L’EDUCATION N’EST PAS UNE MARCHANDISE Antoine Boulangé Introduction I - Le rôle
L’EDUCATION N’EST PAS UNE MARCHANDISE Antoine Boulangé Introduction I - Le rôle de l ' école II - La création de l ' école de masse III - L ' expansion de l ' éducation après 1945 IV - L ' enseignant est - il devenu un simple travailleur ? V - Education : une forte tradition de résistance VI - Education et religion : quelle laïcité ? VII - Une autre école est possible Conclusion Introduction Dans l’éducation, le marché veut tout dominer. A Vancouver s’est tenu en mai 2000 le premier World Education Market. La Banque mondiale y déclarait, à propos de l’école, que son but est de « favoriser le développement des transactions commerciales ». Rien que pour l’OCDE, le marché est évalué à 875 milliards d’euros par an, soit autant que le marché mondial de l’automobile. De quoi aiguiser l’appétit des grands groupes mondiaux, aussi bien américains qu’européens. On retrouvait ainsi à Vancouver Mattel (fabricant de Barbie ! ), qui a acheté pour près de 24 milliards de francs la société The Learning Company, qui détient 42% du marché des logiciels éducatifs aux USA. En France, le premier éditeur scolaire, Hachette, est une filiale du groupe Matra, intégré dans le consortium européen EADS : numéro 2 mondial pour les missiles, les hélicoptères de combat, les avions de chasse et les satellites militaires. L’éducation est entre des mains bien dangereuses… Nos dirigeants ont totalement accepté cette logique. François Blamont, dirigeant d’Edufrance (institut public-privé fondé par Allègre en octobre 1998) déclarait lors de ce même marché : « Certains restent réticents à l’idée de vendre des formations. Moi je pense que tout cela est dépassé : nous sommes embarqués dans un mouvement inéluctable de la maternelle à l’université. Après tout, il existe déjà en France des écoles privées qui délivrent des diplômes … Le privé devant allier profit et éthique ». L’avertissement est très clair, après la Poste, les télécoms, la santé…ils veulent détruire le service public d’éducation. François Blamont rajoutait : « les ennemis, ce sont les profs qui estiment que l’enseignement doit être 100% public » ! Dernière annonce en date, le 28 juin 2000, à la veille des vacances, le ministre Jean Luc Mélenchon dévoilait la création de 172 licences professionnelles pour la rentrée. Ce qu’il appelle « une révolution culturelle » signifie en fait une soumission plus grande de l’université aux besoins du marché. Par exemple, à Marne la Vallée, où se trouve Disneyland, l’université ouvre une licence « Nouvelles activités du tourisme et de la restauration ». A Amiens, où s’installent de nombreux centres d’appels (télémarketing…), c’est une licence « Métiers des télé-services ». Il y a aussi des licences « Chef de rayon de grande surface », « Vente immobilière ». Chaque licence professionnelle va être liée aux entreprises de la région : licence Michelin à Clermont-Ferrand, licence Peugeot à Sochaux… Ces licences, aux contours très flous, comprendront beaucoup moins de cours théoriques que les licences actuelles et un stage en entreprise de 3 ou 4 mois. Leurs contenus ont été évalués par une commission d’habilitation composé pour 50% d’entreprises, sans aucune norme précise et dans la plus grande discrétion. Son directeur, Pierre Clavelanne, parle de « l’avènement de l’ère des diplômes biodégradables » ! On prétend que cette réforme est une solution au chômage des jeunes. C’est faux. Les raisons de cette réforme sont bien plus mercantiles. Avec les licences professionnelles, le contrôle des entreprises va être direct, en particulier sur le contenu des études. En effet, le jury d’examen doit être composé au minimum de 25% de « professionnels », or il est moins rentable d’étudier Shakespeare que Windows (en tapant, je constate d’ailleurs que le correcteur orthographique de Word 97 accepte Windows mais pas Shakespeare, faites le test…). Les attaques sur l’éducation publique sont directement liées aux transformations actuelles du monde du travail. Avec la réforme de l’Unedic (assurance chômage), le patronat veut imposer des conditions de travail dignes du 19ème siècle, avec en particulier le Contrat à durée maximale. La précarité, la flexibilité ne cessent de se développer. Le diplôme « biodégradable » est le corollaire du travail jetable, que les patrons nomment « employabilité ». Ceci est aggravé par la multiplication des stages en entreprise qui se réduisent bien souvent à du travail gratuit. Les licences professionnelles ne vont pas préparer de meilleurs débouchés, au contraire. Ces licences professionnelles sont de simples BTS-DUT allongés d’un an, et n’auront plus rien à voir avec les licences générales actuelles. Taux de chômage (mars 1999) Salaire médian 1999 BTS 11,2 % 7200 F DUT 10,4 % 7200 F Niveau licence maîtrise (sans diplôme) 10 % 8000 F Titulaire licence ou maîtrise 9 % 9000 F ( source Centre d’Etudes et de Recherche sur les Qualifications) Ce tableau montre pourtant que c’est bien l’enseignement général qui protège le mieux du chômage et qui garantit de meilleurs salaires. L’offensive patronale est généralisée à toute l’école publique. Il y a 15 ans, Jean Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation, annonçait l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac. Pourtant, pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, on assiste à l’arrêt du processus d’élévation générale des niveaux d’instruction, au recul de l’enseignement général. En France, en 1996, le nombre de bacheliers a diminué, passant de 63 à 61% d’une classe d’âge (on est encore loin des 80% ! ). Qui plus est, le bac général subit un net recul au dépend des bacs « professionnels » : en 1995, 64% d’entre eux passaient un bac « général », ils n’étaient plus que 55,7% en 1996, les bacs pro passant eux de 6,3 à 15,7% (Evénement du Jeudi, 24 avril 1997). A Paris, les surgelés Picard sponsorisent même des activités éducatives dans les écoles maternelles… Pourtant, on a présenté les enseignants qui luttaient contre la politique libérale d’Allègre comme des conservateurs, des immobilistes. Ces réformes seraient nécessaire pour « moderniser » l’éducation. Les analyses de Nico Hirtt et Gérard de Selys permettent de dévoiler les enjeux actuels à propos de l’éducation. « Depuis le milieu des années 80, les systèmes d’enseignement des pays industrialisés – et au premier rang ceux des pays européens – sont pris dans un tourbillon de réformes. Au nom, tantôt de la « lutte contre l’échec scolaire », tantôt de la « débureaucratisation », tantôt encore de « l’adaptation aux exigences de la société post-industrielle », les milieux politiques et économiques stigmatisent les systèmes d’enseignement centralisés et uniformes issus des années 50-70, ces systèmes qui avaient pourtant rendu possible une massification menée au pas de charge… Ni le hasard, ni les effets de mode ne peuvent évidemment expliquer une si forte convergence des politiques éducatives. Plusieurs années d’investigations dans les textes de l’OCDE, de la commission européenne ou de la Table ronde des industriels européens, la lecture de dizaines de discours ministériels et de rapports d’organismes patronaux et gouvernementaux ont forgé notre position : derrière les « réformes » et le paravent du discours qui les accompagne, se profile une mutation radicale des systèmes d’enseignement. A l’ère de la globalisation, les savoirs et les compétences sont plus que jamais des armes dans la compétition économique. Or, les conditions de cette compétition ont été profondément et durablement bouleversées par la crise même. Voilà pourquoi l’école, le collège, l’athéné, le gymnasium, la comprehensive school ou la grunskole sont, eux aussi, invités à changer. Faire de l’Ecole une machine à couler les jeunes dans les moules du marché : telle est la stratégie, à peine cachée, du patronat européen. » (Les nouveaux maîtres de l’école, l’enseignement européen sous la coupe des marchés. Ed. EPO. p. 7-10) Plus que partout ailleurs, la France a connu de très intenses luttes politiques touchant l’éducation : la Révolution française, la lutte pour la laïcité, mai 68, décembre 86… Aujourd’hui encore, suite aux nombreuses résistances de ces dernières années, la privatisation de l’éducation n’est pas aussi avancée en France que dans le reste de l’Europe. La résistance actuelle des lycéens et des enseignants complique encore plus la tâche de ceux qui veulent dominer le monde. Cela ne suffira pourtant pas à les stopper, aux contraire leurs projets deviennent de plus en plus cauchemardesques. En effet, la course à la compétitivité exacerbée - la guerre économique - ne cessera pas de peser sur l’éducation. En février 1996, l’OCDE publiait un rapport : « l’apprentissage à vie ne saurait se fonder sur la présence permanente d’enseignants mais il doit être assuré par des prestataires de services éducatifs », c’est à dire par des entreprises privées vendant à chaque travailleur un ordinateur, les logiciels pour qu’il puisse apprendre à distance, pour un coût estimé à 30 000 francs par an. Le rapport continue : « Les enseignants qui subsisteront s’occuperont de la population non rentable » et préconise « un engagement plus important de la part des étudiants dans le financement d’une grande partie des coûts de leur éducation ». C’est un véritable retour en arrière de uploads/Histoire/ antoine-boulange.pdf
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- Publié le Mar 07, 2021
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