutionnaire, comme en témoigne encore sa tendance à répéter un peu partout qu’il n’y a en fin de compte entre la « démocratie bourgeoise » et le fascisme que la différence qui sépare Twee- dledum et Tweedledee. Or le fait de refuser à la fois le fascisme et le stalinisme – même s’il est plutôt rare à l’époque – ne permet nullement à lui seul de comprendre la nature du totalita- risme. Pour former une « idée adéquate » de ce dernier, il faudrait en construire une définition génétique 2, c’est-à-dire une définition qui ne 1. Septembre 1937, C.E. 1, p. 318. 2. Selon le modèle établi par Spinoza dans le Traité de la réforme de l’entendement. 17 ORWELL, ANARCHISTE TORY permette pas seulement de décrire la plupart de ses propriétés mais qui énonce leur cause et for- mule la loi selon laquelle cette cause produit ses effets. Faute d’une telle définition Orwell n’est encore en 1937 qu’un gauchiste intelligent, plus radical certes que les trotskistes (il ne se raconte pas d’his- toires sur l’« État Ouvrier dégénéré ») mais en retrait sur Borkenau dont il critique la propension croissante à s’éloigner des schémas de la gauche révolutionnaire 1. Or la construction d’une théo- rie anti-totalitaire cohérente suppose précisément qu’on ait saisi ce qui, dans le fonctionnement idéo- logique de la Gauche constituée, peut conduire (et dans certaines conditions, conduit nécessaire- ment) à l’édification de ces sociétés où elle ne songe pas à se reconnaître B. L’intelligence du fait totalitaire implique donc que l’on sache compléter la condamnation de ce qui, dans le modèle initial, a été « perverti » (tra- vail qui, avec le temps, est à la portée de n’importe qui) par une interrogation critique sur le modèle lui-même. Et il faudra à Orwell beau- coup plus que l’expérience espagnole pour en arriver là. 1. New English Weekly, septembre 1938, in C.E. 1, pp. 385 à 388. Notes [A] ... n’ayant pas exigé une médiation particulière des mots existants. Comme plus tard la relation fugitive, muette et cependant si marquante avec le jeune milicien italien rencontré dans la caserne « Lénine » à Barcelone 1. Cette capacité de ne bien communiquer qu’au-delà des mots, et dans des conditions très privilégiées, doit assurément être mise au compte de la timidité de l’homme. Mais elle tient peut-être aussi à ce qu’il y a d’irréductiblement anglais dans Orwell : on songe à la merveilleuse définition, donnée par Borges, de ces « amitiés anglaises qui commencent par exclure la confidence et qui bientôt omettent le dialogue ». uploads/Geographie/4b4fa839b8fa088ab726865a82e8dadfe921e0.pdf
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- Publié le Fev 03, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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