121 Le français employé dans le rap: menace ou chance? Comparaison avec la poés

121 Le français employé dans le rap: menace ou chance? Comparaison avec la poésie Mamadou DRAMÉ Université Cheik Anta Diop de Dakar, Sénégal Assane NDIAYE Lycée Djignabo de Ziguinchor, Senegal Abstract: Nowadays, no one can deny the dramatic influence rapping has on young people. It has evolved over time adopting its own norms, values and language. The article deals with the analysis of the peculiarities of rap lan- guage as compared to poetry. The authors highlight the similarities existing bet- ween the two and suggest using rap at the lesson of French to develop the lin- guistic, communicative and cultural competences. They argue that rapping would enhance the process of learning making it more agreeable. Keywords: rapping, rap language, poetry, French learning, code mixing. 1. Introduction L’intégration du rap dans le programme de français obéit dés lors à un impératif: mettre l’apprenant au centre de la situation d’enseignement-apprentissage. Ainsi, l’élaboration d’un programme de français devrait toujours être la résultante d’un souci: proposer un enseignement approprié aux réalités socio- culturelles. C’est ainsi que la Commission Nationale de Français, en mai 1995, avait suggéré que le rap soit intégré dans le pro- gramme de français, conforté en cela, par la loi d’orientation de l’éducation nationale assigne à l’enseignement du français le Mamadou Dramé & Assane Ndiaye – Le français employé dans le rap… 122 développement de trois compétences distinctes mais complé- mentaires: – La compétence linguistique: il s’agit de permettre à l’élève de maîtriser la langue française qui est la langue de l’en- seignement et de l’administration. – La compétence communicationnelle: il faut que l’élève soit capable de s’exprimer correctement dans la langue en tenant compte des situations de communication. – La compétence culturelle: l’élève doit pouvoir se situer dans son monde: dans son pays le Sénégal, dans son continent l’Afrique, dans son univers la Francophonie. Enfin, de plus en lus, le centre de l’apprentissage se dé- place. Auparavant, il était axé sur l’enseignant mais maintenant, avec la pédagogie de l’intérêt, on va vers ce qui intéresse l’élève, ce qui est son univers. Te le rap est son univers et l’intéresse. Cependant, il est bon de souligner que tous les textes de rap n’ont pas une qualité qui leur permet de pouvoir entrer dans la classe de français. D’où l’utilité pour l’enseignant de bien faire un choix dans la banque de texte pour prendre celui qui répond à ses ob- jectifs d’enseignement. En plus, il doit s’assurer qu’il est dans une logique d’enseignement-apprentissage mais pas en récré- ation. L’enseignant est le moteur du renouvellement de l’école et des pratiques pédagogiques. Ce renouvellement est nécessaire dans la mesure où l’école doit répondre aux exigences de la société qui, elle-même est suit un développement et une évolution très rapides. 2. Le langage du rap Le rap est une forme artistique assez particulière dans sa création tout comme dans son fonctionnement avec une écriture tout à fait spécifique. Mais il est comparable à de nombreux endroits au poème même s’il regorge des quelques principes for- mels. Généralement défini comme une forme de chanson popu- laire scandée, il fait appel à un support musical utilisant abon- Mamadou Dramé & Assane Ndiaye – Le français employé dans le rap… 123 damment des techniques. Il a cependant une langue qui lui est spécifique. 3. Emploi de l’argot, les langues de la rue et de la banlieue Pour Claude Blum et alii, la notion l’argot renvoie à un «langage particulier aux vagabonds, aux mendiants, aux voleurs, et intelligibles pour eux seuls»1. C’est un langage propre aux de la pègre, à un type classe, notamment les marginaux. Mais l’accep- tion évoluera pour avoir une orientation moins péjorative. Dans ce sens, Jean-Marie Pruvost-Beaurain lui donne une définition intéressante quand il écrit que c’est «une terminologie particulière à certains milieux professionnels ou scolaires»2. C’est ce qui ex- plique que Mamadou Dramé écrit estime qu’il y a lieu de relati- viser la dimension cryptique de ce langage: Seulement l’argot a connu une certaine évolution qui a fait qu’il y a eu un transfert de fonction linguistique au cours duquel la nature de l’argot a changé: il est passé du statut de langue secrète d’une activité criminelle à celui d’une langue qui se veut la simple manifestation de l’es- prit de corps et de caste, une façon toute particulière de parler par laquelle un groupe peut s’affirmer et s’iden- tifier3. En fait, si le langage du rap est aussi proche de l’argot, cela ne doit guère surprendre eu égard à ses origines. Aussi le besoin de s’exprimer selon leur un mode particulier et identique à leur environnement explique-t-il le fait qu’ils soient plutôt tentés par le discours argotique. En outre, initialement issu des quartiers défavorisés, le rap à ses débuts est souvent un exutoire au mal- être et aux revendications des jeunes qui les habitent. Les propos violents ou crus sont fréquents, volontiers. Le rap est donc ac- cueilli par le grand public plus comme un phénomène social que comme une forme artistique à part entière. Dès lors, il serait 1 Claude Blum [sous la dir.], Le Nouveau Littré, Garnier, Paris, 2004, p. 85. 2 Jean-Marie Pruvost-Beaurain, op. cit., p. 70. 3 Mamadou Dramé, Analyse linguistique et sociologique de l’argot contenu dans les textes de rap au Sénégal, Casa Editorială Demiurg, Iaşi, 2010, p. 63. Mamadou Dramé & Assane Ndiaye – Le français employé dans le rap… 124 loisible d’admettre une façon de s’exprimer des rappeurs qui est proche du «langage de la rue». Ils emploient une sorte de jargon auquel on reconnait un chanteur ou un groupe. Ce parler est aussi appelé «parler jeune».Selon Henri Boyer: Si les appellations «parler jeune», et «français branché» ont été en concurrence durant les années quatre-vingts, il semble bien que ce soit à présent la dénomination «langue des cités» et ses variantes qui l’emporte dans les discours plus ou moins métalinguistiques tenus sur la parlure en question. C’est une volonté d’identification et d’auto-identification par rapport à un ensemble constitué de personnes appartenant à sa génération. En cela, il ne faut pas oublier que derrières ces mani- ères de s’exprimer se cache une volonté de se distinguer du reste de la population, de créer des «codes» langagiers propres à sa communauté, son cercle de connaissances. En effet, pour Azouz Begag, parlant du langage branché des jeunes français: L’usage de codes linguistiques internes est également influencé par l’identité groupale, territoriale, de péri- phérie, des jeunes. Comme ils ont de plus en plus ten- dance à se retrouver entre semblables, entre jeunes issus de l’immigration maghrébine, dans leur mobilité comme dans leur immobilité, ils adoptent un langage de fronti- ère entre le français et l’arabe dialectal qui les situe de fait dans l’entre-deux, ni ici ni là, ni d’ici ni de là. 4 Billiez poursuit en déclarant: Pour se démarquer des discours dominants, cette langue de soi est travaillé en partant de matériaux disponibles à la base, les langes et les cultures diverses de la rue, du quartier, auxquelles se surajoute l’anglais véhiculé par les pratiques musicales, et aussi par le contexte sco- laire.5 4 Begag, Azouz (1997) “Traffic de mots en banlieue: de «nique ta mère» au «plait-il ?»”, in Migrants Formation, n°10, Mars, p. 34. 5 Billiez, Jacqueline (1997), “Poésie Musicale Urbaine: Jeux et Enjeux du Rap”, in Cahiers du Français Contemporain, n°4, Ophrys. Mamadou Dramé & Assane Ndiaye – Le français employé dans le rap… 125 Le rappeur s’exprime dans une langue somme toute particulière qui est codée. De ce fait, seuls les enfants et les jeunes, autrement dit des gens qui partagent les mêmes hobbies, les mêmes centres d’intérêt, sont susceptibles de comprendre leur langage. C’est pourquoi on peut parler de discours argotique du rap. Seule une certaine partie de la société a la possible d’interpréter le message. D’ailleurs, rappelons qu’à ses débuts le rap était mal accueilli au Sénégal car les vieux considéraient les rappeurs comme des délinquants. Heureusement, les médias et les critiques feront un travail assez rassurant dans le but de vulgariser et de bien faire apprécier ce genre musical à tout le monde. Depuis quelque temps, le rap gagne le cœur des Sénégalais car ce qui était de l’argot est presque transformé en un langage accessible à tous. 4. Jeu sur les chiffres et les lettres Le rap est une forme artistique très proche de l’oral. D’ail- leurs, il n’est pas écrit pour être publié mais plutôt afin d’être scandé. Le mélomane, par exemple, n’a pas souvent la possibilité d’avoir sous ses yeux le texte de rap. Pour l’avoir, il doit le trans- crire. C’est pourquoi certaines structures ne sont perceptibles que dans les textes de rap. D’ailleurs, héritant de l’argot, le type de langage que l’on rencontre dans les textes de rap est aussi un jeu sur les mots et les lettres. Dans cette dernière perspective, Julien Barret soutient: Le rappeur joue constamment avec la langue qu’il façonne à la manière d’un matériau malléable à souhait. Tant le signifiant graphique que phonique sont, pour lui, sources d’acrobaties. En premier lieu, le uploads/Geographie/drame-ndiaye-le-francais-employe-dans-le-rap.pdf

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